La pauvreté à portée de main, par Patrice C.
La misère
Celle qui se voit, car elle n'a pas le choix, celle
qui se cache, celle qui s'affiche sans complexe.
La misère, cette pustule sur notre société, ce
chancre qui nous défigure, ce cancer qui nous ronge, que nous avons laissé
s'installer et, comble de tout, ce avec quoi nous pouvons vivre sans en rougir.
Il en va ainsi de ces pauvres diables installés sur
les trottoirs et sous les portes cochères, quasiment, et faute de mieux, comme
chez eux désormais. Ils croissent et se multiplient et nous ne les voyons
quasiment plus tant ils font partie de ce paysage que nous arpentons chaque
jour. Leur nombre n'est même plus étonnant à notre mémoire. Notre habitude se
meut en indifférence, nos habitudes routinières et obligataires, croit-on, ne
nous laisseraient plus le temps d'y penser ou même de regarder. Nous ne voyons
tout simplement plus. Nous avons peut-être là aussi, développé un logiciel qui
sélectionne le vu et le non vu. La mémoire nous devient sélective, étant
nous-mêmes sélectionnés par d'autres et pour d'autres choses. Vivre ainsi sans
s'accorder le temps de la compassion, c'est vivre comme des bêtes. La loi de la
jungle est belle et bien installée en nous. Sans aller jusqu'au divin, il est
impossible que nous ne payions pas cette distance que nous mettons entre
nous-mêmes et les autres. Il est impossible qu'il n'y ait pas un retour de
bâton, divin ou pas. 2014 sonne bizarrement comme 1814, ou 24, 34, 54… une
époque de misère généralisée, soit deux siècles en arrière. La mémoire des
hommes est bien courte mais elle est toujours rattrapée par celle du temps.
Plus insidieuse, plus honteuse car encore cachée,
encore enfouie derrière de dérisoires barrières de convenances et de fierté
éphémère, il y a cette misère qui se cache. Celle qui se dissimule aux yeux de
tous, celle qui fuit les regards, les doutes, les questions, mais qui est tout
près, au contact. Furtive et discrète, elle nous ressemble pourtant encore. Au
point qu'il faut faire un effort pour la deviner, évaluer sa présence, la
discerner parmi nous. La vie au bord du précipice tient encore d'un cheveu à la
société. Si ténue que soit cette attache, on sait pourtant qu'elle va lâcher
prise et que ce sera la chute dans l'abîme de la honte et du mépris aux yeux
des autres. Pour le moment, on sauve les apparences, on ne s'illusionne déjà
plus, on résiste. Tenir, il le faut, jusqu'au bout du possible, du quotidien
incertain, du lendemain improbable et pourtant si évident et déjà si noir.
Cette misère combattue toute une vie durant pour finalement ne pas parvenir à
s'en débarrasser. Ce qu'on appelle une vie de misère dont la route est tracée
ou qui vient couper la vôtre jusqu'à devenir vôtre. Une vie faite d'espérances
qui se refusent, car tout est utilisé pour la survie et que l'on n'aide pas.
Place au feu follet de la réussite !
Pitoyable est celle qui s'ignore. Elle existe. La
misère dissimulée au tréfonds des êtres vils et à demi irresponsables mais qui
mènent pourtant une vie "normale"
: la misère ignorée, étrangère. Presque un comble, un cas sociétal nouveau,
souterrain, mais terriblement existant, présent. Regardez, elle ne se voit pas
! Vous la côtoyez, vous la fréquentez et pourtant vous ne la voyez pas… Elle
coule des jours paisibles et se multiplie, se régénère. Elle croit et embellie,
elle fait même des petits ! Elle finit par être ignorée, par passer inaperçue
tant elle nous est familière. On lui pardonne d'exister, d'être, on l'apprécie
même quelquefois. On est tolérant à son égard, jusqu'à l'affrontement
inévitable et qui finit par se produire tant les deux mondes s'opposent et
peuvent entrer en collision. Le fait qu'elle ne se dissimule pas mais ne
s'exhibe pas non plus fait qu'elle ne nous étonne pas. Elle est invisible. Tout
juste quelquefois perceptible. Elle peut être démonstrative mais pas choquante,
car comme toute misère, on aime l'ignorer. Elle se concrétise dans la vie
quotidienne qu'elle partage avec tout le monde à certains moments, dans
certains endroits, à certaines occasions : métro, voiture, ascenseur, trottoir,
file d'attente, supermarché, bistrot, endroits publics, etc. Vous avez compris
qu'il s'agit d'endroits qui font la vie au quotidien. Cette bêtise-là s'appelle
individualisme, égoïsme, je-m'en-foutisme. Elle n'est par réservée, c'est la
chose la plus partagée du monde ! Elle ne demande qu'à être découverte, ce que
beaucoup d'entre nous se refusent à faire.
Choisissez votre camp…
Patrice C.
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