L'accident
L’accident est la chose la
mieux partagée de nos existences modernes. La machine, dans tous ces excès,
remplit les avis nécrologiques des journaux. Au temps des Anciens, la marche
montagnarde, la houle pour le marin, la chute du chevrier accentuait la cause
perdue.
Le deuil n’est rien s’il n’est
médiatisé par l’horreur. Un vieillard meurt, paisible, dans le lit de ses
souffrances & rêveries, on lui agrée la vie qui lui fut longue & bonne.
Un nouveau-né meurt, c’est l’horreur pour ses parents. Puis, plus rien. Chacun
oublie, ou tente d’oublier. La plupart des gens, affectés au début, prend la
poudre d’escampette de la réminiscence.
Il faut passer à autre
chose. « La vie continue »,
dit-on toujours. On se rassure. On édulcore la situation & les causes de
cette situation.
L’accident est mal aimé.
Il survient sans crier gare. En tous lieux, tous moyens. Une discipline s’est
même créée, « l’accidentologie »,
surtout en matière de transports collectifs & particuliers. Elle révèle une
moyenne d’un million trois-cent mille morts sur la route chaque année dans le
monde.
L’accident est,
philosophiquement, l’imprévu, le soudain, ce qui se trouve à rebours de l’ordinaire
de l’existence, le malheur. Aristote définit l’accident pour ce qui relève d’un
être, ce qui arrive à un être mais qui aurait tout aussi bien ne pas pu lui
appartenir, lui arriver ou pas. L’événement qui survient est sans lien avec la
substance de l’être. Rien n’eut pu l’atteindre, ou à tout le moins le frapper.
Or, la pensée, manifestation principale de l’homme, est ce qui définit le
propre de l’homme, son essence, et lui seul peut penser l’accident dont il
prend conscience.
Parce que l’accident est
inattendu, fâcheux, imprévu, le malheur est conscientisé par le penser en une
injustice ou une claire abnégation de ce qui fut & est, analyse de ses
causes, de ses évitements &, pour tout dire, du laisser-aller vers le flot
de la vie.
SLR.
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