Fortune faite, Tapie résistant français

On se souvient tous de la petite phrase du grand prêtre blanc-bronzé Séguéla restée dans les annales de la distinction chère à Bourdieu, disant à peu près ceci : qui n'a pas une Rolex à 50 ans n'a pas réussi sa vie.
 
Bernard Tapie, ex chanteur, ex ministre, ex vendeur des piles Wonder marchant plus vite que les lapins blancs, manœuvrier de spectacles footballistiques, etc., est parvenu à faire de sa vie un rêve. Qu'il étale dans les journaux télévisés depuis quelques jours. Certes, notre homme se sent pousser des ailes parce qu'"attaqué", selon lui, par la justice, qui plus est dans un "complot" ourdi par on ne sait qui. Il livre même des noms. De quelques puissants, mais se garde de jeter l'anathème contre "ses" protecteurs.
 
Tapie a réussi sa vie. Elle représente un miracle à la française, un pied-de-nez à une condition initiale. Elle stimule tous les Rastignac patentés de nos années 2010. Car il incarne le symbole à lui seul de la "réussite contre tous". C'est du moins ce qu'il nous bassine à longueur d'interviews condescendantes (Poujadas sur France 2) ou plus stimulantes (Darmon sur I-télé/Europe 1). Quelques observateurs savent que la réussite du grand Nanard provient surtout des subsides de tous, des français, de sa capacité à bluffer, obtenir et profiter d'une puissance symbolique émanant d'une prestation d'acteur très talentueuse. Mais ces observateurs-là et leurs enquêtes journalistiques ne pèsent (presque) rien face au brouhaha festif de la presse à sensation, de l'écran bleuté entre Tapie et les spectateurs qui le prennent en sympathie. Pour émouvoir, tous les artifices du bateleur et de la diva mêlés sont utilisés. Tous les mots. Tous les coups. Tapie annonce ses combats, ses initiatives, menace, invective et va jusqu'à promettre de s'engager pour réduire à Marseille les prochains scores du FN aux élections (gage pour se mettre dans la poche quelques humanistes). Tout est bon. Le grand incendie peut commencer, Tapie observera narquois la fumée de l'autre côté de la rive du fleuve "dramaturgie de l'info-spectacle", ce fleuve qui grossit en crues récurrentes.
 
Eternel, le spectacle conforme une pensée en machine arrière toute permanente. Comme les luxueux bateaux aux abords des grèves. Les gogos vont une fois de plus croire Tapie. Encore et toujours, cela marchera pour lui. Car rien ne peut être brisé dans les plans miraculeux d'une réussite fondée principalement sur le culot d'instrumentaliser à sa guise, à sa main le cœur même du spectacle : l'écran, la presse à sensation, la crue de l'info.
 
La réussite, chez ces gens-là, les Tapie entiers et les Tapie discrets, reste la résultante de nos propres abandons dans l'action, de nos propres renoncements dans le travail permanent d'élucidation théorique, de nos états lascifs à ne pas s'insurger par revues, journaux et meetings interposés. Leur réussite est clairement notre défaite. Nous sommes lâches parce que nous sommes vaincus depuis des années par le mirage de l'écran et son brouet perpétuel. Fortune faite, Bernard Tapie est un résistant de lui pour lui-même. Gloire à ce dieu du spectacle marchand à la française.
 
SLR
 
 
 

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