Que fait l'Etat de la fonction législative ?
Qualité de
la loi, inflation et insécurité juridiques. L’Etat en cause.
Dans sa faconde si réservée, le
célèbre juriste Portalis, dans son discours préliminaire au projet de Code
civil, décrivait la qualité de la loi : « la loi ordonne, permet ou interdit ». La loi doit receler une
portée normative, susceptible d’être consacrée comme « expression de la volonté générale »,
selon l’article 6 de la Déclaration des
droits de l’homme et du citoyen et fixer ainsi des règles générales. Les
détails excessifs des matières de la loi deviennent bavardages, abus de
communication des élus politiques et administrateurs de l’Etat. Or, « quand la loi bavarde, le citoyen ne lui
prête plus qu’une oreille discrète », pour reprendre les mots du
Conseil d’Etat (rapports du CE, De la
sécurité juridique, La Documentation
française, de 1991 et 2006).
Les antiques, dans leur infinie sagesse
(perdue des modernes administrateurs ?)
émettaient un lien entre l’inflation des lois et le dépérissement de la forme
étatique. Disciple de Confucius, Shu Xiang, par exemple, disait que « lorsqu’un Etat est sur le point de périr, la
réglementation s’y multiplie ». Tacite, quant à lui, énonçait plus
tard que les lois se multiplient quand l’Etat est de plus en plus corrompu (« corruptissima republica plurimae
leges »). Nous l’observons depuis des années, par déréliction de l’état
de l’esprit de nos édiles, l’inflation législative croît et prend de l’obésité,
rend instable la règle juridique et annihile sa portée transformant le
justiciable en « piégé »
permanent.
Insécurité et inflation des lois
nuisent à tous les justiciables. Kafka nous le confie de manière récurrente
dans son œuvre : « Quel
supplice que d’être gouverné par des lois qu’on ne connaît pas ». Et
ce, malgré l’adage « nul n’est censé
ignorer » qui reste une fiction inscrite dans le droit positif afin de
faire régner une présomption irréfragable de la connaissance de la règle de
droit par tous les justiciables et de son ordre judiciaire.
En réalité, la sécession est à l’œuvre.
Chacun s’y perd. Le justiciable est tout aussi perclus de non-sens que le
justicier. Juristes professionnels et auxiliaires de justice se cantonnent dans
des matières, ignorent les autres. Dès lors, ces professionnels du droit sont
les premières « victimes »
collatérales de l’excès de lois. Alors il leur faut feindre, feinter face à une
innocente inconnaissance d’une loi précise. En effet, partant de cet adage
principiel « nul n’est censé ignorer
la loi » –il fonde l’ordre
institué‑, nul ne saurait se soustraire à l’application de la loi du seul
fait de son ignorance. Le justiciable, plus que l’homme de lois, prend de la
peine et tire un fil d’Ariane ressemblant plus à des pelotes de laine entremêlées.
L’ordre institué que nous évoquons
est bien sûr l’ordre social qui est placé dans le giron de l’administration
de la peine et de la faute, de l’erreur ou du hasard d’avoir enfreint une
règle. L’Etat est tout à la fois déliquescent et revêche dans la manifestation
de ses instincts de survie.
D’Etat-libérateur
‑par exemple à la Libération de l’occupant
et la naissance de l’Etat-Providence‑ survient de nouveau le moment de l’Etat-Léviathan. Il est un monstre froid d’où
la bonhomie de ses fiers hérauts (petits
et hauts fonctionnaires réunis dans
un sens commun, élus du peuple) en font, au moyen de toutes les bonnes intentions et bonnes pensées du monde, un levier d’asservissement
généralisé de nos libertés fondamentales chèrement conquises, de nos libertés
individuelles et publiques. Parce qu’il se veut légaliste, le recours à l’inflation
de la loi et son obésité de la part de ses zélotes serviteurs, l’Etat-Léviathan
mute insidieusement en organe incontrôlé au sein duquel les mieux
préparés et les mieux servis s’auto-administrent, s’auto-absolvent par touches
successives de corruption inconsciente, tout ce miel de chaos… miel de la guerre de
tous contre tous.
Ordonner,
permettre et interdire s’exhalent et se contredisent dans un même mouvement. L'abus de lois
est-il l’une des sources d’un régime qu’on n’ose encore nommer dictature ?
LSR
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