Ce qu'est le syndicalisme libre & indépendant du macronisme-patronat
{Qu’entend-t-on pas
institutionnalisation d’une organisation syndicale ?}
A
propos de représentation, l’organisation syndicale s’est innocemment
auto-instituée instituante sous l’influence des forces antagonistes aux
aspirations d’émancipation des travailleurs. Les structures sociales pérennes
servent d’instrument de régulation, selon les désirs de l’ordre capitaliste de
ranger le syndicalisme à sa main.
Pierre
Rosanvallon, ancien collaborateur de la CFDT devenu Professeur au Collège de
France, dans un de ses essais, plaide pour que les syndicats deviennent « des
relais et des béquilles de la généralité » (IN : La
nouvelle question sociale, Ed. du Seuil, Paris, 1995, p. 23 et s.). La
« généralité », pour ce courant hégémonique, est le champ
politique. Ceci signifie pour Rosanvallon que le syndicalisme doit « accompagner »
et « cogérer » l’ordre normatif capitaliste, en parfaite
contradiction avec notre Charte d’Amiens de 1906, notamment pour la bataille
essentielle qu’est l’indépendance et les libertés syndicales.
La
loi du 31 janvier 2007 dite de modernisation du dialogue social, dite
aussi loi Larcher, a coupé net notre élan : est institué dorénavant
le syndicat comme outil d’autorégulation des rapports sociaux. Nous avons renié
notre droit ouvrier pour nous épancher dans l’adoption d’un processus normatif
d’intégration à « l’environnement d’affiliation » (P.
Rosanvallon, La question syndicale, Ed. Calmann-Lévy, Paris,
1988, p. 87) de l’ordre dominant par la « participation » (ibid.)
des organisations syndicales en co-légistes des besoins sociaux de
normalisation du droit commun. Il faut se souvenir qu’en 1986, le Conseil
économique et social, saisi par Alain Madelin, a commencé de substituer aux
relations contractuelles de droit privé (droit des obligations, dans le Code
civil, art. 1100 et ss. & la définition jurisprudentielle du contrat de
travail ; j’y reviendrai plus loin) les relations contractuelles de droit
commercial des employés et employeurs.
Or,
l’institutionnalisation du syndicalisme, au-delà des seules structures, est
un danger mortel pour les travailleurs. Ainsi, la prise de distance des
organisations syndicales avec le penser du politique pour une gestion au
quotidien du chaos social-historique, avait pourtant été pointée du doigt par
les dirigeants de la CGT qu’étaient notamment Pouget et Griffuelhes et
Heusbourg avant 1914 : ils mettaient en garde les électriciens à ne point
s’enferrer dans le social-économisme de l’adversaire de classe. Emile Pouget,
dans son livre, La Confédération générale du travail, en livre l’écueil,
si actuel :
« (…) le
rapport entre l’utopie et le rapport de force constitue une manière d’échapper
au seul aménagement apaisé du quotidien dans un cadre défini par les frontières
de l’existant qui, si d’autres horizons n’apparaissaient pas, constituerait une
adaptation du syndicalisme au milieu capitaliste, voie vers laquelle les
pouvoirs publics voudraient voir s’aiguiller les organisations corporatives (…) »
(IN : Bibliothèque
du Mouvement Prolétarien, Librairie des sciences politiques et sociales Marcel
Rivière, Paris, 1908, Chap. I sur l’organisation).
Or,
quel meilleur moyen que l’union des luttes, notamment celles des
infirmiers et infirmières des hospices de Paris dans les années 1905-1907
réunis aussi localement, qui parvint d’obtenir ce qu’ils ne parvinrent jamais
seuls à obtenir dans leurs corporations. Citant Pouget, je songe à la haute lutte
de nos camarades des hôpitaux de Nemours-Fontainebleau-Montereau :
« L'Union
des syndicats d'une même ville est une telle nécessité que ce mode de
groupement s'est développé rapidement, plus rapidement même que les Fédérations
corporatives. Les syndicats ont vite compris que si, dans leur centre, ils
restaient isolés les uns des autres, ils se trouveraient à peu près dans la
même situation qu'un travailleur se tenant à l'écart du syndicat : ils
n'auraient pu compter que sur leurs propres forces et leurs sentiments de
révolte n’eussent pas été fécondés par leur esprit de solidarité.
Donc, le
groupement des syndicats d’une même ville s’est fait plus spontanément que le
groupement corporatif, rayonnant sur toute la France (…) » (ibid.,
p 13).
L’un
des autres périls du syndicalisme est l’obéissance à des chefs désincarnés
qui ne transgressent plus les lois bornées de la cogestion de la crise du
capitalisme dégénéré, quand ils ne sont tout bonnement pas affiliés aux
trains de vie de l’Etat et des entreprises. N’est-ce pas encore un Albert
Detraz qui, au sein de sa CFDT lors d’un colloque de 1963, entrevoyait le
devenir de sa confédération, à savoir celle de son accouplement fusionnel à des
institutions variables, développant un syndicalisme d’experts et sa conséquence
directe :
ü
la
production d’une distance d’avec les adhérents, les militants de terrain et
l’ensemble des travailleurs, pour un premier trait,
ü
l
relégation de la pratique gréviste, pour un second trait,
ü
et,
enfin, tout un processus de glissement des logiques de légitimation du
syndicalisme par la légitimation dans les remous conjoncturels du mouvement
social contre l’acte électoral.
Je
pense là, pour ce dernier trait, à l’intervention directe de Bernard Thibault
dans l’érection de l’inique loi de 2008 sur la représentativité,
abaissant nos capacités d’adhésion et de mobilisation. Dix ans plus tard, cette
loi indexe la survie des structures, et en deçà de son autolégitimation par les
travailleurs eux-mêmes, sur les seuls résultats électoraux aux élections
professionnelles accompagnées d’une déconstruction du syndicalisme français
construit sur le mandatement impératif, le refus de la démocratie libérale sans
recherche d’un adoubement institutionnel délégataire, faisant de nous
subséquemment des hommes-machines à assurer des votes. A cela se mêle un
caractère paradoxal de dévitalisation des appareils syndicaux alors
qu’ils n’ont jamais autant été encombrés d’experts auto-proclamés, enfermés
dans leurs spécialisations. Sombre modernisme ! Chacun sait que naguère,
un jour de congrès, alors que se posait la question du recrutement d’un
journaliste, Henri Krasucki retoquait l’assemblée : « Mais non,
toi militant tu vas être journaliste ».
Belle
parole, beau geste exemplaire, Henri. Le syndicalisme ancré dans la défense
des intérêts matériels et moraux des travailleurs exalte en interne ce dont il
a besoin. Aujourd’hui, on recrute sur internet ou au recours des chasseurs
de tête des employés de Montreuil qui font un parcours à durée déterminée, dans
le but individuel d’agrémenter un curriculum vitae. Ce processus obère
l’autonomie financière et intègre les pratiques de l’adversaire de classe. Qui
plus est, il sécrète une sorte d’oligarchie syndicale. C’est le propre de tout
processus d’institutionnalisation, lequel va jusqu’à « présidentialiser »
la fonction de secrétaire général de confédération, système qui se reproduit
naturellement dans la concurrence instillée pour la lutte des places, des
fédérations aux unions territoriales. Lors du stage niveau 1 de l’UL de Melun,
mardi dernier, un talentueux sapeur-pompier déclarait que cette lutte des
places n’est rien d’autre que la recherche du pouvoir pour le pouvoir, comme
dans les clubs de pétanque et les villages. Au final, tout est fiction. J’y
ai réfléchi, il a visé juste ce camarade de feu.
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