A vélo, Chistian mange le monde & Jésus-la-Biche le lui offre (fiction dépoitraillée)
n’est plus
possible le réconfort de la littérature…
En pérégrin de la légèreté de la pédale,
le long d’un chemin de halage par ce bien beau temps de lundi, Christian s’est
assis lors d’une pause méritée pour ses puissantes cuisses de coursier à l’une des
tables de bois de l’écluse des Bordes. Cahier et plume sous la main, dope en
moins pour un gars de la petite reine, avouez que c’est fort rare.
L’écluse lui fait face. Elle relâche
par intermittence des flots de trop-plein d’eau. Les remous saccadent en rythme
le crissement de sa vieille plume Parker qu’il possède depuis ses années passées
au lycée des Bons Pères.
Il n’a ni faim ni soif. Il ne sue jamais
après l’effort. Christian butine quelques lignes plus loin son désir soudain d’y
laisser glisser des vers marins et rocailleux où quelques créatures reconnaîtraient
leurs légères cambrures si elles lisaient par-dessus son épaule. Sirène
adipeuse, sole effilée ou jolie musaraigne des corniches, notre cycliste à
plume a tôt fait de songer à la missive lapidaire reçue du pays du petit levant
calme de son ami Jésus-la-Biche.
Fieffé mandrin ce Jésus-la-Biche, têtu
parmi les lettrés des rocs ce gars-là. Les eaux s’en vont si loin…
Toutes les desquamations, tous les
cheveux arrachés un à un, l’écrivain les jette sur ses pages. Litanie de la feuille
maculée du sens recouvré. Epidermique chant de souffrance et de joie à écrire.
Jésus-la-Biche le conseille, le déride, le rabroue, mais toujours Jésus-la-Biche
convie Christian à la noce des fers d’avec sa chance d’être.
Ecrire,
dit-elle… Duras. Duras, Marguerite de son végétal
prénom. Ses flasques de whisky pour balancer le sujet-verbe-complément, point à
la ligne… et à la suivante. Ecrire,
dit-elle… Duras et son gigolo dans la pièce d’à côté. Sa présence suffit à
affoler les picotements de son besoin d’écrire sur l’écriture. La geste
inutile. Le signe du bruit intime.
Jésus-la-Biche ne donne à Christian qu’un
ordre : « fonce ! ».
Le reste ne porte aucune signification et Christian de l’écluse l’a bien compris.
Dans les prés, sur les sentiers,
tout amour fausse compagnie aux décharnés du Verbe. Christian n’écrit pas, à
quoi lui servirait ce médiocre geste. Il est écrit dans l’eau où le nénuphar barbote
quand son frangin Ganache lui tape dans le dos alors qu’il allume son
ordinateur. Après plus d’une dizaine d’aventures publiées, Christian refile à Jésus-la-Biche
l’amitié des frères Ganache à la recherche perpétuelle de Dieu. Un dieu des
fourrés, un dieu des malins abimés. En fait, Dieu a la nette préférence pour les
spots des dancings le long d’une nationale de province. Là, Dieu ricane un
verre de sang de son Fils à la main aux perplexes gymnastiques des architectes
qui repeignent en blanc ses disséminées demeures de pierres et de stucs. Dieu
ne danse pas. Il mate les filles comme les autres.
Voici que la nuit remue ses stries
orangées au-dessus des bords du canal. Les cygnes atterrissent sur les eaux
noires du canal. Plus une péniche ne passera ce soir.
A l’heure du thé noir de Chine fumé,
il est plus que temps pour Christian de grimper sur le destrier à pédales.
Suffit le monde !, suffit les cris de pudibondes en ces heures de
grondement des eaux ! Christian n’a que faire des lettres mortes des politiciens
et des « regroupés pour demain »
dans la lutte en layettes des engagements partisans. Il n’a que faire non plus
des exclamations de ces vierges sportives pour leur commerce de médailles.
Ecrire, dit-il, c’est pousser le souffle sur le véritable testament d’hier :
offrir à lire pour dépoussiérer un peu les imaginaires des souffreteux, des
misérables. Pour Christian, la littérature ne sert à tous, collectivement, et à
chacun en son for intérieur qu’à la seule condition de parvenir à déchirer le
spectacle du vide qu’est le monde d’aujourd’hui des fumeurs du verbe. Que lui
importe le jugement des autres lorsque la miséricorde lui alloue sa soif de poursuivre
son chemin sur les petits chemins de halage. A grands coups de pédales, à grands
coups de force musculaire, rien n’est plus stable qu’un destin sur deux roues.
LSR
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