Photographier le présent, un témoignage, par Patrice C.
L'œil de l'esprit
Il en est de l'attention et de la découverte comme
une fenêtre ouverte de l'esprit sur le monde. L'instantanéité est la récompense
d'un esprit en éveil. La découverte est le trésor de la banalité qui anesthésie
la vigilance.
Je suis parti, il y a de cela longtemps maintenant,
du postulat qu'il existait des beautés et des satisfactions que nous amenaient
le regard pour peu que celui-ci soit affûté et en éveil. Cela nécessite une
forme d'entraînement pour devenir spontané, donc plus réceptif et capteur de
petits bonheurs enfouis dans le quotidien. Certains préfèrent les recréer, les
composer, les aménager. D'autres sont d'abord des dompteurs d'attention jusqu'à
soumettre leur regard à une discipline qui prendra bientôt le pas sur la recherche
et qui deviendra spontanée.
Combien de choses passent inaperçue au regard non
entraîné… La vigilance n'est qu'une discipline, comme l'apprentissage. Elle
fatigue vite. La vigilance doit devenir naturelle pour être récompensée par la
découverte de ces petites choses dissimulées qui font les grands plaisirs, au
prorata de la tristesse et de la grisaille quotidienne. Combien de parcours
pourtant identiques n'éveillent pas la même sensation, le même éveil, le même
plaisir, le même sourire en coin, entendu.
Le chasseur de plaisir visuel n'est pas un
stakhanoviste du regard, de l'attention. C'est un calme qui sait que si cela
existe et que, sur son itinéraire, cela ne lui échappera pas. Avec le temps
vient la certitude. Le besoin n'étant pas quotidien et la quantité n'étant pas
la finalité, on sait dans ce cas-là que si ce n'est aujourd'hui, ce sera donc
demain.
Il ne s'agit pas non plus d'un sport. Seul l'esprit
relaxé, détendu peut espérer augmenter son capital de choses inattendues. Dans
ce cas-là : que de souvenirs, que de satisfactions…
Cela peut-être un plaisir solitaire ou partagé. Il
s'en faut d'une complicité et d'un partage des sens en éveil, presque d'un
deuxième regard comme il en est d'un deuxième degré. On peut l'imaginer partagé,
car l'on sait que quelques autres seraient eux aussi capables de discerner, de
dégotter la même surprise. Dans ce cas plus encore qu’à l’ordinaire, la promenade
devient onirique (comme disaient les
surréalistes). Question de prédisposition, mais entraînée. Seuls les
disciples et les pratiquants sont susceptibles d'y parvenir. Il suffit de
s'investir et de croire à son regard. Le quotidien n'est que le prétexte car il
est le seul capable de procurer et de multiplier les occasions. Il ne faut pas
rejeter le routinier, juste le regarder autrement, le vivre autrement. La
position idéale, et la plus satisfaisante est de s'en tenir à une position
normale, celle que l'on partage avec les autres. Mais là où les autres ne
voient rien, de voir. Il y a d'ailleurs une sensation préalable, comme de
dire : aujourd'hui sera riche en découverte et ce seront les miennes.
Plaisir égoïste ? Oui, mais que l'on peut faire
partager à des néophytes pour peu qu'ils soient intéressés, pour peu qu'ils se
posent la question : y a-t-il du merveilleux, si peu que ce soit, dans mon
quotidien ? Faites-vous passeur, découvreur de menus plaisirs à portée de
regard.
C'est comme cela que pratiquent certains
photographes qui ne sont pas tenus par la rentabilité, l'obligation d'informer,
de décrire, de "factualiser"
le quotidien. Seuls les fouineurs, les "spontanéistes" nous révèlent les dessous des choses et des
gens. Que de rires et de sourires lorsque l'on découvre ce que l'on pas vu, à
côté de quoi l'on est passé tant de fois, capté par l'un d'entre nous.
La part semi visible de la vie existe et elle est
abordable. Elle peut être drôle ou tragique quelquefois. Drôle comme cette
photo perdue que je fis un jour où une rangée de CRS stationnait sous une
affiche de cinéma "Je suis timide
mais je me soigne". Dramatique comme celle que l'un de mes amis vient
de faire à Lodz (Pologne), dans
l'ancien carré juif de la ville, où une ombre dessinait sur le mur un pendu à
une enseigne ou à un nom de rue (merci
Alain). Combien de gens l'ont-ils vu ? On ne peut pas non plus pourrir la
vie des gens, mais le tragique requiert un contexte, une histoire. La
découverte arrive parfois à tout un chacun. La différence c'est que cela est
plus rare pour certains que pour d'autres.
A l'heure où faire une photo est devenu (souvent) d'une grande simplicité, il
faut en profiter pour stocker ces menus plaisirs et pour s'y adonner.
Patrice C.
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