L'ennemi principal : la société instituée est la cause de notre chute
Tous, nous sommes médiocres…
Je
le crois, tous, nous tous, nous sommes médiocres. Du moins l’homme générique
est-il devenu médiocre face à ce qu’est devenue la vie moderne cernée par sa
laisse canine du progrès.
Pourquoi
sommes-nous parvenus au rang de pauvres jouets pour attractions progressistes
et techniques qui nous détournent de nos vérités immanentes, de nos volontés de
faire le bien autour de nous ?
Pourquoi
nous sommes-nous détachés avec chagrin et bouffonnerie de notre existence
personnelle qui eut pu être harmonieuse avec l’autre (notre prochain), la nature, les étangs du plaisir, l’histoire et la
création terrestre sous toutes ses formes ?
Quel
sens ahurissant nous a fait emprunter d’autres voies que la sérénité, la simplicité
et le travail naturel pour nous loger, manger, cultiver l’amitié comme la terre
et ses fruits, aimer, générer et accomplir une vie faite d’actions et de
contemplations des formes de la vie ?
L’exister
serait-il le diable ? L’autre moi-même qu’est mon voisin est-il celui qui
conduit à ma perte ? Exister, c’est parsemer notre vie de minuscules cailloux,
c’est bâtir toutes les formes de vie (un
jardin, un logis, un travail valorisant et épanouissant, des amours, une
famille…), que nous pourrions baptiser l’œuvre
de vie, et partager l’existence avec d’autres dans ce que l’on appelle une société. A rebours, proche, si
proche à s’en faire atomiser les étincelles de joie, l’œuvre au noir ruine l’humanité de l’homme trop humain qui recherche les sensations fortes, l’illusion du
premier jour et, derechef, prend l’onirisme de ses nuits pour la réalité.
Autrement dit : qui prend la
fiction pour la réalité est toujours le fou pour l’autrui de la procurature
servile. La fiction serait-elle une ‘plus-que-réalité’ ?
La société fondée sur un
pacte ne laisse guère de place aux libres créatifs et imaginatifs exacerbés,
malgré une apparence incarnée dans l’histoire de la littérature mondiale et l’art
pictural. De cette apparence, comme source profonde du malaise des Modernes,
inscrite dans les arts, est appelée seconde fluxion pareillement plus destructrice
de l’homme dans le surgissement des industries culturelles, dans l’émergence de
la presse, puis de l’ensemble des mass medias qui agrémentent
l’inassouvissement de la construction de soi, et qui font irrésistiblement pirouetter
l’individu en un fanfaron destiné au ludisme, à la représentation fallacieuse
de lui-même dans l’autre, à l’aliénation de soi, pour résumer le sens de ma
proposition politique idoine.
En
définitive, la société ne confie pas davantage un rôle exemplaire aux illuminés
profanes ou consacrés qui entendent secouer les règles, ces poètes et ces
prêtres qui finissent toujours plus embastillés au fur et à mesure que le
spectacle instaure une norme suprême dévoyée, laquelle remplace même celle de
la norme juridique classique. D’ailleurs, parce qu’il en a la disposition
d’esprit, le juge adopte le masque de l’adversaire du prêtre, du poète quand le
rhéteur moderne s’acoquine au juge par jeu de classe. Le juge se caractérise
par la myopie. La vue basse, il s’intéresse au proche, à ce qu’il a sous le nez
et ignore le lointain qui lui est embrouillé en développant une pensée binaire
qui paralyse ladite norme juridique. Il la tue en fait dans son essence de
justice raisonnée et proportionnée. Pauvre agent social.
Ainsi,
poètes et prêtres sont jetés sous le boisseau du silence. La contrainte qu’ils
subissent n’est plus la Bastille mais le silence, la non-publication, l’absence
de possibilité de s’exprimer. Ils sont bâillonnés dans tous les ordres
symboliques de leur existence créatrice du Verbe. En réalité, poètes et prêtres
ont été remplacés, sous la baguette des chefs de l’industrie du spectacle, par
les clowns de la représentation partisane, les saltimbanques de l’exubérance, les
gnomes de la vie, en fait toute une société du paraître, du coup de pub’, de la mise en scène de soi, par des
comédiens faisant honte à la comédie, par des précieuses ridicules qui, en
toute circonstance, jouent l’air du temps sur l’aire de leur bourse en tout
premier profit.
Allons-y,
ne soyons pas fourbe, livrons notre sentiment. L’existence sociale est un
savant dosage de chagrins et de joies, de cette substance d’adrénaline qui nous
fait soulever des montagnes ou de cette déprime qui renie ce que nous sommes au
plus fort d’une forme pourtant olympique. Rien ne nous expose mieux à ces excès
et courants contraires que les circonstances. Il en va du poids, du ressenti,
de l’intrication entre la vie personnelle de chacun et l’existence sociale, de
la confrontation d’avec la société et ses aléas.
Puisque
la société entend nous régir de plus en plus, utilisant les techniques les plus
élaborées de contrôle comme jamais jusqu’à présent dans l’histoire humaine, et
sous l’inflation subséquente du droit pénal (l’un et l’autre sont interdépendants), nombreux sont ceux qui
partent dorénavant perdants. Un niveau de vie faible, des rémunérations en
berne, des moyens de subsister en décrépitude et, tôt ou tard, bien des choses
partent a volo. Ce n’est pas la classe, juste une question de classe. Rien n’est jamais définitif, mais
aussitôt qu’une institution de contrôle vous met le grappin dessus, une sorte
de puits profond surgit à vos pieds de manière plus ou moins importante.
Certains, parmi ces faibles, ont la capacité de se relever d’un fait mineur,
comme s’il s’agissait d’une bisbille innocente quand d’autres se sentent
poussés vers la spirale descendante, les attirant d’un problème mal géré à un
autre, et ainsi de suite. La mort en
serait presque l’issue inoubliable et aimée.
Disons-le
par témoignage. Encore dans les années 80, l’on pouvait vivre en campagne
francilienne en cultivant des jardins, aidé en cela par le ramassage de la
crotte des chevaux des écuries du coin en guise de performants engrais, en
glanant des restes sur des cultures, en accomplissant de petits travaux
domestiques, en chassant et braconnant, en pêchant, en bricolant et en rendant
service aux uns et aux autres, en gardant les enfants des familles, tout en se
contentant de l’essentiel pour mener une
bonne vie. Vraiment une bonne vie. Et puis la messe du village nous
exauçait, nous lavait tous les dimanches -et
même un temps tous les deux soirs-, le boulanger façonnait un bon pain, le
bistrotier assaisonnait une sympathique tirade au plaisir et l’unique épicier du cru
vendait un excellent steak haché. J’en ai connu de ces hommes et de ces femmes qui
pouvaient vivre chichement et fort bien. Ils possédaient peu mais
s’instruisaient par la radio, des journaux, des livres (contrairement à ce qu’on croit bourgeoisement de nos jours, le livre
était lu naguère dans les chaumières pauvres). Et les mieux doués
parvenaient même à obtenir une chaudière, un réfrigérateur et un poste de télévision dont jamais ils
n’abusaient. Les baptêmes, les mariages, les communions et les compétitions
de judo étaient de vraies fêtes saines où beaucoup se retrouvaient dans l’amitié
recouvrée. De nos jours, plus rien de cela. La messe est évanescente, le prêtre
hirsute vagabonde d’une paroisse à une autre laissant les clefs à des bigotes
dont je ne voudrais pas du sacrement pour un sou et les sauteries ont pris
l’empan d’un monde festif insignifiant. Enfin, si, certains s’en sortent, mais
je n’en parlerais pas car ils seraient aussitôt considérés par vous comme des
trafiquants, des délinquants… et je n’aimerais pas que ma prose serve à me
transformer en supplétif du contrôle social total, puisque ces rares esthètes
de la vie chiche ont construit leurs cabanes dans des espaces insoupçonnés. Une
autarcie sauvage, une épingle dans le pied du salut social perdu…
Malgré
cet état avancé de la « socialisation »
que je décris non sans nostalgie, reste heureusement une majorité triomphante dont
l’existence fourbit de mille avantages que les dons divins et profanes leur ont
confiés : famille en vue, argent, biens, métier artisanal respectable,
profession en vue, assurance en toute occasion, art de passer entre les
gouttes, moral d’acier, winner attitude,
économie parallèle, travail au noir, politique, double emploi, débrouille,
salaire idyllique, héritage, patrimoine foncier, bois, étang à poissons, etc. Qu’ils
en profitent pleinement, c’est tout ce que je leur souhaite dans notre monde où
l’église Saint-Sévère n’a été ravalée que pour assouvir le look touristique du lieu à défaut de contenant spirituel au moins
dominical. Pauvre pêcheur… martyr sirupeux et de si peu…
Revenons
au fait de notre verbe de malandrin. Pour tous, pour chacun de nous, en somme, les
illuminés sont nécessaires. Les croiser… mieux, les rencontrer par le livre (le Verbe) ou la présence (la parole) demeure une chance inespérée.
Ils redonnent le goût de surmonter une crise, un fait négatif dans une histoire
personnelle qui paraît insurmontable. Les
illuminés sont les saints laïcs d’un monde sans dieu, d’un monde où Dieu a été assassiné dans l’œuvre au noir de la société totale
instituée par le pointage généralisé de ses entités humaines.
Tant pis, tant pis
pour tout… les idiots causent, les idiots ne font que causer et les lois jouent
avec nos joies. Sourions, sourions encore pendant que les larmes des enfants
sèchent…
Directement
ou indirectement, par une chanson, une peinture, un livre surtout, une prière discrète
aussi, l’illuminé nous sert la poigne ou le neurone de l’amitié désintéressée –denrée si rare à l’heure des procureurs- de
qui n’a plus qu’une once d’espoir pour survivre. Il est cependant plus que louable,
vital pour ainsi dire, de s’éloigner de quelques faux prophètes, anarchistes et
humanistes socialisants ruminants les torpeurs des siècles de l’industrie
cramoisie. Car le malade, l’agonisant en détention ou l’abruti de drogues en
voie de suicide lent, mais aussi l’être désocialisé par désintégration, par des
dettes, le chômage… c’est dire le réprouvé social, le réprouvé de la santé, le
handicapé que l’on fuie du regard –ne
mentez pas !-, le clochard, tout
négro de l’autre… pour tous
l’illuminé est là… peut-être incident, sans sérénité, lui-même être
souffrant, vomi par des tiers, l’illuminé profane prêtre ou poète portera un
regard, crachera un mot, soufflera un psaume, publiera une parole d’amour pour
qui sait s’en saisir. La trace de sincérité sera préférée aux traces des draps
des replets de la forme sociale, adoptant plutôt le cisèlement sur le marbre de
la vérité qu’est le jaillissement de ce maître de vie, cet illuminé fou et sage
à la fois, puisque fou par excès de sagesse.
« J’avoue, j’en ai pas bavé, pas vous… mon
amour ».
Voilà
ce que chantait Gainsbourg dans ‘La
javanaise’ en 1963 au sortir d’une crise mystique dont ses exégètes
voudraient voir incarnée dans une créature. Filasses prosateurs. Chanson
d’amour par excellence, ‘La javanaise’
délivre des tourments qui déclassent les thêêtes contemporains, si
contemporains qu’ils en deviennent inexorablement mécontemporains. Ces essuyés,
lessivés, rayés des cadres formels des formes de « la vie normale », comme on le dit des essuie-glaces, du ruban
rouge au revers de la veste, sont les stériles hères de la bonté oubliée. En vrai, l’amour concentre toutes les
délinquances, toutes les guerres intimes contre soi, contre autrui, les peines
et les deuils, les licenciements et accidents, les erreurs et bêtises idiotes
aux conséquences inédites. L’amour est la seule cause de l’effondrement social.
La société putréfie l’amour, car
elle retouche chaque unité humaine en son passage obligé, sa concentration dans
la componction de sucrerie des « belles » pensées, des beaux
sentiments rendus obligatoires par la force des formes
spectaculaires-marchandes d’un Etat de droit (rires). Le désamour de soi n’est rien d’autre qu’un désamour
général et intégral pour la société qui entend nous morfondre dans les colis
piégés des bons sentiments, des bons comportements, des raisons gardées, des
états civils conformes, des curriculum
vitae d’excellence, des routes et sentiers, voies et autoroutes aussi bien
tracées que celles d’un ancien président de la République qui finit par poser
son auguste séant à l’Académie française, après publication de mièvreries pour
mémères débranchées de l’idée de dieu avec caresse sur son ventre, d’une lettre
d’amour éternelle pour n’avoir disserté qu’entre un chignon impeccable et de
jolies pensées… aussi communes et résumées dans les fausses perles et la
dévotion « pour mes enfants, pour
mon mari » et, probablement, son obtention dudit ruban rouge en
parvenant à cacher sa visite mensuelle aux putes ou à quelque giton d’EDF.
La
société, nous le constatons, et selon la perception très parcellaire que nous
en restituons ici, est un piège, une incarcération plus pénible -plus souvent qu’on ne veuille l’admettre-
qu’une authentique détention de 9m2 pour deux, ou trois selon le taux de
récidive. Bien des taulards de la planète sont plus libres que des êtres dits
sociaux. La société moderniste –et naturellement
de progrès- a perdu ses grandes voix, ses guides qui prennent la main, nous
entraînent avec sens et responsabilité, l’ensemble de ces êtres aux yeux de feu
qui couvent de bienveillance tous les autres. La société instituée a largement bâché la possibilité de bienveillance,
condamné la solidarité à devenir une charité de façade (si possible télévisée), détourné la fraternité (les guerres picrocholines interindividuelles
sont légion) et récupéré tous ses délateurs, tous ses adversaires eux aussi
ramassés dans ses filets pour hauts fonds. Les anarchistes surtout, ces si
romantiques, ces si scrupuleux militants-apôtres à se revendiquer de purs militants
de gauche, les plus purs parmi les plus purs, tous ces entichés de révolte
comme la canaille à son Uzi si prompte à fusiller pour une dose de shit. Révolté, l’anarchiste cultive son
dieu intérieur avec des valeurs de gauche et se fait le pharisien de la
société. L’anarchiste de gauche ne conteste jamais les valeurs
dominantes : il proteste simplement contre leur violation répétée par ceux
dont il a toujours contenu le secret espoir qu’ils en sont les meilleurs
gardiens. Décidément, je n’aime ni Léo Ferré ni ses clones, les socialistes
moralisateurs et républicains béats du moment.
En
bref, nous n’avons nul scrupule à mutiler les idéalistes fumeux à prétention
humaniste et leurs avatars. Ces cracheurs sur la croix demeurent imprégnés des
valeurs chrétiennes. Ils feignent de l’ignorer. Tout anar, tout humaniste de
gauche déiste ou athée, tout zélé droit-de-l’hommiste dominateur de l’action
publique n’en veut jamais au pouvoir. Jamais. Il n’en veut pas au pouvoir
d’être le pouvoir mais lui en veut de ne pas être en accord avec les paroles
qu’il prodigue aux gogos socialisés –socialistes ?-
et confondus de lire chaque jour les prompteurs des dénis des droits subjectifs
devant lesquels il pose ses genoux. Alors il hurle « plus jamais ça » dans de gentils cortèges parisiens et « ça »
recommence le lendemain (depuis 1986,
combien d’autres Malik Oussekine, et
combien de médaillés politiques en se hissant sur la pierre de son
cénotaphe ?). Or, le lendemain, il a chopé une autre cause, une autre
rumination militante, un autre leitmotiv de sa sieste intellectuelle et
critique. Il est si commode de militer, de se fondre dans un groupe, une tribu,
un triangle sectaire persuadé d’avoir raison sur les autres. Le militant est le
dernier des héros putride, la première insulte à l’homme naturel d’avant
l’actuelle société instituée pour des déracinés. Des déjà-morts.
La plaie sociale
est la question sociétale, c’est-à-dire la substitution de l’analyse politique
par le débat de société sur tous les fronts, si possible les plus renversés,
les plus stériles qui dressent des écrans de fumée sur la guerre qui vient
inexorablement et que tout à chacun veut fuir en idée. Grand bien fasse à ces
aveugles. La confusion généralisée par le funeste spectacle du spectacle
réalisé pour lui-même est le culte du militant devenu ce qui est : une
religiosité avec des dieux païens modernes, des préceptes, des exigences, des oukases déployées vers tous. Le militant
est le maton de la non-pensée, l’assistant social de la fin de la liberté
individuelle. Il est asservi à la technique de contrôle comme cette dernière a
besoin de lui. De droite, de gauche, incroyant et apostat, croyant et généreux,
il ne renverse à front déplié qu’une bien-pensance festive qui allume le feu du
seul spectacle.
Dès
à présent, nous comprenons pourquoi et comment sont morts Dieu, les poètes et les prêtres et cernons les causes de
notre médiocrité à tous d’avoir été les complices de l’expansion colonisatrice
de la société totale sur nos libertés.
Notre
mort d’humains sera bien douloureuse. Tant pis pour nous, tant que l’homo festivus
minute sa fin de vie par désinvolture pour cette histoire en actes dans le
présent.
Ainsi soit-il,
l’ennemi principal est la société instituée au présent et tous ses dévoués serviteurs
d’Etat l’instituant.
LSR
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