Vers un syndicalisme de contrôle du "social"


{Gabegie généralisée en « démocratie sociale ».}

Nous ne pouvons dissimuler un vague dépit somme toute attendu face aux dérives de toutes sortes que nous observons concernant les institutions censées au moins défendre ou protéger les salariés. Au premier chef, un constat est fait : les organisations syndicales, les mutuelles, les organismes de prévoyance marquent leurs actions et pratiques par la seule gestion financière. Ces organisations se sont soigneusement institutionnalisées, je l’ai défini, et ont largement dépassé leurs seules obligations de gestion de trésorerie : là aussi, la finance a pris le pas. Et bien entendu, corollaire naturalisé, nous disposons désormais d’une institutionnalisation des prébendes, d’une sorte de professionnalisation avérée de « fonctionnaires » des organisations syndicales et des mutuelles assumant leur existence dans un confort matériel et intellectuel enviable.

L’adversité dite de classe, surannée dans les têtes de ses dirigeants, a été substituée par les dogmes de partenariat (social) et de compromis (de gestion). A jouer de manière ténue avec les règles de la bienséance républicaine, des normes de la politique instituée par les tenants de l’entreprise politicienne, les mutuelles et syndicats des salariés sont devenus des instances de cogestion permanente pour les accords nationaux interprofessionnels (ANI), l’apparence d’une gestion et direction paritaire des organismes de la protection sociale du pays. Le caractère d’échevinage de l’organisation juridictionnelle de la prud’homie, par l'évolution historique du Droit ouvrier devenu après vers 1890 Droit du travail, doublée d'une pratique à la fois contestataire excessive sans devenir force de réelles propositions pour construire l’émancipation intégrale des travailleurs, quand elles l’ont réalisé pour gérer leurs prérogatives sociales dans l’entreprise et dans les organismes sociaux, tout cela a contribué durablement à transformer le syndicalisme et le mutualisme en une profession à part entière.

Dès 1865 (déjà !), Karl Marx pouvait affirmer, à partir de son observation (IN : Salaire, prix et profit, Ed. Sociales, 1969, p. 74) : 
« Les syndicats agissent utilement en tant que centres de résistance aux empiètements du capital. Ils manquent en partie leur but dès qu'ils font un emploi peu judicieux de leur puissance. Ils manquent entièrement leur but dès qu'ils se bornent à une guerre d'escarmouches contre les effets du régime existant, au lieu de travailler en même temps à sa transformation et de se servir de leur force organisée comme d'un levier pour l'émancipation définitive de la classe travailleuse, c'est-à-dire pour l'abolition définitive du salariat ».

Cette observation, parmi d’autres, peut servir de repère pour deviner que personne n’a véritablement pris à bras le corps la question de la remise en cause du salariat dans les entreprises syndicales ces dernières années. Au contraire, ce sont davantage les penseurs libéraux et les organisations patronales qui ont songé, de leur point de vue, à une suppression progressive du salariat par la substitution du droit commercial au caractère du contrat de travail.

Pour autant, en droit, le contrat de travail n’est défini que par la doctrine et la jurisprudence :
« Le contrat de travail est une convention par laquelle une personne physique s’engage à mettre son activité au profit d’une autre personne, physique ou morale, sous la subordination de laquelle elle se place moyennant une rémunération » (définition des professeurs Pelissier, Supiot et Jeammaud, Camerlynck, partant de la décision de la Cour de cassation, chambre sociale, rendue le 22 juillet 1954).


De là, il en ressort trois critères cumulatifs du contrat de travail, que le travailleur relève du privé ou du public : une prestation de travail, une rémunération en contrepartie de la relation de travail et un lien juridique de subordination. Si l’un des trois critères saute, puisque les trois critères sont cumulatifs en droit, c’est tout l’édifice de la définition, puis de la qualification du contrat de travail alloué au travailleur, qui disparaissent.

Dès lors que l’on induit des critères d’objectifs à tenir, où que l’on substitue malignement un lien de subordination commerciale, on revient forcément au droit commercial qui lie employé-employeur, au contrat de louage de sa force de travail, parfois aux pires subordinations du travail à domicile le plus rétrograde. De même, naît le travail indépendant et surgit le contrat commercial entre un travailleur et un employeur-client ou donneur d’ordres, par la fameuse mise en place des travailleurs non-salariés –TNS- institués par la loi de février 1994, dite loi Madelin qui, certes, a soutenu son encadrement légal pour sa protection sociale, notamment. Cela ne pose-t-il pas des questions sur le refus de syndiquer certaines catégories de travailleurs à la CGT ?

Au plan politique, l’institutionnalisation des « partenaires sociaux » majoritaires (nous passons sur les dispositifs récents, dont la loi d’août 2008 portant « rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail ») statufient la professionnalisation du syndicalisme. Elle sert l’intérêt majoritaire des forces hostiles à une conduite émancipatrice.

Au plan social, il devient notoire que les permanents et salariés des organisations syndicales (des comités centraux d’entreprises, etc.) démontrent à quel point la voie est plus lucrative et éprise de symboliques d’un pouvoir sur les inférieurs que sont les adhérents et travailleurs non syndiqués. Qui a un jour visité les bourses nationales du travail de la rue de Paris, à Montreuil-sous-Bois, de l’avenue du Maine ou de la rue de la Villette, à Paris, n’a pu que voir beaux bureaux, belles conditions d’exercice des mandats, voitures rutilantes mises à disposition, y compris en possédant pour certaines des plaques de police… et un taux de Légions d’honneur affichés aux boutonnières des vestes et tailleurs supérieur à ce qu'on aperçoit chez les parlementaires Français. Certains, sans doute mal intentionnés en esprit, disent sans vergogne que des rosettes sont données « pour services rendus au patronat ». Pour sûr, je n’ose le croire !

Hormis ces constats, il paraît nécessaire de transmettre le message suivant à ceux qui ont encore (la) foi en les désintéressements dévoués des syndicalistes en « démocratie sociale »… pour en finir avec la cécité généralisée, il devient louable de ne pas sous-louer sa force de réflexion, ses facultés critiques.

Il a résulté, après réflexion et en conscience, que toi, Patrick, tu as cédé à quelques exigences étranges. Mes camarades de la FERC SUP sont eux consternés par tes décisions récentes. Bien sûr, tu es maître sur tes terres. Sache que j’ai été seul devant mes juges et le ministère public, puisque nous sommes toujours seuls sous main de justice durant des mois. A mon sens, la condamnation de tout syndicaliste dans l’exercice de son mandat, même simple et formelle aux yeux des magistrats (8 jours-amende par exemple, ce qui n'est strictement rien), peut conduire toute administration ou tout employeur à non pas seulement fermer le ban pour la CGT dans les différentes IRP en interne, mais aussi trouver là prétexte à poursuites disciplinaires ultérieures dans l'idée de les faire virer de la fonction publique ou de leur entreprise. Je te le rappelle, mais tu le sais mieux que moi, nombreux sont les cas judiciaires entraînant cessation et radiation des cadres de la Fonction publique et perte de tous droits, y compris en termes de retraite, de militants CGT des collectivités territoriales, de la police, des travailleurs de l'Etat, etc. qui l'ont vécu ces quinze dernières années. Nous devons tous avoir présent à l'esprit et en toute connaissance des conséquences putatives de ce que signifie être sous main de justice, pour notamment un fonctionnaire : ce peut devenir, s'il perd son affaire, un risque professionnel et d'existence. Un risque durable.

Tel est l’un des enjeux de l’organisation claire et sérieuse du travail juridico-syndical dans ton UD. Elle ne souffre plus de latence. Toutes les actions en justice civile ou administrative ne relèvent pas de la seule vue pécuniaire. Elles ne relèvent plus de la seule observation syndicale et/ou pratique militante, pour l'exprimer ainsi, mais avant tout de l'état du sujet de droit in specie, quelquefois qualifié de prévenu, mais de toute éternité son exigence de rester droit, de sauvegarder son honneur dans les torpeurs des conditions de travail et de vie.

Cher Camarade, Cher Patrick, tu m’as blessé, mais je t’absous bien volontiers, car tu n’y vois pas bien clair dans cette période d’avant-guerre, comme tout à chacun. Non content de t’absoudre, je poursuivrai ad evidentiam igitur de te qualifier comme Mon camarade, malgré ta parole en fumerolle ou ta simple maladresse dans ton management. Comme écrit par mon sms vendredi, je persiste et signe : je ne retiens pas ta mesurette d’être invité de temps à autre à la CE et de travailler directement avec toi ; je travaillerai en juriste autonome et libre, allant où je veux, quand je veux, parce que jamais personne ne m’interdit d’écrire et penser ce qui relève de mon entendement souverain. Je ne serai pas l’invité d’une CE. Eh oui, je ne suis pas même invité présentement au congrès de Nangis à compter de demain ! Etrange monde, n’est-il pas !? Nous demandons à devenir tout et nous ne sommes rien, caractère striant la civilisation qui nous est faîtes. 

Crois-moi, Mon Cher Camarade Patrick, le beau mot de « camarade » n'est jamais un vain terme qui nous sert à nous affubler entre nous commodément depuis la fin du XVIIIe siècle dans la tradition de la lutte sociale et politique. Ce beau mot de « camarade » vibre au cœur et en esprit du fondement de ce qu'est l'origine de la résistance par des luttes concrètes pour toutes les parties les plus faibles au contrat de travail et/ou sans contrat de travail.

Aussi, si nos camarades du droit ouvrier ou justiciables sont atomisés, éparpillés, nous serions collectivement une fois de plus amenés à perdre des droits que nos anciens avant nous ont acquis dans les âpres luttes depuis 1895, dans leur chair parfois présentée devant la mitraille.

Mais nos camarades justiciables ne perdront pas. Nous continuerons de les soutenir par nos conseils, pour qu'ils soient armés devant leurs employeurs, leurs juges.

Nos camarades du droit ouvrier ou les travailleurs justiciables ne perdront pas parce que nous sommes les confédérés du travail. Nous sommes une force agissante, une force plus générale que l'irrédentisme des capitalistes drapés dans leurs manœuvres dilatoires, à l'instar de tous ceux qui s'autorisent de tout enivrement dans la croyance irénique (ou religieuse, à vous de choisir le terme) en toutes ces institutions se parant de vertus privatisant le Bien public, à défaut de générer les vertus publiques par l'institution imaginaire et autonome (auto nomos, se faire sa propre loi) de la démocratie authentique des travailleurs.

Vois-tu, Patrick, une leçon doit être tirée de cette mienne anicroche légitime et présente. L’essentiel est de toujours dire et dire encore ce que l'on porte. Le verbe importe, mais les mots importent peu dans leurs choix formels, quand le poing est dressé pour faire ce signe d'union entre nous, en effaçant la distillation des querelles du prurit des egos, des structures périssables comme la chair quittera sous peu nos os au jour du trépas.

Car la CGT, c’est toi et moi, c'est nous tels que nous sommes… et ce « nous » reste un serment d'entraide contre la casse du droit social, face à toutes les directions publiques et privées. Hier, les dominateurs expédiaient la troupe contre les syndicalistes ; en 1948, à La Grand-Combe, il y eut même une auto-mitrailleuse à canon de 17 contre les gueules noires. Aujourd'hui, ils nous mitraillent avec leurs lois, leurs DRH, leur Europe organisée en syndicat de l'anarchie capitaliste et même pléthore de syndicalistes passés de l'autre côté de la barricade.

Mais nous ne sommes pas de ceux-là, toi et moi. Nous avons en partage l’énergie, nous œuvrons dans l’espérance concrète de créer les conditions de renforcer nos bases militantes, d’élucider les situations concrètes, d’aider les travailleurs à rejoindre notre CGT pour mener la lutte d’ensemble, la lutte classe contre classe sans laquelle nulle vie ne vaut la peine d’être ferrée.

Partout l'espoir ne transige jamais, même dans les défaites provisoires. Ce 8 juin, les Cheminots CGT de Versailles publiaient un très beau mot d'ordre :
« Plus de 100 cheminots grévistes ont envahi la direction de l’Etablissement Traction de Paris Rive Gauche.
La direction sous pression nous a confirmé sans honte qu'elle allait dénoncer nos accords locaux, conformément aux directives nationales, dont le parcours professionnel vers le TGV, le midi/midi, les grilles de repos et les accords taxis : AUX ARMES, CONDUCTEURS, DEFENDONS NOS CONDITIONS DE VIE ET DE TRAVAIL !!! »

C’est aussi pourquoi qu’advienne, et vite, un appel à organiser le regroupement de tous les militants et travailleurs sympathisants de la CGT-FO, de SUD, de la FSU, de la CNT, etc. dans une CGT d’union des luttes exigeant l'abrogation des différentes lois travail (elles ont transformé l'entreprise en « communauté de destin », ce qui rappelle la théologie politique des M. Heidegger et C. Schmitt, nazis notoires et modèles pour les constructeurs de la Reich UE), l'abrogation des lois de 2004 et 2010 relatives à la retraite, l'abrogation du droit matériel de l'UE en toute les subsidiarités juridiques de la France, la sortie de toutes les institutions de compromission avec nos adversaires qui nous ont déclaré la guerre et nous obligent à bourrer servilement de poudre noire les balles qu’ils finiront de nous coller dans la bouche.

Nous gagnerons ensemble, Mon Cher Camarade, parce que nous nous battrons pour eux et avec eux comme nous luttons pour la reconnaissance de nos droits qui se trouvent (encore !) dans nos textes principiels (Constitution, OIT, CEDH, codes et jurisprudences), à condition de ne pas déserter la solidarité de classe consubstantielle du combat juridique que chaque jour nous devons mener.

Là réside tout le substrat de la fraternité de cœur, d'esprit et dans l'union des luttes au sein de la CGT.

Un avant dernier mot. Ne t'inquiète pas de ce long message. In solidum, tout est toujours très vite oublié, car plus personne ne lit vraiment les proses syndicales. C'est le propre des liquidations politiques, les exécuteurs ont toujours raison. C'est bien pour cela que le capitalisme n'en finit pas de persister et asservir le plus grand nombre. Quand il vient de la CGT en interne, c'est pire, tous aux abris, sauvons le corps malade ! Nos trois camarades cités en préambule auront eux aussi un jour un pot de chrysanthèmes entouré de l'hommage de leurs camarades. Alors, proclamons avec Justinien, Juventuti cupidare legem et sauvons la jeunesse éternelle. En attendant, je m'en vais rédiger les conclusions d'un fort excellent Défenseur syndical du 77 que j'admire beaucoup pour la qualité de ses engagements, comme j'admire quelques militants dont je tais les prénoms par pudeur.

Je te souhaite, Cher Patrick, Cher Camarade, un très bon congrès & boirai vendredi après-midi mon thé Rouge & Noir en ayant une pensée émue à deviner ta satisfaction du devoir accompli.  

Avec mes sentiments très fraternels,
O






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