(2) Les vacances de Lady Long Solo
{épisode 1}
Le Bahia, imaginez la scène. C’est un minable dancing de province
gâtée entre la côte et trois usines fermées depuis la fin des années 80, et destiné
à étancher les ennuis et le livret A de toutes les beaufitudes cafardeuses des
plus jeunes et des quarantenaires en mal de mecs après deux divorces, une « relation compliquée avec un homme marié » et un avortement en Espagne. Non !
pas croyable, elle avait plutôt bien réussie son droit à la fac de Rouen,
Sandrine. Les petits derniers, tous de pères différents, cela va de soi dans la
modernité, histoire d’en faire des boules de nerfs en barres de fer futurs, sont
restés ce soir chez leur tendre Mémé. Une bien bonne dame d’accepter garder les
chiards pendant que sa ratée de donzelle s’en va se faire happer à la va-vite à
l’arrière des parkings en espérant monnayer sa bouche contre un CDD. Celui-là,
un Breton bien sous tous rapports, possède une boîte qui fabrique des yourtes
très in.
Melaine, genre moche gosse, n’en est
pas à sa première bouteille de gin ce soir. Il se déhanche si mal dans son
costard Hugo Boss. Il est l’un des plus ridicules frimeurs sur la piste, mais
personne n’oserait railler ce charmant patron –le seul- du secteur. Il a pris l’habitude de lire Libération son canard de classe vers
minuit, affublé de ses Fairaway quand les jeunes cons font péter le mauvais
champagne à 100 euros la livraison qui est un scandale de la direction que tout
le monde passe à l’as.
Melaine, c’est le type de patron
choc en Normandie. De vagues études d’économie industrielle, un peu chercheur,
un peu branleur sur la fin, il a ensuite repris l’usine de confection de son
oncle. Une affaire de toiles et voiles marines et tissus pour l’industrie. Rien
de bien fameux. S’il s’en est sorti, c’est principalement en sous-payant ses
ouvrières. Exclusivement des ouvrières, bien entendu, au nom de la solidarité genrée. C’est plus facile pour embaucher
des temps partiels à tire-larigot. Avec le cumul, sa petite boîte fait souvent
la une des journaux locaux avides de réussite puisqu’il n’y en a plus guère. Et
puis quand le député de la circonscription, socialiste comme Melaine, entend
montrer ses nobles actions, il pose aux côtés de Melaine sur fond de machine à
tisser. Il n’y a pas mieux pour glaner des voix chez les retraités, les anciens
du tonton du garçon « qui réussit à
l’international maintenant, bien, non ! Quelle affaire, quel courage le Melaine… ».
Ni une, ni deux, Melaine l’a senti en
lascar la fille là-bas. Cette fille un peu esseulée, cette mère de famille émue
du regard brillant par les ouisqui-coca qu’elles s’enfilent entre deux
invitations à remuer ses seins avec des ados tatoués, c’est Sandrine. Sandrine,
c’est un master de droit des affaires, trois ans de CDI, dix-huit mois de
chômage, un mariage trois ans, deux grossesses et le RSA-parent isolée avec l’aide
au logement en prime. Dans le bourg, heureusement, les loyers sont indécemment
modérés. Faut dire que le plomb suinte des tapisseries pourtant refaites par
deux ou trois proprios qui assument le mal-logement. Tant qu’ils appartiennent
à la section locale d’ATTAC, tout va pour le mieux pour eux : il suffit de
faire savoir que leurs loyers sont délibérément bas par esprit de justice
sociale. « Mouais… c’est toute la
gauche moderne, cet esprit-là : faire accroire aux bienfaits du profit en
socialisant la misère et le vanter auprès des médias locaux », répliquait
Lady Long Solo au localier aussi viandard qu’un éco-warrior Alsacien promis à
exercer un contrat plus tard chez Greenpeace.
Raoul Bidard
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