La mécanique de l'illusion chez Lady Long Solo [13], par Raoul Bidard


Raoul pense très fort à Lady Long Solo en dissertant sur l’inspection philosophique posée sur l’illusion. Ou comment l'amour varie selon qu'il est porté sur la chose, le travail et l'être social réifié.

Les caprices de la fondation des raisons que nous nous créons sont des fictions éprouvées au fur et à mesure de l’expérience des années vécues. La pire des compréhensions humaines dont nous débridons la mécanique est l’illusion. L’illusion n’est pas le mythe. L’illusion n’est pas non plus le fait que nous nous immergeons dans la seule rêverie. L’illusion est la croyance (quasi) absolue en l’institution comme réalité objective quand il s’agit de constater qu’elle est rupture avec une antériorité historique structurelle. Donc subjective, résidu de l’idéologie matricielle. La réalité objective de l’institution conçoit une fiction plus réelle que la vérité transhistorique.

La philosophie de l’histoire la plus pertinente est celle de GWF Hegel. Saisir Hegel suppose la saisie de son rapport à la métaphysique. Considérant très jeune qu’il fut formé en théologie protestante (le célèbre Stift), destiné à devenir pasteur, il a consacré ses premiers travaux de jeunesse à rédiger une vie de Jésus (1796) et un essai sur l’esprit du christianisme (1797). Son Jésus est homme. Marqué de manière fort discrète par une lecture johannite de la vie de Jésus, l’orientation de Hegel se fige sur la capacité à identifier quels sont les ruses de l’histoire et les personnages historiques susceptibles d’étendre une cohérence entre aspirations individuelles et destins historiques. Hegel est infiniment supérieur, par un esprit encyclopédique assumé, à ses contemporains allemands pour comprendre le monde d’avant 1848. Ses thèses ont fait florès pour les analyses politiques ultérieures. Kant et Hegel sont les maîtres, Nietzsche un archange dévoyé parfois par la seule illumination. Le « philosophe à coups de marteau » se présente lui-même comme psychologue. Il est avant tout celui qui renoue avec la poésie, l’aphorisme généreux dans la philosophie.

Avant 1900, cette appellation d’origine contrôlée de « psychologue » n’a pas la signification positive qu’elle portera par la suite. Psychologie endurait l’examen des soubassements idéels et les croyances intimes de chacun. Pour Nietzsche, il s’agissait de briser les visions et commentaires précédents fondés dans et par la philosophie de l’histoire. Nous ne saurions nous passer des uns et des autres.

L’illusion, me semble-t-il dès lors, est la première cause des artéfacts de régulation sociale à débrider de toutes fictions. L’illusion englobe évidemment l’aliénation, la chosification et la réification. Ces concepts trouvent leurs caractères opératoires dans le déchiffrement du travail, de l’organisation du travail divisé et l’ensemble du système productif de toute société. Par toute société, il faut entendre la société archaïque et la société moderne.

Une illusion taraude l’amour. Arendt, Simmel et plus certainement Platon figent l’amour dans l’irrémédiable possibilité des détournements que l’on peut assumer soi-même de notre propre aliénation humaine.

Tous les prétextes sont bons pour s’émouvoir sur l’amour en tant qu’idée comme l’on s’épanche dans la presse, à chaque veille de printemps, aux quelques rondeurs à éliminer avant l’exhibition estivale sur les plages. La préoccupation principale de l’homme moderne est le bricolage, son petit intérieur et l’amour. Privé de l’un, il déploie les deux autres. Privé d’amour, il s’invente des illusions. L’esprit spectaculaire-marchand a compris que l’amour est l’une des clefs de l’attachement de l’homme à la préméditation grégaire du lien commercial. D’autant que l’amour, dans notre langue vernaculaire, ne se distingue ni des sentiments, ni goût et des coïts, d’où la nécessité de distinguer à brûle-pourpoint ces trois éléments et les scinder en le seul concept d’amour tel qu’il est défini chez Platon, puis ses épigones. Autre chose, et de manière matricielle pour notre droit, il n’est pas anodin qu’un Yves Lequette ait observé les dérivations du droit de la famille vers une tentative (avortée, réussie, il faudra l’observer) de les voir inspirées dans le cadre idéal-typique du droit commercial. Il n’est pas non anodin que le droit du travail, depuis précisément 1986 et un premier rapport du Conseil Economique et Social sur l’entreprise individuel, le travail à domicile télétravaillé ait abouti aux orientations défendues par Alain Madelin (dont on oublie le rôle déterminant dans la déréglementation et la rupture avec un code du travail qui, jusqu’à lui, était pour l’essentiel positif en partant des luttes sociales). L’amour d’une femme, d’un homme, d’un travail, d’un intérieur relève du même brassage d’images pour soi, étayées d’illusions en soi.

Les chantiers sont ouverts. Ils se rejoignent tous à la lumière de quelques préoccupations politiques. Le philosophe extirpe ses peurs. Surtout il se joue de l’esprit d’employé du mirador si cher à ses mécontemporains festifs. Une guérite soutient les deux côtés de l’entrée d’une institution, d’une prison, d’une caserne. La philosophie française, depuis pas mal d’années, a pour fonction d’expliquer, de peaufiner des exégèses savantes, de professer et d’alimenter des experts en tous crins de la brosse sans jamais plus analyser les ressorts par l’analyse concrète ou, plus modestement, d’être prospectiviste. Les littérateurs, les sociologues, juristes, historiens font meilleure œuvre de déchiffrement. Pour avoir lu par exemple l’essai de mon ami Guigot sur l’amour paru aux éditions Milan, je me suis pris un mal de crâne en raison de quelques assertions, disons « modernes ». Le concept d’amour n’est pas entrevu dans ses aspirations ensidiques. Et cela me gêne. La force de la philosophie consiste, de mon point de vue, à discerner, analyser, critiquer au sens kantien du terme : la critique est au fondement de la théorie. Pas seulement expliquer, mais subsumer la théorie conceptualisante. Le philosophe se doit d’arracher les tripes de ses prédécesseurs dissipés dans la jolie phrase, le bon mot et surtout le mal absolu : l’esprit de sérieux.

A tout écrin répond un fourreau. Ainsi en est-il des heures passées de Lady Long Solo à fumer, en écoutant David Bowie. Je ne fume plus depuis longtemps et n’ai jamais apprécié ce chanteur populaire avide de coups. A vrai dire, je n’apprécie pas grand-chose. Mes goûts intimes sont ceux du videur de boîte de nuit : muscles, belle voiture et la blonde qui va avec seyant bien dans les tons de mes sièges en cuir avec du sent-bon pendouillant au rétro.

Raoul Bidard

 

 

 

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Aristote à Chartres (statuaire)

Un syndicalisme de trahison de ses adhérents

article de presse censuré sur le "forum du tir sportif"