Sacrifice du poulet ?




{Quel sens au sacrifice de l’engagement total pour le travail juridico-syndical ?
Pourquoi l’UD 77, comme dans de nombreux autres territoires, cogère le désordre et orchestre une parcellisation anonyme des tâches par essence œuvres communes ?}

Ces derniers mois, j’ai participé sans mandat à l'œuvre commune de fédérer quelque peu le désert juridico-syndical de notre territoire Sud. J’ai rencontré de nombreux camarades, en tant que Défenseur syndical. Tu me l’as fait sentir, Patrick, cela t’a déplu. D’où ta proposition de devenir DLAJ lors du congrès. Était-ce une manœuvre ? Je n'ose le croire. Un chef contrôle ses ouailles, cela est bien entendu normalisé. Eh bien, je continuerai davantage, en juriste encore plus autonome, en rendant compte aux militants et justiciables. Car, je te fais un aveu, après quelques auditions aux CPH de Fontainebleau, de Paris, de Créteil, je suis atterré et attristé d’écouter dans des conseils de prud’hommes comment quelques-uns de nos juges rendent la justice au nom du peuple. Parfois, ce sont les syndicalistes du patronat… qui rappellent le droit en faveur de la partie faible au contrat : le salarié. Monde inversé ! Je suis attristé et atterré, mais je n’en reste pas là. Je veux en tirer des enseignements que je te soumets, surtout au moment où tu as curieusement choisi, Patrick, de sacrifier le mouvement émulateur qui naissait ces derniers temps pour une collectivisation du travail juridico-syndical dans notre UD, mouvement de Défenseurs syndicaux et militants de haute valeur qui veulent hic et nunc coordonner et mutualiser leur autoformation, leurs conclusions et notes juridiques précises.

Pour ce faire, et en premier lieu, je n'hésite pas à fustiger de ces pudeurs d'un syndicalisme pusillanime qui imagine que la bataille revendicative prime sur l'urgence juridique de répondre à des attaques contre des camarades et/ou salariés. Car il va de soi que travail revendicatif et travail juridico-syndical relèvent d’une même dialectique au sein de notre syndicalisme confédéré. Je tais ici l’urgence sociale et politique, elle relèverait d’un débat en congrès confédéral.

Permets-moi cependant de te renvoyer aux interventions du Congrès confédéral de Strasbourg de 1999 qui mettait le doigt sur la faille de notre orientation confédérale en matière de bataille juridique. Depuis lors, la situation s’est durablement aggravée. PRUDIS-CGT, notre organisme de formation des conseillers prud’hommes, disposait d’un budget de 33,2 millions d’euros en 2006. Notre camarade Jean-Claude Lam, directeur de PRUDIS de 1988 à 2004 confiait ce qui ne manque pas de nous effarer :
« Une partie importante – plus de la moitié – est utilisée à d’autres fins. En interne, affirme-t-il, l’argument de la CGT est que la formation juridique est moins prioritaire que la lutte pour les revendications » (IN : Lenglet, R., Touly, JL, Montgermont, C., L’Argent noir des syndicats, Ed. Fayard, Paris, 2008, p. 158).

Un camarade témoigne à Roger Lenglet que le « magot » de la formation professionnelle pour les confédérations syndicales sert à alimenter les appareils et le financement des permanents :
« Pour récupérer en partie l’argent de la formation professionnelle, on s’arrange avec ces centres formateurs qui surfacturent leurs prestations – ou facturent carrément des formations fictives – et l’on reverse ensuite discrètement aux syndicats une partie des bénéfices indus » (ibid., p. 156).

Sont-ce des pratiques exclusives de la CGT ? Bien sûr que non. Toutes les organisations syndicales patronales et des travailleurs profitent de ce « système mafieux », pour reprendre la substance d’une partie du chapitre « Le pillage organisé de la formation professionnelle », IN : ss. la dir. Collombat, B., et Servenay, D., Histoire secrète du patronat de 1945 à nos jours (Ed. La Découverte, Paris, 2009, p. 204 et ss.) qui rappelle ces faits, principalement de ces chevronnés syndicalistes en surfacturations et emplois fictifs que sont devenues nos organisations syndicales représentatives.

D’autres pudeurs sont le fruit de l'esprit scolaire de quelques syndicalistes-juristes parisiens déformés par l'hyperspécialisation et l’esprit religieux de cours appris par coeur. En réalité, ils le sont parce qu’ils ont intégré dans leur chair et leur cerveau la division sociale du travail qu’ils feignent de combattre hors de tout acte crédible -sinon de vagues tracts en écriture inclusive, pour faire mode- au sein même de nos organisations. Dotés de l’esprit de perroquet et d’un manque de curiosité que nous blâmerions chez l’enfant, ils perçoivent leur champ disciplinaire comme la « mère des matières », sans culture juridique véritable, sans cette culture d'ensemble éprouvée qui doit présider au travail sur des cas individuels ou collectifs. Villey, juriste catholique, Stoyanovitch, juriste marxiste, ou encore Commaille, sociologue du droit de nos jours, n’ont jamais cessé de mettre à mal les juristes peu imaginatifs, bornés et peu curieux d’histoire, de philosophie et de l’histoire de la lutte des classes.

A ce titre, Michel Villey, bien qu’adversaire de Marx mais admiratif de son penser fécond, a à maintes reprises émis des plaintes contre la culture déchue des syndicalistes CGT de la Sorbonne, à partir de 1981, « oublieux des enseignements pratiques que la grande histoire de la lutte des classes que défendait, à juste raison, des marxistes instruits (…) ce qui ne semble plus le cas, parce qu’ils sont les gestionnaires directs du Ministère et de leur esprit de carrière (…) » (cf. Carnet XXIV, 1980-1988, p. 473 et ss., IN : Réflexions sur la philosophie et le droit, PUF, 1995 ; lire encore l’édifiant article rédigé à partir du compte-rendu de l’assemblée plénière de l’UER de Droit et sciences du 17 août 1970, « politique et droit, et sur un "Discours peri tout dikaiou" attribué à Aristote », p. 235 et ss., IN : Critique de la pensée juridique moderne, Ed. Dalloz, 1976).


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