le Serpent rouge questionne le travail


Industrialisation & « valeurs » républicaines, vivifier le vide

 
La presse vit une crise industrielle comme la finance s’est industrialisée dans l’avant-crise aux Etats-Unis des subprimes. La culture est devenue « industrie culturelle », T.W. Adorno le démontrait déjà en son temps dans ses analyses. Dès que l’industrie devient la méthode de production, les salaires et émoluments trahissent l’honnête travailleur qui n’est plus porté qu’à regarder le néant sous ses précédentes ardeurs professionnelles. Quelles étaient-elles ? La foi en le métier, l’amour du travail rondement mené, la volonté de s’améliorer, de créer, de rendre un produit de qualité, renseigné ou façonné dans les règles de l’art. Sous-payés, déconsidérés par des objectifs justement industriels, démontant la saine volonté industrieuse d’antan, les travailleurs n’aspirent qu’à remplir un compte bancaire sans prendre le temps d’aimer ce qu’ils font. Cette précarité engendrée par le rapport salaire/productivité n’est pas le mal absolu pour les travailleurs. Ce qui mène à la dépression généralisée, ce sont les chefaillons serrés dans leurs objectifs qu’ils ne maîtrisent pas davantage que leurs subordonnés, le peu de respect pour l’emploi, la mission, la qualité, et y compris depuis qu’on a mis en place dans les process des services et normes « qualité » sur tout et rien. Les artisans d’antan, vivotant chichement, mais heureux de leurs boulots sont de plus en plus rares. Le boulanger, le charcutier, le cordonnier sont désormais soumis aux rythmes de leurs banquiers, assureurs, fournisseurs, clients et autres contingences économiques et commerciales. Certes, à lire la presse si parisienne, quelques-uns sont parfaitement heureux derrière l’objectif du photographe, dans une belle officine, de beaux étales. A Lille, Strasbourg, Paris, Bordeaux, Lyon et Marseille, quelques lurons nous font croire à l’illusion d’un monde enchanté dans le commerce de bouche et de services à la personne. La soumission aux insignifiances devient le spectacle rafraîchissant d’un terrible coup porté à l’indépendance dans le travail. Et que dire des professions dites intellectuelles ou culturelles où les minots bossent pour moins de 500 euros quand des diplômés végètent, avec un joli titre ronflant, Messieurs-dames, pour quelques milliers d’euros consentis dans la sueur des heures passées à ne pas vraiment exister ? Encore moins s’épanouir dans son travail…

Nous manquons de perspectives historiques, c’est un fait. Un fait aussi rude qu’une baffe sur les valeurs de la République. Lesquelles « valeurs » n’ont aucun fondement, aucun sens juridique puisqu’elles sont évoquées sans en délivrer les arcanes. Un groupe de politiciens, philosophes et historiens a bien tenté, dans un bréviaire paru en édition de poche, de les mettre en avant. Aucune définition plausible n’a été tirée à l’occasion. Est-ce l’idéologie du progrès ? Est-ce l’illimitation des occurrences liées au triptyque républicain liberté-égalité-fraternité ? Des associations philosophiques et philanthropiques, il y a quelques années, avaient organisé des symposiums sur lesdites « valeurs » de la République. Malgré la qualité des intervenants, rien n’est sorti là non plus pour en définir l’axiologie précise. Les perspectives historiques, comme l’art hauturier, sont formées par la connaissance des vents, des voiles, la sagacité du barreur allié à la vigie et un capitaine solide pour lire les cartes et transmettre les bons commandements aux hommes de quart.

Toutes les conditions sont réunies pour une dépression généralisée. Nous le savons, la dépression est le confort des faibles et du renoncement instituant ex nihilo la prise de risque social. Vain et faux, le risque effraie dans ce qui reste aux individus : le confort, même le plus imparfait (j’allais dire, du moment qu’ils possèdent bière, foot, canapé et télé nombreux sont les individus qui croient exister). Par capillarité, elle prend forme, un peu comme la terre glaise qui, ajoutée à une fine pluie, devient glissante jusqu’à sécher en bloc aussi dur qu’on l’a moulée ainsi. Rien n’est plus socialisé que la dépression. La « grande dépression » des années trente a été générée, Steinbeck le montrait dans ses Raisins de la colère (1939), d’abord par la folie destructrice de quelques banquiers et patrons obnubilés à considérer l’homme comme objet interchangeable. Reflet d’une période précise du développement anarchique du capital, celui-ci se dilue et prend son indépendance y compris à l’égard des institutions prétendument régulatrices. Autre fait notoire, cette période n’est que le pendant d’un vaste remaniement dans le partage du monde (il s’agissait du troisième repartage). Et cela, il n’est pas anodin de le répéter à loisir : depuis la fin des années 90, nous nous situons de plain-pied dans le quatrième repartage du monde, avec ses nouvelles formes politiques (dissolution des Etats, dissolution des souverainetés, entités supranationales grevées d'espérances irrédentistes), ses directions économiques ("globalisation" versus "mondialisation, deux concepts discutés à foison pour ne pas dire impérialismes en rivalité permanente) et humaines (individualisation hédoniste, solidarisme plutôt que solidarité...) où le politique n'est plus rien sinon l'anarchie de l'industrie folle de la financiarisation des êtres et des choses quand les consortiums s'arrogent la maîtrise de la politique. De ces faits s'ébrouent petit à petit les ferments de la guerre générale, perceptibles dans les rapports salariaux comme les relations internationales (osons les parallèles audacieux : guerres entre les services, concurrence sans fin entre collègues, passe-droits pour les uns, rebut pour les autres...). Et on n'en finit pas d'avancer à l'aveuglette dans les méandres de la politique internationale... et on n'en finit pas de cautériser (provisoirement) ce qui peut encore l'être... jusqu'à l'étincelle supplétive au filet de gaz qui s'échappe d'un côté du vaste monde.


LSR

 

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