Avant la guerre. Philistins & acculés de la terre pour une vue du "ça"
Des philistins & des acculés en temps de guerre-en-soi
A la philosophie,
En toute révérence prolétarienne,Ton tout petit bucheron qui ne cesse de couper, couper, couper…
Voyez-vous, lecteurs, les vipérins rougeâtres s’expriment à
l’aune de mots simplets, d’idées banales & quelques thématiques générales.
Sous la simplicité se déniche sans doute quelque analyse un peu rigoureuse,
fondée sur des textes & diverses lectures. Ce sont des précipités dans
l’éprouvette de l’existence sociale qu’ils vous tendent pour que vous les
observiez à votre tour. Le Serpent rouge
n’oublie certes pas son expérience sociale, de travailleur principalement. Il
ne néglige pas non plus les réels dialogues vécus.
Il va s’agir par la présente
« bricole » de vous évoquer
une liquoreuse acception du monde réifié & sa sortie par une traînée de
poudre dans la fête.
Allons-y.
La déambulation
symptomatique avec la liqueur de moraline (puisqu’il
s’agit d’elle) supplée aux engagements d’antan de nos contemporains.
Certains vivent le christ comme s’il était leur croix incrustée dans leurs
pores (leurs peurs !?). D’autres
vivent l’amour & l’existence selon la règle binaire d’une touche noire,
d’une touche blanche sur un piano. Plus généralement, le philistinisme des
grands mammifères urbanisés confine à l’excès de soi, du quant-à-soi & de cette forme archaïque de la passivité innervée
dans le souci de soi : le silence de la fête, de facto le soi du ça soluble
dans le moi-chose.
Le philistinisme a cette
particularité d’être innocent. Il cultive l’optimisme du réseau - il n’a plus d’amis, mais un réseau
utilitaire où chacun se prévaut d’amis par ici, par là. Le philistin est
fier de lui. Innocent, je l’ai dit, il cultive sans jachère aucune le cynisme
du bien-né dans & par le réseau, spécialement ce que Georg Simmel appelle
les « initiés » dans son Secret & sociétés secrètes (1908),
comme LSR le mentionnait dans un billet récent. Les initiés savent somme toute taire leur
faconde à modeler leur sceau idéel, à franchir la « porte étroite » de la société qui sert leur « quête du trésor » nouveau. Histoire
prosaïque de ne pas se sentir vertir
& mourir à petit pas lent.
BRASSAI, Paulette & André |
Le bourgeois des villes est le
meilleur représentant du philistinisme.
J’entends par « bourgeoisie » non une classe
sociale identifiée, non un groupe détenant tel ou tel capital (argent, finances, symboles) mais un état de l’esprit,
ita est le philistinisme. Notable
pensée circulaire, n’est-ce pas ?
Le philistin est l’ennemi
d’Israël, dans la Bible. Notamment, écoutons les paroles du Premier livre de Samuel ; les
Philistins forment le peuple retors recherchant à s’emparer de l’Arche
d’Alliance :
Samuel
1, 10, 11 & 13 :
« 10. Tandis que Samuel offrait l'holocauste,
les Philistins s'avancèrent pour attaquer Israël ; mais le Seigneur tonna
en ce moment, avec grand fracas, sur les Philistins, les étourdit, et ils
furent battus par Israël.
11.
Les gens d'Israël s'élancèrent de Miçpa à la poursuite des Philistins, et
les battirent jusque sous Beth-Car. (...).
13.
Ainsi les Philistins furent matés, et ne tentèrent plus de pénétrer sur le
territoire d'Israël ; car la main de l’Eternel pesa sur eux tant que vécut
Samuel (…) ».
En fait, le bourgeois des villes
est tout à la fois de gauche & de droite. Il est modéré… il est consubstantiellement
modéré. Il sarcle sa vie ouatée ainsi qu’une parole, un discours & l’écrit
sucrés. Il entretient consubstantiellement le sérieux face
« aux grands enjeux que doit relever
la France et ses autorités », et nana-na,
nananère... Il aime à pleurnicher devant les périls des extrêmes (« Arrête, Daniel !, ça
fait peur… »). Je me souviens de cinq conversations emblématiques.
Etrangement, ce sont des femmes :
· Printemps
1996. Claire, ma jeune sœur, femme de (-à) soldat, un de ces officiers pérégrins
d’active très-respectable-responsable-gradé
(s’il-vous-plaît, les barrettes, crénom !) parfaitement incapable de
manier une arme du TAR dans les règles de l’art ni vivre dans les bois des
jours durant sans vivres ni télévision (l’armée
régulière Française, professionnelle s'il en est, est fonctionnarisée au point de signer le
chaos final… de Gaulle de 1927, au
secours !), au cours d’un repas familial où je raconte
l’illumination profane qui m’a valu un rêve de Seine pleine de sang signant par
là un de mes poaimes publiés naguère lance à la tablée béate : « Ca
nous intéresse pas… La paix, c’est pour ça qu’il y a une armée
professionnelle. Pas de guerre mondiale possible ». Elle est pourtant,
comme moi, fille d’un ancien appelé du contingent en Algérie… durant 36 mois de
guerre & cadavres, tout de même… Mais bon, passons… Ne dit-on pas de l’armée
d’active, ses cadres, les compagnes-compagnons de son « élite » kaki qu’ils forment la « grande muette »
· Mai
2002.
Stéphanie, une mienne complice de
très haut niveau d’encadrement sociétal laissait couler des larmes et
étranglements en voyant J.-M. Le Pen au second tour de l’élection
présidentielle. Elle a marché dans toutes les manifestations derrières les
banderoles syndicales & associatives à « gueuler » contre le fascisme des urnes, maudissant les « électeurs capables de voter pour ça ».
Bien, bien, bien... Elle n’avait pas voté au premier tour, ni aux élections
précédentes : elle ne possédait pas de carte électorale !
· Février
2013.
Sophie, une bonne consœur juriste
de jeux satinés, lui évoquant en passant l’hypothèse d’un second tour en 2017
Marine-Nico, a failli me faire une syncope, rougissant, se mettant à faire grimper
son taux de démangeaisons dermiques. « Non,
c’est pas possible. – Et si c’est le cas ? – Arrête, je me barre d’ici. –
Pour aller où en période de guerre ? ». Je passe les dialogues. Au
final, elle m’a demandé instamment de me taire sur ce point : « S’il-te-plaît, je veux vivre tranquillement
et ne pas penser à ça, alors ne me dis plus tout ça… - Comme tu veux, S. ».
Je ne cherchais qu’à scruter ce qu’elle possédait dans ses tripes politiques,
ses convictions pour, osons le gros mot, participer
à la résistance active... J’ai vu. Nada !
· Octobre
2013.
Hélène, une amie chère à mes
yeux à la bonté congénitale, jeune maman & institutrice épouse d’un très
grand artiste des couleurs, lisant quelques textes du Serpent rouge : « Je
vais arrêter de lire ce que tu écris sur ça… la guerre… je veux un monde
heureux pour ma fille et je n’ai pas la tête à ça ! ».
· Janvier
2014.
Aurore, une bonne fée monteuse
& philosophe à ses heures, dans un prêchi-prêcha subalterne consacré à Arendt, mais à la peau intime si suave & pieds très abimés
par un abus de pisciculture, une femme à la sympathie indéniable & dont la
pensée théorique s’élabore par fragments saccadés si généreux pour probablement
fonder prochainement une pensée commune reconnue dans tous les médias... Elle
me parle de ce sentiment de tensions & de racisme qui « monte » dans le pays, qu’elle voie
dans Paris. Je lui évoque la guerre. « Non,
s’il-te-plaît, tu veux bien ne pas me parler de ça…
ça me fait peur et j’ai besoin de travailler
tranquillement sur mon sujet la
désobéissance civile sans être perturbée
par ça… ».
Puisse-t-elle viriliser un peu sa vision du monde, afin de contribuer à sa
mesure à l’édification d’une résistance au-delà des pensées chics & softs.
Le « ça » de ces dames est la guerre. Hélène est quelque peu
différente des quatre autres, il faut le préciser. Elle vit avec le ça psychique en direct de son joli bébé-fille
& des programmes débiles pour classes primaires. Nonobstant Hélène, les
traits de ces dames sont clairs par ces narrations divulguées. Derrière la
stance générale & ontique perçue dans les ci-devant dialogues, nous savons
que le ça
(Es, en allemand) est constitué des trames les plus anciennes de toute
psyché de l'être, comme nous l’apprend Freud dans des travaux théoriques &
d’observations oubliés de « la
planète psy. » elle-même dans l’horizon social-historique décrit par
Castoriadis qui le regrettait… les
ingrats d’avidaeuros ( !) :
« (…)
son contenu comprend tout ce que l'être
apporte en naissant, tout ce qui a été constitutionnellement déterminé, donc,
avant tout, les pulsions émanées de l'organisation somatique et qui trouvent
dans le ça, sous des formes qui nous
restent inconnues, un premier mode d'expression psychique » (S. Freud, Abrégé de psychanalyse, 1938).
Le ça est ainsi la représentation conceptuelle de la partie pulsionnelle
de la psyché humaine. Le ça ne
reconnaît aucunes normes psychiques, interdits ou exigences, aucune réalité spatiale
ou temporelle. Le ça n'est régi qu’à
l’aune du principe de plaisir, cette satisfaction immédiate de besoins
biologiques. Le ça est, en
psychanalyse, le cœur même des pulsions & des envies qui constituent
l'énergie psychique de l'individu. Il est totalement dans le lit de
l’inconscience de ce qui fut, est & sera de cet être-là (Dasein du ça). Le ça est une
instance entièrement inconsciente. Pour le bébé, le ça domine alors qu’il ne fait aucun tri entre imaginaire, réel,
images sous ses yeux & images cérébrales ; son ça à lui, bébé, fige sa
configuration d’être tout-puissant
bien que faible par essence dans sa condition physique et sociale de bébé. Le ça se heurte par la violence aux normes
imposées de l’extérieur, de la société, du droit positif, des interdits moraux.
C’est ici le surmoi qui s’oppose au ça
dans une guerre intime sans nom : la dévastation possiblement humaine
qui interdit à l’être social la satisfaction immédiate des pulsions sexuelles,
idéelles & vitales du ça pour
les refouler, le jeter par-devers l’ordre de l’intime dudit être social. A la
fois brassé dans l’inné de l’être, son hérédité ascendante & son histoire
vécue de nourrisson, le ça fige et
pose en même temps les caractéristiques de l’être social dans sa sexualité, son
agressivité & les acquis qu’il en retire des expulsions de ses pulsions,
refoulements et expériences du silence. Aussi, la guerre-en-soi perturbe l’être social le plus fragilisé dans une
période historique d’avant-guerre qu’il veut rejeter, car induit en tant que
pulsion fondamentale dans son appréhension de la sexualité : la destruction de l’altérité. Cet autre
de la guerre est toujours la guerre ; il en démordra, cependant qu’il
ferme l’œil sur la réalité de l’histoire factuelle en cours.
BRASSAI, le Bain |
La bourgeoisie demeure par
essence le seuil du silence, de la peine contenue, de la verdeur dans les mœurs
& au final se comporte en nourrisson. La bourgeoisie du « ça » placé en révolver de son
intempérance aime à se jouer de son incompétence en atomisant son observation
du monde tel qu’il est en promouvant volontiers ce qu’il devrait être : le « Ich Will » consubstantiel à l’être réifié, ou Solen de ses aspirations pratico-inertes dans le devoir-être politique que nous démontre Weber. Les
grands principes, les illusions, l’opium des programmes politiques lui servent
de béquilles pour se mouvoir : les droits de l’homme, l’écologie
politique, les droits positifs & subjectifs, le Droit (avec un trémolo dans la gorge pour le « d »),
l’institution, la libéralisation des mœurs (« mariage pour tous », par exemple) comme succédanés aux
inversions & involutions sociales-historiques, la mise en valeur de la
responsabilité éthique fondée sur le vent d’idées nuageuses.
Historiquement,
la bourgeoisie a toujours été le fossoyeur de la politique qu’elle conduit
elle-même en direction du muret qui la fait trébucher un temps. Le temps de la
guerre, puisqu’elle n’a, dans l’histoire de son acheminement vers la non-parole & son silence de classe
parmi les grands mammifères urbains, jamais souhaité mettre en branle sa guerre-en-soi intime autrement que dans
la concurrence d’avec l’autre comme ennemi. Bruyamment en refoulant la guerre
sociale, historique, armée à l’œuvre s’entend.
Le plus drôle dans cette
lecture-là de l’imminence de la guerre, c’est qu’elle se trouve en toutes
lettres dans tous les livres, dans la littérature de toutes les périodes
d’avant-guerre. La nôtre, bien entendu, qu’on observe à tous les étals de nos
librairies chéries. Naguère, ce fut même Weltgeist.
Par exemple, même un pacifiste patenté comme Giono, tellement pacifiste qu’il
est resté coi durant la guerre, dépoitraille le comportement philistin,
attentiste, négateur de la réalité historique, voire construit pleinement la
guerre par son impossibilité propre à contenir ses penchants naturels pour
l’atomisation des mœurs politiques qu’il déploie par ses votes.
BRASSAI, plaisanciers |
Il nous suffit d’observer un peu
le comportement du philistin au bureau, à l’usine, au magasin, à
l’officine ; l’autre, c’est le concurrent, l’ennemi crucial dans les
rapports des salariés entre eux. Plus encore chez les cadres, les rivalités
sont des batailles épiques : elles ferment la porte étroite aux
aspirations totales de solidarité pour frayer plutôt avec le nombre au
détriment de la quantité comme règne de la surproduction. Un dessein politique
en vue : le vide.
Comme de bien entendu, les uns se
bouchent le nez, les autres ferment les yeux & le reste se tait mais joue
le jeu social moderne.
Il est si facile de ne penser
qu’à son tout petit destin, sa petite carrière, sa femme, son mari, sa voiture,
son écran plat, son appartement, son adhésion au club, son bulletin de vote, son
rapport de rentes & placements, ses prochains congés à la mer. Il est si
facile de boire du vin entre « potes »,
de partager un repas en devisant doctement sur des considérations culturelles
aussi surprenantes qu’un commentaire de Vanessa Paradis sur le principe &
la méthode de la critique génétique chez Lukacs.
Le plaisir du risque |
L’oubli de la guerre par la
jouissance passive du ça, le vin
& l’esprit de sérieux sont les apanages des grands mammifères urbanisés qui
vivent joyeusement dépressifs en attendant la mort… tous des acculés par la
condition de l’homo festivus
festivus !
Commentaires
Enregistrer un commentaire