'Une' série de l'été : les beaufs (annonce)
‘Une’ série de
l’été : les beaufs
(épisode
préliminaire)
Beaufs
des champs, beaufs des villes, tous les beaufs nous intéressent au plus haut
point, surtout les plus envahissants, les plus idiots, les plus expressifs dans
la bêtise crasse. Les beaufs méchants et les gentils beaufs finalement si attachants
nous occuperont sans peine, vu qu’on les perçoit sans haine. Car il y a chez
eux de cette tendresse sucrée à les observer, à les respirer (hélas, quelquefois), à en parler comme si dépendait d’eux l’avenir
de nos bons temps estivaux. Nos beaufs à nous sont de toutes les classes
sociales, nous ne sommes pas sectaires chez les vipères. Et vous verrez qu’ils
forment légion dans la petite, moyenne et toute grande bourgeoisie, sans les
oublier dans les arts du spectacle et le mitan intello et militant. Peut-être
sommes-nous toujours le beauf de l’autre, va savoir…
Le
terme « beauf » a été
popularisé dans les années 70 par le dessinateur Cabu et trouvait depuis belle
lurettes son sens dans l’abréviation argotique de « beau-frère », cette figure estampillée du personnage vulgaire,
parfois sectaire, à l’aise dans les idées bornées autant qu’il s’entiche d’une
bouée pour pallier une existence superficielle, cette figure qui ne réfrène pas
ses obsessions récurrentes, enivré plus que de raison ou ne buvant pas du tout
alors qu’il le devrait pour le bonheur de son entourage, imbécile heureux,
grégaire et fier de partager son aisance en tous points et tous lieux, dont ses
fumets intestinaux. Le beauf envahit les lieux, son entourage, fulmine
alentour, s’arrange pour marquer son territoire et veut qu’on sache bien qu’il
existe et qu’il est chez lui chez tous.
Le beauf est souvent
de droite et souvent de gauche. Il est supporter d’un club de foot (de préférence le PSG, voir notre billet http://atelierserpentrouge.blogspot.fr/2014/07/mefie-toi-du-paris-saint-germain-psg.html) ou d’une troupe
de majorettes, va à la plage de Sainte-Maxime avec son fourbi ou préfère la fac
de Jussieu, est entrepreneur à Lyon ou ouvrier à Avallon, employé à Lille ou
banquier à Uzès, préside notre Chère France ou un conseil d’administration, fabrique
des bijoux à Volvic et « fait »
de la musique à Brest, adore son emploi de cadre à Bordeaux et peaufine sa
retraite dans une résidence vendéenne.
Le
beauf voue indifféremment Hannah Arendt, Martin Heidegger ou Karl Marx (et quelques autres selon les modes) au
firmament de la pensée et ne peut se passer de l’un d’eux en toute exclusivité malgré
ses mésinterprétations chroniques, car il a besoin plus que quiconque de croire
en l’auteur
suprême pour le ramener sur tous les tapis comme n’importe quel autre
croyant. Le beauf sait chanter avec aisance Patrick Bruel, la grande Sophie, Leo Ferré ou
Renaud et lit béat tout Musso et Nothomb une larme à l’œil comme s’il
découvrait le nombril d’Elvis Balzac. Les modes livresques vont vite, le beauf
préfère donc ne pas s’embarrasser de littérature et a une nette prédilection
pour les auteurs. Aussi, et en tout, le beauf ne peut s’empêcher d’être un fan inconditionnel, de Cloclo ou des
Eagles, de Madonna ou de Beyonce, de Dalida ou Jay-Z, du PC ou de l’AS Monaco. Le
beauf adore les franges des grandes causes humanistes. Surtout celles du temps
qui passe et qu’il oubliera aussitôt la prochaine cause venue pour les droits
de l’homme, de l’esturgeon et du bébé en gestation par autrui, de l’animal ou
de telle contrée inhospitalière.
Le
beauf a principalement la cause au
ventre, ferme, définitive, exclusive, rédhibitoire et aussi évanescente que ma
petite jupe d’été. Mais surtout, le beauf dépense sans compter ses économies ou
s’accommode de son talent pour transformer tout ce qu’il touche en du sordide,
du blafard, du mielleux, du chic ou du toc à larmes de Barbie et Bidibules.
Tenez, la moindre cause humaniste
deviendra forcément humanitaire, quitte à en tirer un profit couturé qu’il
saura organiser parmi ses semblables qui assisteront par la suite (et ensemble, je vous prie de le croire)
à de grandes messes cathodiques en direct, briquets en l’air, soussous donnés
contre billet à faire valoir au fisc lors de la déclaration annuelle sur le
revenu – c’est que le beauf donne volontiers
de bon cœur à condition qu’il en tire un petit quelque-chose dans son « éthique »
à prouver aux autres ou son rendement pécuniaire.
Qu’on
ne se méprenne pas sur nos intentions : le beauf est un ravi de la cour
des miracles et c’est heureux ! Il possède son propre langage, ses codes, ses us
et manie même des concepts comme l’éthique, la foi, l’espoir et le plus élevé
de tous, l’amour… ah l’amour (trémolos dans
la voix, s’il-vous-plaît), l’amour, l’amour, l’Amour… l’Amour indifférencié
avec un grand A, s’entend. Le beauf sait où est le Mal et vous donne des leçons
de Bien. Son maître est l’amour, seulement l’amour, pour sa meuf, son mec, sa famille choisie, la planète, ce qui
est joli sur terre, la bonne musique, les animaux sans défense en Afrique et nos amis de compagnie, les pâtes en
famille, la pizza entre copains, un match, la fête obligatoire, son parti politique préféré qui lui
corresponde, les JO, les JMJ, SOS, RTL, les sms, Twitter, FB, tous les
acronymes fun et les gadgets néo-ludiques…
D’ailleurs,
pour faire retour à son cadre de pensée
générique sans quoi il tombe malade (vous
savez : blanc-noir, amour-haine, progressiste-réactionnaire, fasciste-naturiste,
machiste-beauf, droite-gauche, méchant-gentil), notre beauf de droite trouve que Jean-François Copé représente le
gendre idéal même s’il a un petit côté canaille et m’as-tu-vu et célèbre Nadine Morano pour un canon d’intelligence. Notre beauf de gauche, pour sa part, espère
dans la génération montante de la CGT incarnée par Thierry Lepaon(*) que personne ne connaît et croit encore
plus en les vertus politiques des décolletés d’idées de Najat Vallaud-Belkacem
et Eva Joly dans un fatras d’options politiques pris entre les « meilleures choses » du centre, des
écolos et des socialistes surtout depuis que François Bayrou nous donne le
chemin de paix et de justice sociale. Le beauf de droite croit dur comme l’Europe
que Nicolas Bruni peut sauver notre mère-patrie quand le beauf de gauche a l’espérance
d’une « autre politique à gauche »
pour empêcher le FN d’arriver au second
tour. Le beauf un peu politisé,
et on sait combien les Français adorent la politique au point qu’ils la
raillent, s’en détournent, ne votent plus guère, sera dénommé Bloom
comme l’ont décrit d’autres si bien avant nous et ne jurent, ne pensent, s’éveillent
en sueur la nuit que pour le sacro-saint second tour de toutes les peurs à l’empan
démocrate.
Le
beauf est un sacré « colon ».
Je dirais qu’avec lui, nous sommes assurés de ne jamais être déçus pour la
prochaine chienlit préparatrice de guerre. Mieux, pour emprunter des termes si
chers à nos camarades francophones du Québec, une belle province
outre-Atlantique qui aurait tout intérêt, pour eux, pour nous, de venir dans le
giron de la mère-patrie, un beauf est une « tarla », un « gnochon »
indispensable au bonheur de l’humanité réconciliée avec la barbarie au
quotidien et, surtout, là-bas comme ici ou en Belgique, cette seconde zone
francophone qui connaitrait grand bienfait à rejoindre notre mère-patrie avant
d’imploser définitivement, le beauf est un Johnny, tel notre chanteur hexagonal
qui fait partie de ce que les Belges ont évacué dans les années 60 par une
opération de siphons bellement orchestrée.
Le
beauf est partout. Vraiment ? Certes, oui ! Il est « redneck » ou « white trash » aux Etats-Unis, « chaw » en Grande-Bretagne et encore « ars » en Israël, sans le confondre
avec un élément de Tsahal (parce qu’on n’aimerait pas qu’il nous lâche
sur le dos ses chiens tueurs du Mossad,
particulièrement sa division Metsada
passée maître en sabotages et meurtres clandestins en territoire étranger).
C’est que le beauf est international.
Il semblerait même qu’il s’agisse, aujourd’hui qu’il s’est internationalisé en
union, de la seule véritable internationale politiquement constituée et solide,
bien davantage que l’internationale
socialiste ou la IVème trotskysante (démultipliée
en deux, trois tendances ou secrétariats s’arrachant le podium pour le titre).
Outre
un Johnny, on peut aussi désigner notre beauf par les prénoms suivants :
un Gérard, une Nadine, une Vanesse (pour Vanessa), une Stef (ou Stefi, Stephi, au choix), une Sandy, une Coco, une Monique, un Roger, un Steevy, un Mustapha ou mieux, une Nabilla, Carla, Loana, Sabrina, Rachida, Angela, Kevina, Samantha… bref, tout idiome ou tout prénom passé dans la publicité
la plus crue, rencontré dans quelques aurores du sketch, dans le crépuscule de
la fiction, de la blague, du private joke,
de la satire, de la farce et du pastiche… et encore au travers du dialogue de
rue.
prise de vue : LSR |
En
somme, ne perdons pas de temps à croire ou espérer, rien n’a jamais vraiment changé
et tout coule en direction de la grande tuyauterie des déchets intimes de l’humanité
faite d’hommes. Seul le beauf est
glorieux car il est profondément trop
humain. De toute éternité, le beauf possède la panoplie du bienheureux.
Toujours et sans variation aucune, le beauf connut de beaux jours derrière lui,
en a sous lui et en convoquera d'autres encore devant lui. Le beauf est l’éternel
et sa soif du monde est son destin. Par les tripes.
Du plus lointain appel
au martyr,
Au plus serein moment
immortel,
Gloire aux beaufs,
gloire à toi, gloire à nous
au plus haut des
cieux,
au plus haut des
cieux !
LSR
(*)
Thierry Lepaon est, paraît-il, secrétaire général de la CGT, mais le sait-il
lui-même ? Comme tous ses admirateurs en interne, ses fans - entendez bien qu’au sein de la vieille CGT, les administratifs,
secrétaires, conseillers divers et militants payés qu’on appelle les « permanents » -, et durant le seul mandat
très-très rémunérateur, Lepaon sera adulé un peu comme Dieu-le-Père mais finira oublié mais rassasié. C’est que le train
de vie de tout secrétaire général de la Bourse
nationale du travail, sauf le très honnête Henri Krasucki qui ne s’en est
pas mis de côté – il a refusé d’y
conserver un bureau, s’en est allé à ses amours pour le livre et l’opéra -,
explose discrètement. Las, ce n’est rien en comparaison de l’excellente Nicole
Notat de la CFDT qui sut, en experte de l’auto-valorisation, capitaliser ses
appuis et réseaux souterrains (mieux,
bien plus efficace que Jean Kaspar, vite oublié mais passé après la CFDT à des
missions diplomatiques aux USA puis à des postes gratifiants en France et à
l’étranger) et diligenter la communication et les petites privatisations du
système ferré français, entre autres réjouissances modernistes et « progressistes ». C’est que le
syndicaliste, d’où qu’ils viennent, a l’humeur vantarde de s’auto-proclamer
forcément progressiste et moderne dans toutes ses actions, ses modes de vie
compris.
Cette longue note, tout futile qu’elle
paraisse, donne l’exemple du pouvoir inconscient du beauf. Sans lui, regroupé
dans les permanents, secrétaires et bureaucrates des organisations syndicales
et associatives, la gratification suprême des chefs suprêmes des syndicats
cadavériques n’existerait pas. Tout se tient, tous se tiennent entre les
parties et partis pris. L’Etat régalien a besoin d’une police sociale. Cette sous-flicaille
n’a plus besoin de représenter l’ensemble des travailleurs puisqu’il s’agit d’une
fiction rhétorique et juridique pour ce qu’il y a de meilleur en l’homme :
la concupiscence en partage,
autrement dénommée « dialogue social »
dans les catéchèses libérales-démocrates, ou plus prosaïquement fraternité (d’aucuns préféreront solidarité…
pourquoi pas, je ne suis pas bégueule et tout me convient pourvu qu’il porte du
signifiant).
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