Ravissement de cheveux blonds en cascade, par Patrice C.
La vie comme une piste
Je n'arriverai jamais à embarquer avec un tel
excédent de bagages. Je doute, au fil des ans, de jamais arriver à lire tout ce
que j'ai envie de lire, de connaître. Quand je crois en avoir terminé avec un
sujet, vient s'en greffer un autre qui me paraît tout aussi essentiel.
Tout cela participe de mon ameublement personnel et
intérieur. Je me construis au fil du temps et même encore après tant d'années.
La curiosité est devenue un mal nécessaire. Si je ne devais retenir ou
conseiller qu'une chose, ce serait : soyez curieux ! De tout et de rien. Mais
ces quelques fois petits riens finissent par faire une sacrée rivière. Je ne me
lasse pas d'être attiré, comme aimanté par ce qui pourrait passer pour
distraction et qui est devenu indispensable, nécessaire et aussi sans fin.
Si je devais finir avec tout "ça", cela représenterait un
excédent de bagages qui ne serait jamais accepté. On embarque comme on a
débarqué. C'est surtout parce qu'on n'a pas le choix. Qu'on ne nous laisse pas
le choix qui a été dicté une vie durant d'être sans excès, sans bagage, sans
superflus. Quand je vois le chemin parcouru et l'accumulation de tout et de
rien, je me dis qu'il va falloir délester, grave ! Malheureusement, ce qui est
devenu essentiel est si prégnant qu'il est hors de question d'arrêter
d'accumuler. On ne cumule autant de choses que parce qu'elles sont devenues
incontournables, comme intégrées. Si ces acquis, même immatériels, nous sont
accolés, il y a fort à parier qu'on ne passera pas l'enregistrement… Faut-il y
voir une prémonition ou la recherche provocante de complications réglementées ?
Il ne se passe que peu — très peu — de temps entre deux expériences vécues et qui toujours
renvoient aux mêmes constructions. J'en veux pour preuve cette dernière
rencontre dans la librairie du musée du quai Branly où je furetai dans le rayon
des livres d'ethnologie, y découvrant un bonheur assuré mais retardé depuis
tant d'années. J'y eus la surprise d'être interpellé par une jeune fille
ravissante aux cheveux blonds en cascade qui, elle aussi, savait qu'elle devait
être là mais ne savait pas exactement pourquoi. Sa question me parut quasi
existentielle mais bien venue, comme toutes les questions qui touchent à
l'essentiel. « Que puis-je lire ? ».
Mon grand âge a certainement développé chez elle le sentiment d'être en terrain
de connaissance générale. Je ne pouvais décemment pas lui conseillé Mauss, bien
qu'incontournable. Il s'en est donc fallu de Lévi-Strauss et de son non moins
passage obligé qu'est Tristes tropiques,
toujours reporté et qu'il me paraissait être venu le temps où il fallait
succomber. D'hésitations en questions sans réponse, nous avons donc convenu
conjointement de l'acquérir, nous souhaitant respectivement bonne lecture. Je
tire du livre une grande satisfaction tant il est vrai que docteur en
philosophie et agrégé de lettres peuvent accoucher d'une œuvre de référence
incontournable. C'est le mot que j'ai utilisé pour la convaincre : "Je n'en sais presque rien, mais il faut le
lire".
Cette lecture venant percuter le thème que je
développe en ce moment et qui n'a que peu de chose à voir, encore que… je me
dis que vraiment, je vais finir par être refusé pour excès de bagages. Tout
cela parce que le véhicule que je crois volontiers aérien a ses contingences. A
son arrivée, il se pose sur le tarmac bien après le début de la piste et, qu'à
la fin, il décolle bien avant son extrémité. Il y a du gâchis de terrain ! Que
serait-ce si j'en disposais. J'accumulerai encore plus ! Tout cela pour vous
déposer et que vous vous débrouilliez toute une vie durant et qu'à la fin, il
vous embarque bien avant la fin d'un parcours balisé.
Bonne lecture à cette tendre et belle amie des
livres.
Patrice C.
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