La laïcité en face de M. Valls, en 2005
Laïcité privatisée
(vieille chronique radiophonique remaniée par votre
serviteur vipérin)
Autrefois, j'aimais lire
aussi vite que possible tout livre, tout essai à parution des politiques et
élus (ou non) notoires, afin de me tenir informé de leurs pensées profondes, prompt
à anticiper des décisions ou des pratiques une fois ces champions aux affaires parvenus. Cette habitude m'a passé, autant qu’a passé la préhension de ce
qui put être sérieux dans les schèmes des politiques Français. Ma foi, c’était devenu
une dépense de quelques euros inutiles, sinon les services de presse reçus (merci Mesdemoiselles les
attachées aguichantes). Car, de tels
ouvrages généralement rédigés de main de maître par quelque nègre, s’étalaient en long, en large et en dévers
dans toutes les pages de la bonne
presse si fière de diffuser des papiers sur une vue novatrice, voire
annonciatrice de positions déterminantes et putativement opératoires. Le dire
vite, tout cela… et puis j'observais les pratiques en cours. Pour cause, un
politique s’inspire pleinement et toujours des pratiques à l’œuvre dans son
mouvement politique, à défaut de les susciter. Sully aimait s’attribuer les
mérites de quelques mesures déjà exercées. Rien de moins que ce que préconisait
Nicolas Machiavel. Laisser faire, laisser agir et en tirer les bénéfices en
les publicisant, en les rédigeant et, plus encore, savoir en parler pour faire,
de nos jours, des unes et des télés. Rien ne vaut la production d'un livre pour ne rien dire, pour se faire mousser un petit peu...
Les Editions Desclée de Brouwer ont
fait paraître ainsi en 2005 un produit de consommation culturel qui travaillait
la privatisation acquise du concept politique de « laïcité » : La
Laïcité en face, par Manuel Valls, entretiens avec Virginie Malabard.
En ouverture, il est un rythme
ternaire qui guide ce livre ; il est la scansion de ce que nourrira place
Beauvau l’actuel résident, et ainsi me vient-il l’idée de refaire sens en
livrant une lecture rapide dudit manuel de gouvernement de Manuel Valls. Selon lui,
l’anniversaire de la loi 1905 sur la séparation de l’Eglise et de l’Etat est
une aubaine pour « renouer avec le pacte républicain ». Oui,
mais… Renouer quoi et avec qui ? Les adhérents du PS ensemble, les chefs
de motions pour un prochain Congrès ? Nous ne l’apprendrons jamais.
Selon l’ancien collaborateur de
Jospin à Matignon, il n’est plus possible de s’abriter derrière des règles qui
« sont devenues productrices d’inégalités » et, ajoute-t-il,
« ne correspondent plus à la réalité ». Il est important de
saisir les leitmotive de cet ouvrage pour comprendre quelle ligne sert
aujourd’hui celui qui est devenu en 2012 ministre de l’intérieur.
Pour Manuel Valls, un axe majeur
est d’affirmer que la laïcité doit être un « outil au service d’une
refondation de ce pacte républicain ». Nous voici rassurés, sa réponse
sert de facto de levier électoraliste,
ita est d’endormissement de ses
électeurs. Dans l’ouvrage, en effet, il prône (son verbe favori
maintes fois répété) un double dispositif « adapté » :
1. l’enseignement
du fait religieux,
2. le
financement public et transparent des lieux de culte pour les confessions
installées depuis la loi de 1905, notamment l’islam… surtout l’islam, « le problème » du moment.
Notre édile s’interroge. Quelle
différence apporte-t-il au PS face à la réponse communautariste qu’il fustige
chez son vrai-faux rival Nicolas Sarkozy. Justement, nous nous posons la même
question à le lire.
Valls, faut-il le rappeler, fut
un temps élu municipal à Argenteuil aux côtés du Maire PCF Roger Ouvrard, le
défiant d’une morgue toute altière en lui promettant de conquérir la ville…
pour très vite s’enfuir vers un fief autrement mieux taillé à son appétit de
notoriété législative : Evry (Essonne).
Notre homme n’est pas à une contradiction près, ni à une manigance près envers
quiconque lui fournit une voix, un siège, un poste. Pour lui, après le
référendum et les discussions sur les stratégies d’alliance entre le PS et les
autres partis de la gauche institutionnelle, « il ne s’agit pas de changer
de société ou de système économique, mais de corriger et de réguler les
effets de la mondialisation, de redéfinir le rôle de l’Etat pour mieux lutter
contre les inégalités ravageuses » (in : L’Express,
entretien, 20 octobre 2005).
Aussi, à l’instar du déjà incendiaire
Sarkozy deux ans avant son élection au poste suprême, Valls préconise la discrimination positive, « sur des bases
territoriales et sociales » car, pense-t-il avec la sincérité du
ramoneur avide de passer dans tous vos conduits, l’ascenseur social est en
panne. Tiens donc… Ici, rassurons-nous, aucune analyse concrète ne vise à
soulever l’antagonisme entre classes sociales enfermées dans un contexte de
rugissement effréné envers le peuple sinon pour capter ses voix. Le peuple, c’est
un vote. Peuple de France, « une
chance d’élection ». Certes. Mais encore ?
Pas grand-chose en fait dans le
bouquin. Nous ne dénichons aucune forme non plus de critique à l’égard d’une
envie de bouleverser son propre pouvoir autocentré… Non. Aussi, il enchaîne
dans cet essai son argutie principale : pour observer la laïcité en face,
il est impératif que les socialistes du PS affrontent les « problématiques
de l’immigration » ainsi résumée : traiter son accueil, son
intégration, la gestion des flux migratoires par une politique des quotas et
d’aide aux pays du Sud. Lapidaire, un brin généreux pour la bonne bouche, sans
appétence pour la réalité d’une « mondialisation heureuse » voulue
par tout le clan aux affaires, droite et gauche responsables.
Encore dans l’article de L’Express
mentionné ci-devant, Valls, comme Sarkozy d’ailleurs, place la question des
« sans-papiers installés sur le territoire » comme étant un
problème « si nous arrivons au pouvoir ». Elu, Sarkozy en a
fait une politique de façade, Valls à Beauvau en a fait un sujet caché… sauf
Léonarda la célébrissime.
La laïcité selon Manuel Valls ou Nicolas
Sarkozy, ils en profilent la même analyse au milieu des années 2000, est un
objet de conquête de soi pour conquérir une bribe de parole au sein de son
propre parti. Cela ne présente aucun intérêt. A l’origine, en 1905, la loi de
séparation fut présentée comme une avancée historique. Elle ne fut qu’un compromis politique. Or, le Concordat
existe encore dans quelques départements. La République a cru en un
progrès ; elle n’a de cesse de reculer face à tous les clergés. Rocard, le
ministre de l’agriculture de 1984, a rogné la laïcité en faisant participer les
cultes à la formation professionnelle agricole. Lang, avec Cloupet en 1992, a
opéré le même processus, et ainsi de suite.
Très concrètement, la plupart des
organisations politiques institutionnelles, financées par l’Etat, le
contribuable et des subsides barbouzardes d’entreprises et d’Etats inféodés,
sont partie prenante du démantèlement de ce que nous appelons encore République
Française pour faire simple. Y compris et surtout sur le terrain local. Comme
si la « libanisation » du droit commun français se faisait
jour, sous les auspices de l’Europe. Vous le savez, au Liban, la carte
d’identité est délivrée par la religion à laquelle on est tenu d’appartenir. Se
marier, divorcer, acheter une voiture ou passer n’importe quel contrat… se
contracte en l’espèce dans les officines cultuelles et tout contentieux devant
les tribunaux religieux. En somme, les religions sont les satrapes incarnés de
tous nos joyeux gestionnaires nationaux.
Deux exemples de privatisation
locale, pour finir, nous paraissaient idoines et stimulants à mettre en
perspective au moment de la sortie de l’essai de Manuel Valls ; ils semblent
dater un peu… pas tant que cela au final :
A Saint-Denis (93), un débat sur
la laïcité offrait durant l’hiver 2005 une tribune de choix, via le staff
de la ville, à un prêtre, à un imam, etc. A Vitry-sur-Seine (94), il en fut de
même dans le cadre de ce qu’ils baptisent la « semaine des Rencontres
Islamo-Chrétiennes » sous l’égide et de l’association des « Amis de la Vie » et de la Ville PC
qui prête local, chaises, personnel communal, moyens techniques et relaie
l’information par les canaux des journaux locaux. On déroule ainsi le tapis
rouge à Christian Delorme, prêtre, auteur des livres Les Banlieues
de Dieu (Bayard) et Nous avons tant de choses à nous dire
(Albin Michel) et Ghaleb Bencheikh, président de la Conférence mondiale des
religions pour la paix (antagonisme historique, s’il en est !) et auteur
de La Laïcité au regard du coran (Presses de la Renaissance, 2005),
en présence du Maire et de quelques adjoints venus cautionner la soirée, petits
fours et boissons fortes à la fin (!).
Par ce levier, la municipalité croit se garantir la « paix sociale » sur son territoire. Est-ce le rôle d’une
municipalité de livrer ses subsides locaux à ce type de débat ?
Les villes « rouges » ont un mode de
communication politique privatif, voire privatisant tous moyens publics. Le
tout est orchestré comme tous les médias liés à l’industrie des biens de
consommation.
Les dieux et chefaillons locaux
doivent trembler devant la misère des considérants qui en ressortent… sinon une
plate politique locale censée uniquement garantir une réélection et pas trop d’esbroufes
dans les rangs des brisés de la terre.
LSR
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