A voir, expositions photos chez Cartier : Fernell Franco & Daido Mirayama
Deux expos qui secouent.
La fondation Cartier, sise boulevard Raspail à Paris,
organise jusqu’au 5 juin de cette année deux expos photos. L’une de Fernell
Franco, photographe Colombien, l’autre de Daido Mirayama, photographe Japonais.
Fernell Franco
(1942-2006) est considéré comme l’un des artistes majeurs d’Amérique latine. Le
travail qui est présenté sous le nom de « Cali clair-obscur » représente dix séries différentes (Démolitions, Paysages portuaires, Marchandises
emballées, Intérieurs et billard qui était un vecteur social, Prostitution)
réalisées entre 1970 et 1996. C’est la première rétrospective européenne de son
œuvre.
Les photos en noir et blanc, toutes réalisées à Cali avant
et après que le trafic de drogue se soit installé dans la ville, sont empruntes
de nostalgie et de regrets. Le photographe se sent floué à l’évidence de ce que
fut la vie dans sa ville avant sa chute dans le trafic et ce qu’il en est
advenu après que cela n’ait modifié les rapports sociaux. Ses photos sont
fortement marquées par le cinéma mexicain néoréaliste.
On sent nettement la volonté de situer son œuvre dans
ce mouvement de décrépitude qu’il vivait mal. Il allait quelquefois jusqu’à ne
pas fixer ses tirages qu’il considérait comme éphémères. Comme si le temps ne
méritait plus qu’ils survivent, alors que les tirages avant le trafic, et
surtout les salles de billards, lui laissaient libre cours pour exprimer un jeu
d’ombres et de lumière relevant l’ambiance sociale des lieux. De cette époque,
il reste aussi des agrandissements identiques de différentes densités qui
créent des ambiances différentes à partir du même négatif.
On ressort très marqué par l’investissement évident du
photographe dans ses travaux, de la volonté qu’il a eu de nous faire partager
un ressenti douloureux.
Les photos noir et blanc de Daido Moriyama avaient déjà été présentées chez Cartier en 2003.
Aujourd’hui, l’expo est complétée par les photos couleur. Les noir et blanc
appartiennent à la série « Dogs and
mesh tights ». Elles sont visibles en projection, les couleurs appartiennent
à la série « Daido Tokyo »
sous forme d’agrandissement.
Moriyama peut être assimilé à un street photographer dans la mesure où son travail se fait dans la
rue. Il arpente les rues de Tokyo et autres villes à longueur de temps pour en
extraire des indices de vie, souvent en gros plan pour la couleur. C’est un jeu
de couleurs qui se complètent ou s’opposent et dont les choix peuvent
surprendre, car elles ne sont pas corrigées. Les tirages sont exposés brut de
décoffrage et souvent mal cadrés car l’auteur les sent ainsi et qu’il n’entend
pas “esthétiser“ son travail pour
plaire. Cela ressemble quelquefois à une foire à la couleur, mais il faut avoir
pris connaissance de son CV pour aborder l’œuvre.
Les photos en noir et blanc, d’abord, sont toutes
verticales (projetées sur plus de 2
mètres de haut). Contempler Tokyo tout en hauteur est assez facile par le
fait qu’il s’agit souvent de plans serrés. La succession d’arrière-cours
nauséabondes, d’alignement de conditionneurs d’air et de tuyaux de chauffage
finit par lasser, d’autant que les tirages sont assez durs. Les quelques vues
de rues, pour intéressantes qu’elles soient dans leur composition, ne
présentent malheureusement pas de présence humaine. Il faut attendre des plans
plus larges pour voir apparaître des gens qui à la fois dynamisent et habillent
le décor.
Quel est le propos de Moriyama ? Il déclare :
« Le noir et blanc exprime mon monde intérieur, les émotions
et les sensations que j’ai quotidiennement… ». Cela dégage une force
certaine. On peut donc lui accorder que sa vie n’est pas si gaie si l’on se
réfère à ce qu’il nous présente et qui ressemble fortement aux aspects cachés
d’une ville comme Tokyo. Quoi qu’il en soi, c’est de son ressenti qu’il s’agit
et on ne peut pas lui reprocher de faire de l’art avec une vision assez trash et personnelle de l’endroit où il
vit.
Patrice C.
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