Question de principe, pour des droits de la défense, parce que justice n'est pas vengeance


Débat sur les droits de la défense : l’accès au dossier des gardés à vue

 

En ce début de semaine, la cour d'appel de Paris examine la question sensible, pour avocats et policiers, de l’accès à tout le dossier des gardés à vue.

Nous évoquions déjà le 31 décembre 2013 cette avancée probable des garanties des droits de la défense inédite dans un billet du Serpent rouge auquel nous renvoyons ici :  http://atelierserpentrouge.blogspot.fr/2013/12/droits-de-la-defense-vers-une-gav-mieux.html . La question semble lourde de conséquences immédiates et différées, pour les parties intéressées comme pour la politique pénale du gouvernement. Du côté de la Place Vendôme, la tête est basse, du côté des barreaux, la tête est fière. Surtout, la norme européenne en la matière s’imposera-t-elle ?

C’est que nous voici en présence d’une question de droit forte de contradictions entre les intérêts des enquêteurs d’une part, et ceux de la défense d’autre part, et au côté d’un cabinet du ministère de la justice peu véloce sur le sens à trancher en faveur ou non d’une directive européenne transposable. Pour autant, les termes pratiques sont simples à saisir.

La police entend conserver ses dossiers pour leurs seuls services au cours de l’enquête, avant de les transmettre au parquet. La menée des interrogatoires, selon leur intérêt d’enquêteurs, doit rester à leur main, s’appuyant pour l’essentiel sur « le droit de la victime », selon l’argument de certains syndicats de la police. Dans le même temps, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a condamné maintes fois la France sur ce sujet. Pour les institutions européennes, la France doit transposer avant le 2 juin prochain la directive du 22 mai 2012 allant dans le sens de l’accès aux procès-verbaux des gardés à vue par leurs défenseurs. Que prévoit cette directive ? Elle dispose que « lorsqu'une personne est arrêtée et détenue à n'importe quel stade de la procédure pénale, les Etats membres veillent à ce que les documents » essentiels à la compréhension de « la légalité de l'arrestation ou de la détention soient mis à la disposition de la personne arrêtée ou de son avocat ».

Pour faire suite de cette directive européenne inédite et transposable, des barreaux importants se sont engagés dans ce combat aux côtés de leurs confrères parisiens, dont celui de Lyon en tête. Ainsi, fin décembre, de jeunes défenseurs parisiens ont obtenu l'annulation d'une garde à vue au motif que l'avocat du suspect n'avait pas eu accès au dossier de son client. Leurs aînés du barreau les ont soutenus. Avec un sens tactique extraordinaire, le barreau de Paris avait exploité habilement les vacances judiciaires pour déposer sa requête devant la 23ème chambre, présidée par des magistrats civilistes réputés plus favorables aux libertés publiques que les pénalistes. La réplique du parquet n’a pas tardé par la formation d’un appel de cette décision qui est examinée aujourd’hui.

Enfin, du côté du garde des Sceaux, l’on cherche à calfeutrer les implications de la directive. Le 22 janvier, Christiane Taubira a ainsi présenté en conseil des ministres un projet de loi suggérant l’idée de préparer une transposition a minima, précisant rien de mieux que ce qui est déjà présent dans les faits et les dispositions présentes relatives à la garde à vue : les gardés à vue « seront plus précisément informées de l'infraction qui leur est reprochée. Les motifs de la garde à vue leur seront indiqués ». Il ne propose rien de nouveau. Les motifs sont connus, puisqu’ils font l’objet des interrogatoires, même si le contournement dialectique policier est bien connu et, somme toute naturelle pour qui s’y confronte. Le ministre compte-t-il faire croire que la transposition de la directive du 22 mai dernier sera opératoire par le seul toilettage vague d’informer « plus précisément » les personnes placées en garde à vue ? La transposition de la directive consiste-t-elle en le seul droit de consultation de l’avocat du seul procès-verbal d’interpellation du gardé à vue ?

Si certains barreaux engagent une bataille devant l’institution judiciaire, c’est bien pour ne pas en rester aux seuls PV mais obtenir le droit de consulter l’ensemble du dossier de leur client, puisque la directive précise que les avocats seraient en droit d’obtenir « la qualification », « la date et le lieu de l'infraction » ainsi que « les motifs justifiant de la garde à vue » de leur client. Dont acte, du côté du ministère, on préfère glisser la poussière sous les tapis par une transposition faible. En revanche, du côté du parquet général de Paris, on en appelle au respect des règles en défendant l’idée qu’une « directive nécessite une adaptation au droit des pays membres. La logique est que le Parlement ait son mot à dire. Sans quoi, il n'y aurait plus qu'à supprimer la loi nationale » soutient un haut magistrat anonyme dans la presse. Et d’ajouter aussitôt, « voilà pourquoi il est malsain de vouloir appliquer des normes européennes sans même tenir compte des délais offerts et des aménagements possibles ». Ce qui ne manque pas de sel lorsque nous observons les contradictions politiques perceptibles entre un droit national et un droit supranational qui tente de s’imposer, vu que toute la politique du gouvernement recherche l’accomplissement de l’Europe hic & nunc, sauf quand le droit national l’arrange.

Commissariats, dépôts... en finir avec des cellules insalubres.
Le débat national est donc lancé. Il l’est d’abord devant l’institution judiciaire ; il devrait sous peu sortir dans le débat public par la médiation d’avocats motivés, d’autant que la CEDH veille en s’appuyant sur l’influence favorable aux droits de la défense de la common law, soit un droit anglo-saxon susceptible de rabrouer la procédure pénale française, eu égard à la préparation d’une seconde directive sur la question qui prévoirait la présence de l’avocat à tous les moments procéduraux de l’enquête, perquisitions, reconstitutions, tapissages inclus.

La dialectique est la recherche des éléments contradictoires sans exclusive mis en examen fécond pour en tirer une substance parmi les intérêts antagonistes des acteurs susmentionnés et, au final, en tirer une ligne claire.

 Au plan politique, l’écheveau des arguments et des positions contradictoires entre un droit français et un droit européen ne peut décemment pas obérer la recherche de la justice et du respect de la personne juridique devant le poids (ou plutôt sous le poids) de l’institution capable de rendre ladite personne en situation prométhéenne.

Autrement dit, pour le sujet de droit, la recherche de la justice doit tenir compte de la victime, certes, mais aussi des droits et moyens en une enquête à charge et à décharge, un respect de toutes les parties justiciables, une humanité des conditions de celles-ci jusqu’à procès ou abandon des charges, condamnation ou non, détention, relaxe ou non-lieu, vérité ou fausseté de l’accusation. Car, la justice n’est pas la vengeance, du moins faut-il défendre ce principe y compris dans la pratique des droits et conditions de leurs exercices.

Il en va derechef de la concrétion de tous les droits utiles à la défense qui ne sont pas ici, dans cette affaire de principe discuté à la cour d'appel, la vocation de dépouiller des moyens disponibles aux enquêteurs, comme ils le prétendent à tort, fut-ce en invoquant de manière superfétatoire le principe récent des « droits de la victime ». Concrètement, et en passant il faut le revendiquer, il est nécessaire de gagner des procédures claires pour toutes les parties, une reconnaissance légale et légitime de toutes les parties (avocats des parties, personne gardée à vue, policiers, magistrats), surtout pour ces auxiliaires de justice précieux que sont les avocats qui en possèdent peu en amont d’un éventuel procès, des conditions cellulaires décentes respectant le minimum hygiénique (en commissariat, en dépôt, en détention) pour la personne retenue par corps, des soutiens psychologiques neutres et efficaces (pour la victime, pour le gardé à vue) et, enfin, des droits et moyens pour tous les acteurs précités. Ni plus, ni moins… même en période de disette budgétaire et d’illisibilité du droit positif que veulent nos gouvernants.

LSR

 

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