Bleus, faîtes-les rêver !
L’ordre Bleu.
-Exégèse d’une
croyance de substitution.
« Pourquoi aimer les Bleus ? », « Croire », « On y
croit ! », telles sont les unes de quelques-uns de nos émoustillés
canards du premier jour de l’entame de leur croyance profane. Toute interview
radiophonique d’un anonyme, d’un ministre, d’un chanteur en passe
obligatoirement par un pronostic, un vœu, une foi mystique sur le devenir de l’équipe
nationale au Brésil. Un petit match et puis voilà… il faut faire rêver en ces
durs temps de relégation des espérances politiques concrètes.
Sous le maillot des Bleus,
cependant, ne se reflète en rien l’humeur générale d’un sport collectif qui, de
fait, baisse pavillon dans les campagnes et quartiers populaires dits « sensibles ». Le football amateur se
meurt tout doucement. Quelques échauffourées entre équipes, spectateurs, ou
encore altercations avec des arbitres, rien là de bien méchant mais qui se
présentent toujours comme les « horreurs
claniques » du foot devenu. Phénomène marginal, le frisson
antipopulaire de quelques journalistes est de placer un fait en événement
spectaculaire-marchand.
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Quelques terrains servent parfois à des tournois de Handball,
pour éviter de les abandonner aux herbes folles.
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Dans un entretien à Rue89
en juin 2013, Jamel Sandjak a décrit le fond de sa pensée : dans les banlieues, les gamins du foot sont
des révolutionnaires de droite. Jamel Sandjak n’est pas n’importe qui. Dans
les années 80, il a monté une équipe dans ce que l’on appelait déjà les « quartiers difficiles » de Noisy-Le-Sec,
en Seine-Saint-Denis. Depuis novembre 2012, il préside la Ligue de foot Paris /
Ile-de-France. Il est bon de rappeler des évidences, de parfois redonner à lire
ce qui donne du sens.
Pour Sandjak, dans les quartiers
populaires ruraux ou urbains, les jeunes Français sont marqués par les
difficultés subies par leurs parents à leur arrivée sur le territoire national,
entre brimades, moqueries, paternalismes, vexations, logements fourre-tout et salaires misérables. Les
jeunes générations sont ainsi les témoins ou auditeurs d’une prolétarisation
consentie pour beaucoup, subie pour la plupart. Aux espérances taries, surtout,
sur l’horreur économique réelle. Eux-mêmes égrènent les petits boulots ou le
chômage, des études qui ne garantissent pas une employabilité et des quartiers,
logements et conditions de vie au rabais. Aussi, Sandjak le dit clairement à
propos de quelques faits divers dans le foot amateur :
« Aujourd’hui, ces gamins-là sont des
révolutionnaires de droite, des
capitalistes des quartiers. Ils veulent s’habiller en Armani. Ils ont vraiment
l’impression de ne pas appartenir à notre société, d’être des
laissés-pour-compte, qu’ils sont là juste parce qu’ils sont là. Il y a une
vraie amertume, de la rancœur et comme ils n’ont pas d’autres outils, ils
s’expriment comme ça ».
Jamel Sandjak, dans ses activités de
responsable de club et de Ligue, a pas mal voyagé dans le pays. C’est qu’il en
connaît des stades de toutes les herbes, parfois de terre dure, abandonnés à
des volontaires et bénévoles déprimés aujourd’hui. Pour lui, il y a une unité
de sentiment, une unité des caractères entre ce que les jeunes prolétaires subissent
et sentent dans leur chair. Et d’ajouter, un brin contradictoire et conformiste,
sans doute dû à un rôle d’éducateur pris trop au sérieux :
« Heureusement, il n’y a pas d’unité, pas de
conscience politique des quartiers. Si elle existait, ce serait la révolution ».
Le mot est lâché, il fait peur. De son
point de vue s’entend. Pour sûr, il confond « révolution » (nécessairement encadrée, orchestrée par la
conjonction entre analyse concrète de la situation, organisation politique et
actions) et révolte, voire jacqueries
(sans conscience de classe autre que
sporadique, évanescente et surtout non encadrée politiquement menant à des
violences hirsutes). D’ailleurs notre homme en a conscience. Il l’exprime
au travers de son expérience nourrie d’observations et de ressentis, se
trompant malgré tout sur le sens de son propos, partant du fait qu’il qualifie
les jeunes de « révolutionnaires de
droite » sans perspective depuis vingt de politiques inabouties, de
maintien des mêmes « problèmes »
depuis vingt ans :
« Si un jour ils arrivent à se fédérer autour
d’un message politique, ça peut faire être très mal parce qu’ils n’ont pas les
outils pour juste revendiquer ou discuter. Les violences seraient extrêmes ».
Pour se fédérer, il faut se
concerter. Pour se concerter, il faut des organisations politiques créées pour
cela. Mes avis sont qu’ils se concertent dans une forme de suicide social pour
un ordre juridique autre que l’ordre légal.
Par les trafics, les vies parallèles, plutôt que de « faire de la politique », ils font du commerce en capitalistes
rudes, instaurant un autre ordre qu’ils se plaisent à croire légitime. En somme, ils agissent en
capitalistes primaires par bandes organisées dans et autour des trafics pour
quelques-uns, avec des alliances menées quelquefois sur des coups avec le grand
banditisme ou les mafias de l’Est et du Sud, quand d’autres profitent
indirectement d’une explosion sans pareille de l’économie souterraine. La majorité
reste elle au rebut. Qu’on souhaite détourner ou pas les yeux, elle a déjà fait
sécession : elle vivote, se débrouille, survit et s’arrange de cet état de
fait.
Le football n’est qu’un symptôme, une
croyance qui livre des enseignements sur ses prolétaires. On rêve de gagner de
l’argent, d’être reconnu ; si cela n’est pas possible, on lâche l’affaire.
Généralement, pour que cela soit possible, il faut de l’entregent, des qualités
sportives et morales… d’autant que les footeux sont repérés, recrutés comme des
étalons sur qui on mise gros dès 10-11 ans. Les apprentis-sorciers du football
professionnel sont des maquignons. Même Lilian Thuram le laisse entendre à
demi-mot, lui qui relevait d’une génération qui mariait encore sport et lycée
pour laisser au jeune le temps de trancher sur ses choix.
Enfin, si Jamel Sandjak déplore qu’en
banlieue, les clubs sont « les seuls
lieux structurants » quand il n’y a plus ni boîtes de nuit, ni bars et
de moins en moins de services publics, ajoutant qu’il est pratiqué par deux
millions de personnes, il omet deux choses : qu’il n’y a pas que le dancing et le bar pour s’éduquer dans
les quartiers populaires, mais l’école et l’apprentissage, et que la droite
révolutionnaire se tourne aussi dans des brassages d’organisations politisées
et sportives tournées autour de la recherche de l’identité, la boxe, les
actions identitaires, le coup de main et tout ce chemin progressivement mis en
place d’une société française fondée sur des communautés hétéroclites en lutte
permanente entre elles. Avec toutes ses dérives fascistoïdes, bien entendu.
Pour le coup, foot ou pas, gouvernants
et éditorialistes ont compris que les Bleus devaient faire rêver un peu pour
calmer les chaleurs… en attendant le pire… et en remplissant un peu les
socquettes aussi. En résumé, croire et faire croire en le foot, dieu profane
des peuples, pour maintenir volonté de puissance et peur reste la courte vue du
personnel dirigeant de nos affaires publiques.
LSR
Pour
retrouver cet entretien de Rue89 avec Jamel Sandjak :
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