L'Etat, c'est l'Etat !, par Patrice C.
Etat, mon bel Etat
A la fois révéré et haï, à la fois mère et père, à
la fois recherché et rejeté, à la fois puissance et médisance, source de repos
et de tous les maux. Celui à qui l'on doit dire merci quelquefois, et fuir et
honnir de plus en plus souvent. Tel est le statut non défini que doit assumer
l'Etat.
Volonté tutélaire non assumée ou pierre angulaire de
la société toujours en marche, il est l'exutoire de toutes les insatisfactions,
de tous les espoirs refoulés et mal placés, mais aussi de toutes les ambitions,
et à ce titre suspect. Adoré par les uns à qui l'on peut reprocher leur trop
grand empressement, confinant quelquefois à l'adoration, et regardé avec
suspicion voire défiance et méfiance, car affublé de tous les pouvoirs — proches de turpitudes tant il est soupçonné
d'intrigues — et de toutes les vilenies à cause des espoirs déçus placés à
son égard, l'Etat régalien a quelque chose du Golem.
Longtemps abscons, car ne relevant pas de
l'institutionnalisation, mais de la force brutale pure et dure et à ce titre
abominé, il devint petit à petit le père protecteur recherché puis honni car
trop exigeant et pas assez rassurant. Le prix à payer s'est vite avéré trop élevé
et le retour sur placement et espoirs pas assez affirmé. Il a fallu attendre et
attendre encore la montée en puissance de la pression populaire pour arriver au
terme du mûrissement. L'Etat n'est pas un objet désincarné depuis cette époque
où il fut enfanté et accouché par les populations des pays qui, après moult
expériences et espoirs souvent mal placés, sont parvenues à peaufiner le projet
pour le mener là où l'on souhaitait le voir et tel qu'on le souhaitait. L'Etat
est né d'une aventure empirique plus que d'une solution scientifique. Cela lui
confère de fait une antériorité bienveillante et une respectabilité acquise par
l'usage. Etonnez-vous après cette gestation qu'il se retrouve confronté à une
évolution que certains rebaptisent modernisme… Car telle est la preuve de sa
vie. Comme toute création et élaboration induite par l'évolution des idées et
des mœurs, l'Etat ne pouvait qu'essuyer la tempête du temps qui passe. A charge
pour lui, tel un navire à voiles, de s'adapter ou de se maintenir.
S'adapter, c'eut été en quelque sorte périr tant les
vents peuvent vous façonner, vous triturer, vous malmener et finalement faire
de vous ce que les éléments ont décidé qu'il sera fait. Résister, c'est la
gloire assurée lorsque l'on vainc, l'oubli assumé si l'on périt. Dans ces
moments difficiles que sont ceux durant lesquels il faut choisir se révèle la
personnalité, la viabilité du projet et sa durabilité. On ne respecte que ceux
qui, contre vents et marées, s'en sortent la tête haute. Le caractère, le
tempérament et son affirmation sont à ce prix. Qu'il est difficile d'avoir ou
de vouloir avoir raison contre les apparences, contre tous. Pour installé qu'il
soit, l'Etat n'en est pas pour autant tranquille, si ce n'est de son acquis de
puissance tutélaire révélée. Il lui faut désormais faire face.
Les épreuves sont multiples et diverses. Bâti sur un
consensus de circonstances, l'Etat est revu et remis en question à l'aulne du
temps qui passe et qui lui amène de nouvelles épreuves, de nouveaux défis. La
porte est toujours ouverte au rejet, à l'exutoire, à la victime désignée. C'est
oublier un peu vite l'Histoire, ses acquis et les fondations que cela
représente pour la construction d'une continuité telle qu'elle fut définie par
l'expérience et les faits. Qui dit évolution ne dit pas forcément révolution et
rejet aux orties d'une partie de l'acquis historique. Il est donc aisé de
rejeter ce que l'on a aimé et de noircir un tableau qui fût idyllique en son
temps. Il faut savoir se souvenir d'où l'on vient pour mieux savoir où l'on va.
Sous des pressions multiples et diverses, tenant à
la fois au temps qui passe sur le terrain et dans les esprits, ce que l'on
appelle aussi l'évolution, il n'est que trop facile de penser qu'en faisant
table rase la vie sera plus rose. L'Histoire infirme cela, mais des régiments
appelés par l'appât de la marche en avant se font forts de diriger et de
modeler les acquis à la sauce d'un présent qui n'a pour lui que le temps du
même nom. Toutes les transversalités du monde et montées en puissance de pseudo
volontés déjà datées viendraient-elles à bout d'une construction ancestrale ?
Il nous faut donc raison garder et ne pas céder trop tôt aux sirènes
nouvellement nées et dont l'éducation n'est pas terminée.
Preuve est déjà faite qu'en situation d'urgence,
l'Etat reste l'outil idoine d'action. Qu'importe en fait et sous quel que nom
que ce soit de la pseudo "relève"
ou complémentarité qui se propose de pallier à des défections qui elles aussi
sont liées au moment : la puissance ultime est née et a grandi dans l'Histoire,
ce qui lui confère la respectabilité toujours prouvée quand cela est
nécessaire, et les exemples sont nombreux. Face à leur propre impuissance, les
alternatives nouvelles ont également administré leur précoce impuissance et
furent, o combien, heureuses de trouver dans la puissance tutélaire le recours
qu'elles ne pouvaient, en dehors du papier et des idées, totalement assumées.
Patrice C.
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