De la foi dévoyée ou ce qui rassemble le curé & le militant politique installés


Aux passants du Serpent,

J’aimerais pouvoir vous narrer les substantifiques impressions que j’inhalerais auprès des fonts baptismaux si j’étais un homme affable, un de ces bons pasteurs parmi un non moins bon troupeau de fidèles au Très-Haut. Sûr, je ressemblerais à ces jeunes prélats d’Ancien Régime repus de chairs partagées avec mes paroissiens, parcourant le cœur en feu l’Europe pour des voyages en bibliothèques et musées et, bien entendu, quelques chaires partagées avec les Grands des institutions.

Tout jeune homme avisé, désireux de calme méditatif et d'aisance sociale, peut envisager la prêtrise. Un aspect social important de la prêtrise catholique dévisage un caractère commun à toute foi : politique et religieuse.

Personnellement, j'ai de plus en plus de mal avec le commun de la foi partagé par le curé patenôtre et le militant cuirassé des déclins enchanteurs : réponse à tout, recherche du raisonnable de la chose vanté en tout (la doxa), sans aucune perturbation du hiatus entre doute et sang du monde, sont autant de fêlures qui nous laissent, plébéiens, un monde chaotique. Non que je désire vanter ici le doute, mais la foi rend la conversation au bout d'un certain temps empreinte de lassitude. Ainsi, je privilégie volontiers la liberté de pensée.

Ita est, le prêtre et le militant politique sont bornés par leur institution respective. Le bornage, voire l'assolement intellectuel de l'homme de foi, la circonspection et le glissement absolu de l'instantané sur lui aboutissent à cette sorte de caducité dans l'existence. Un brin de stupeur le glace toujours si l’on ne comprend pas son engagement forcément entretenu tout au fond de son âme de vainqueur altruiste.

Certes, la foi dispose de tous les ressorts possibles : la foi dévoyée (l'islamiste, le gauchiste, le "tradi" para-chrétien ; elle relève de l'ordre de la psyché dérangée), la raison dévoyée (les ratiocineurs, les fous du chiffre, de l'ordre de la béquille idéelle), la foi raisonnable (le doute du chrétien, le philosophe doux, de l'ordre du déclin dans un monde en furie), le calcul instrumental (le pari pascalien, le pari d'un au-delà vertueux, la carrière, de l'ordre de la volonté d'assise sociale), etc. Elle est régie par un trait commun : l'au-delà et l'espérance ici-bas, la volonté de faire et agir, l’action cernée dans le devoir-être. Voilà pour les traits communs. Pour autant, la schize opère ses débours.

D’évidence, de grands croyants bouleversent le monde. Mais les mystiques, me semble-t-il au prisme de mes goûts et connaissances, sont plutôt isolés parmi eux pour penser, créer, transmettre la clef égrégorique de la passion théorétique. En fait, je préfère ces passeurs de l'ombre aux professeurs de foi ex cathedra.

La liberté du pêcheur et la liberté de l'engagé pour la Cité (des exemples : un Augustin / un Lukacs ; un Jean de la Croix / un Séguin ; un manant du Roy / un républicain de l'An III) sont suffisamment rares pour recueillir leurs témoignages qui nous hissent enfin, n'abaissent que fortuitement, peuvent même engendrer un guide de vie. Le reste fatigue les sens.

Les autres sont mordus par la seule empreinte posée sur la poussière de l'instantané de leur existence sociale (elle aussi immédiate).

Notre période historique avec ses frasques isole davantage les monades pensantes. Ceux qui ne pensent pas, produisent/se reproduisent et n'entendent rien à ce qui est différent de la quotidienneté et ne connaissent aucun souci avec leur monade.

Les sujets pensants sont aussi des penseurs. Parce que le monde réifié échappe au seul sens de l'histoire, sinon par des impressions et ce refus de voir la guerre pour la plupart (ils la pensent, la chassent de leur esprit par la seule foi), ils augmentent à la fois le repli et l'altérité entre monades. Prosaïquement, nous pourrions dire que « chacun a son monde » à soi. Egoïstes bipèdes que nous sommes, très peu ne voulons le partager. A la fois altier et peu ordonné pour conditionner ne serait-ce une autre direction, chacun des croyants maintient un gouvernail brisé en fait. Ou bien, l'homme de foi nous enserre inconsciemment dans les bornes qu'il crée Sisyphe.

La liberté, là encore, est la seule garante du penser authentique, quitte à être plus ou moins écarté des instances sociales, des auto-institutions de la société répétitive (sans imaginaire). Voyez les "fans" (diminutif de fanatiques, à répéter à l'envi) musicaux ou de ballons comme ils ont remplacé les actes de foi religieux et/ou politiques dans la marée médiatique : c'est plus terre-à-terre et rejoint les vieux schèmes de la volonté de puissance et la peur conjuguées en un cercle restreint de la vie quotidienne et d'affirmation de soi autour d'une pauvreté de l'esprit récurrente.

Autrement dit, la foi telle que je la décris ici est l'autre nom du "politiquement correct" et du "croire correct" en toute bonne foi (d'apparat). Je ferais un homme de peu de foi. Or, je me sens heureux d’être un hobo intellectuel qui ne possède aucune croyance prête-à-mâcher. Observant l'icelle jeune voisine lycéenne lire son Racine, je me dis qu'elle connaîtra les rougeurs de sang dans la Seine et les exactions. Nous n’avons pas même su montrer d'autres caches en forêt aux gamins et comment se nourrir de baies et de fruits des bois. Nous en sommes là : rien d'autre à proposer, puisque l'action politique est morte. Ne serait-ce qu'au titre de l'utilité et/ou de l'efficacité.

Notre liberté nous permet cependant de ne désespérer de rien. Nous disposons là d'un précieux avantage sur nos mécontemporains bipèdes, par trop souvent animés (animus désuet) de cette foi qui accouche des pires sornettes de l'Empire du bien. Ils voient la guerre venir et s'en affolent, ce qui contribue à l'augmentation de son advenue sans naturellement trouver les moyens de la penser.

Oui, décidément, la foi dévoyée perd le monde. Un Cercle résistant se justifie pour préparer la relève.

LSR

 

 

 

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