L'incurie du syndicalisme "moderne"
{Exemple récent de l’incurie
de syndicalistes au tribunal, ou d’une bataille juridique perdue pour 102
travailleurs est une bataille perdue pour tous !}
Je
pars d’une mienne note réalisée pour le Groupe de Travail juridique de
la FERC SUP auquel j’appartiens. Tu noteras, Patrick, qu’elle est importante,
non pas simplement pour le droit de la preuve, mais pour la nécessité des
travailleurs, en leur défense, de collectiviser les saisines.
Le
4 avril 2018, la Chambre sociale de la Cour de cassation a brisé les
prétentions de personnels de droit privé de La Poste. Devant les prud’hommes de
Paris, un rappel de salaires au titre du « complément Poste »
avait bénéficié à une salariée rejoint par cent deux autres postulants, arguant
qu’ils avaient été lésés par rapport aux agents de droit public sur le principe
d’égalité de traitement. Par un arrêt de principe, à la suite de contentieux
sériels, dûment assorti d’une note explicative (Cass. soc., 4- 4-18,
n°16-27703, PBRI), la Cour de cassation en a disposé autrement : elle a
cassé et annulé en toutes leurs dispositions les jugements rendus le 3 août
2016 entre les parties par le conseil de prud’hommes de Paris. Elle a débouté
les salariés de leurs demandes de rappel de salaires au titre du « complément
Poste » pour la période allant de février 2010 à janvier 2015, qu’ils
avaient réussi à faire valoir devant la juridiction prud’homale. Car pour la
Cour de cassation, c’est à celui qui invoque une atteinte au principe d’égalité
de traitement de démontrer qu’il se trouve dans une situation identique ou
similaire à celui auquel il se compare. Cela découle à la fois de l’article
1353 du Code civil (anc. art. 1315) et d’un adage de droit romain : Actori
incumbit probatio. La Cour de cassation n’en a pas moins donné une
publicité maximale à cet arrêt en le diffusant sur tous ses supports. En
l’espèce, il appartenait à chaque salarié de démontrer qu’il exerçait des
fonctions identiques ou similaires à celles du fonctionnaire auquel il se
comparait, pour réclamer le différentiel du « complément Poste ».
Bien en a pris en l’espèce à la Chambre sociale : les motivations
syndicales sont souvent caractérisées par l’usage de moyens subjectifs, sans
appétence pour un travail mené en profondeur sur toutes les branches du droit
et le droit de la preuve comme recherche impérieuse, et ce dès la saisine de la
première juridiction : public, privé, histoire du droit. Les questions de
droit posées successivement en différents pourvois, et portant sur l’harmonisation
du régime de rémunération de deux catégories de personnels, méritait en effet
explication. Il est rappelé que La Poste avait institué un « complément
poste » et s’était engagée à ce que les agents d’un même niveau de
fonctions, quel que soit leur statut, perçoivent un complément indemnitaire
d’un montant équivalent, sauf à distinguer les intéressés selon leurs mérites
individuels. En tout, le demandeur doit présenter des preuves et ne pas se
contenter de s’auto-proclamer d’un putatif « bon droit » par
paresse méprisante de la fusion revendications/travail juridico-syndical. Grave
erreur, ici, car évidemment d’autres travailleurs d’autres secteurs à
personnels de droit privé et droit public ont perdu un très sérieux moyen de
droit qui eut pu servir de lance pour une évolution jurisprudentielle de
combat.
Cette
paresse intellectuelle crasse conduit nos aïeux à faire la toupie dans leurs
bières. D’un temps pas si lointain, des gars et des filles de Nemours
plaidaient jusqu’à la Cour de cassation. Les Gitton,
Deslandes, Pascault et consorts étaient consultés par des Maîtres
Boyer, Bouaziz et autres (des avocats de la CGT et du PCF). Ah, bien sûr, ils
ne se contentaient pas de la lecture d’un seul manuel. Inlassables, ils se
formaient, ils apprenaient, ils cherchaient et, en plus des heures à l’usine et
des heures passées pour la CGT, ils se constituaient des bibliothèques
collectives dans les ateliers de Quartz & Silice et Corning,
s’échangeaient leurs conclusions et leurs rédactions et motivations (jugements)
et y passaient des heures en vue de construire l’émancipation d’un seul pour
l’émancipation de tous (ou inversement). Ils étaient verriers,
libres et fiers. Fiers parce qu’ils honoraient la parole et le travail
collectif pour s’élever dans et pour la CGT. Aujourd’hui, la plupart
du temps, c’est chacun dans son coin, un travail syndical individualiste pour
se façonner sa petite gloriole et surtout de ces désagréables postures
dolosives pour le vrai travail collectif qui libère. En somme, l’homo
festivus règne dans nos propres rangs avec pour seul horizon son curriculum
vitae, parfois en se faisant payer de très onéreuses formations par CNAM-entreprises
ou d’autres lieux qui déforment en quinze jours à condition de débourser 6.000
euros… unités d’enseignements au rabais, à dire vrai.
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