Déambulation parisienne nocturne pour Lady Long Solo [10], par Raoul Bidard


Lady Long Solo au repos.

La douceur nocturne à Paris entraîne souvent des déambulations agréables au jarret pour Lady Long Solo. Les petites saignées du XVIIe arrondissement jusqu’à l’Etoile sont de formidables essais à la course rapide. Les trottoirs sont plein de ces fumeurs interdits de séance intérieure, de petits chiens en laisse à éviter. L’Etoile, le soir, a les aspects glauques des errements entre fictions et surréalités que l’on devine depuis le roman de Modiano de 1968. L’odeur des frasques du narrateur, installé dans le proxénétisme presque luxueux, imprègne semble-t-il encore les artères et immeubles de tout l’arrondissement de l’avis intime de Lady Long Solo.

Petit plat léger, vin jeune de Saint-Pourçain, ‑ il fait fondre les fromages sous la langue ‑ , Le Petit Bleu de la côte ouest de Manchette entre les mains, la Lady hume les heures de l’année 1976 en littérature noire. Mais son principal espoir réside dans la découverte de ce que le cadre est dans l’entreprise, la société. La conscience est affaire sociale dans la volonté. Dans l’accident, l’homme réalise le poids de son existence.

L’énergie de Pucker up Buttercup de Paul Jones, ce bluesman au bouquet de roses, agrémente la lumière tamisée nécessaire à la lecture rapide pour Lady Long Solo. Avant toute déambulation sans dérive en ville, la Lady n’obtempère jamais à la précipitation. Régler ses habitudes au millimètre est une occupation accessoire pour elle, mais elle en respecte le rituel.

23h45. Lady Long Solo chausse des souliers dédiés au sport. Noirs. Elle enfile pantalon et chandail. Noirs. Sur la petite platine, le final Guess I Just Fucked It All Up de Jones conclut les préparatifs.

23h55. Lady Long Solo donne deux tours de clefs à sa porte. Descente rapide des escaliers. L’ascenseur, c’est juste pour les poids morts.

Déambuler, pour la Lady, c’est marcher sans s’orienter plus que cela. C’est parcourir sans but la ville, sinon pour rejoindre un cri, un rire, une sirène de police. La nuit inspire le souffle rauque des fumeurs. Lady sait aussi qu’à chaque coin de rue, des fêtards peuvent lui proposer un verre.

Les restaurants se vident petit à petit. De rutilants 4x4 escortent des dames vers l’assèchement progressif des damoiseaux. Le XVIIe regorge de clubs privés, boîtes interlopes où les couples se mélangent, où le Champagne frelaté égaie les nouveaux riches russes de l’immobilier monégasque. La pierre remplit la panse, le béton assouvit l’usage de la puissance.

Lady Long Solo marche. Rythme soutenu. Fragilité des bras qui se balancent. Pucker up Buttercup… elle ne cesse de se rejouer le morceau dans la tête. Décidément, j’ai bien fait de me repasser ce disque. Paul Jones a le sens du désastre dans la joie.

Rue Poncelet, rue des Acacias, les clubbers reniflent le bas-ventre de Paris. Une odeur de sapes neuves et de nourriture asiatique est captée par Lady au gré du vent du monde. Elle, elle marche sans se retourner. Elle, elle se sent envahir par l’écume d’un océan démontée. Tarnos, peut-être ?

Tout à sa joie intérieure, rue d’Armaillé, Lady Long Solo est accostée par deux étudiants bien mis. ‑ Eh bien, Mademoiselle, ça vous dit de nous faire rentrer dans cette maison de mauvaise vie ?Pas vraiment, les garçonnets. Si vous alliez réviser vos partiels ou jouer avec vos copines de classe !? Elle relève son chandail. Ils n’ont pas l’habitude. La lame luit. Un silence de circonstance emporte les poupins dans leur monde. Illusions, fumées mauves et bavardages insensés pour noyer leur trouble… les deux bacheliers boivent toute la nuit. Deux insectes ramperont jusqu’à leur lie.

Raoul Bidard

 

 

 

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