Les arts couteliers de Lady Long Solo [8], par Raoul Bidard
Origines
obscures & divines de Lady Long Solo.
En 1784 meurt l’auteur phare d’un
siècle fulgurant de lumière avec son Jacques
le Fataliste : Denis Diderot. Le père de Denis, Didier Diderot (†1759),
maître coutelier dans la bonne ville de Langres, en Haute-Marne, avait la
réputation de façonner de fines lames, des instruments de chirurgie les plus
épurés, les plus précis pour la cisaille des viandes. Est-ce là que naquit l’infante
Long Solo ?
Lady Long Solo goûte en effet depuis
son enfance aux joies de posséder toutes les sortes de couteaux, toutes les
sortes de dagues. Elle a un faible pour les lames ouvrières, le couteau
industriel Robur pour les
électriciens, le Poyet-Coursolle des
Cévennes des activités pastorales pour découper ses enveloppes, séparer ses
billets et notules. Toute petite, entrant le soir comme par effraction pour
saluer un père usé par l’amiante dans son minuscule bureau, elle observait avec
préciosité les deux ou trois canifs déposés entre les livres, les feuilles, le
bulletin syndical. Le rouge lui plaisait bien, un vieil Officier Suisse à la lame cassée, avec tire-bouchon, cure-dents,
petits ciseaux. Lui est resté longtemps l’évocation tendre avec son papa de ce
couteau Suisse. Comme si il était une marque de connivence, une de ces formes
de tendresses affichées et tues avec son père, une forme évidemment invisible
pour le commun des mortels de leur entourage.
A l’un de ses anniversaires, très
jeune, elle reçut offrande d’un tel couteau Suisse dédié à la randonnée et ses pique-niques
à la diable. Depuis, quand elle rend visite à son vieux père au bord de ses
longs parcs boisés, elle ne manque jamais de s’emparer d’un vieux Robur au manche noir qui appartint à son
grand-père inconnu. On ne sait jamais, en promenade, le besoin de couper une
branche, de cisailler avec délicatesse le pied d’un champignon, voire se
défendre d’une couleuvre…
La Lady, soigneuse avec les lames,
aime les vieux papiers. Surtout les vieux essais, les vieux romans édités,
vendus, passés et repassés de génération en génération en y laissant toujours
au moins un quart de ses pages non coupées. Marque des livres ennuyeux ?
Difficulté à suivre l’auteur ? Lady Long Solo, elle les lit et s’en
abreuve. Un monde littéraire ne meurt jamais avec des créatures de la sorte.
Elle entend achever la lecture défunte des possesseurs antérieurs de ces
vieilleries. Les Editions José Corti diffusent encore, fort heureusement, des
livres aux pages qu’un lecteur doit séparer avec précaution. Bel effort de
campagne littéraire. Cependant, la Lady eut toujours à cœur d’éprouver
répugnance et déni d’une lame pour séparer en deux une bête. Un homme, une
femme, ce n’est pas pareil…
Une nuit de feintes frayeurs dans
les bras d’un compère, alors qu’elle reposait ses fesses rougies par des
plaisirs échangés somme toutes banales, boudant l’énergumène peu instruit pour
nourrir un bavardage autre que celui de probables prouesses encore à démontrer ‑
elle n’avait pas dix-huit ans ‑, Lady
Long Solo eut la conviction qu’il lui fallait s’astreindre à se former à un art
ancestral en sus de ses études de Lettres classiques. Naturellement, la coutellerie
la prit sous ses ailes d’abord avec bienveillance, puis avec l’adulation que
suscitèrent sa maîtrise de la tradition et ses capacités à inventer des formes
et cisèlements. Elle devint une artiste considérée.
C’est dans le cadre de ses
recherches sur Denis que la Lady rendit visite à la ville de la famille
Diderot. Un croquis d’arme-scalpel la frappa immédiatement : elle devait
le reproduire elle-même, s’en inspirer avant que d’accomplir son chef-d’œuvre seyant
à tout compagnon coutelier. Aux oubliettes, Laguiole,
aux oubliettes Merluche… et pourtant,
ils sont l’ouvrage méritoire. Le Lady L & S naît dans le ventre des
impuretés de la modernité. Mais déjà, nous entrons dans une autre histoire.
Pour l’heure, il nous faut nous
contenter d’observer la belle à la fonderie, devant des grimoires, à son
cabinet d’études. En somme, il nous faut nous abimer l’index d’une fine lame
pour en laisser échapper la perle écarlate.
Raoul Bidard
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