Une histoire méditerranéenne banale
L’alchimie
de la galéjade marseillaise.
A la rascasse, les pêcheurs
reviennent au port après une nuit de mer. Ils sont réduits ces dernières années
à quelques pauvres barcasses. Sans les plaisanciers, le port mourrait. La vie
de la petite ville serait réduite à quelques résidences secondaires de parigots
et marseillais, striées sur les hauteurs par une ou deux zones commerciales. Comme
partout en France, pour qui en termine du dernier plaisir de circuler sur les
nationales.
Un matelot, un patron par bateau. Le
tirant d’eau est bas, les fonds sont assez loin du port. Un, deux ou trois
filets suffisent. Les bancs de poiscailles sont tirés par les Espagnoles et
Portugais au large, avec un maillage plus fin. L’Europe de la pêche est passée
par là, les contrôles sont français, pas ibériques… les marins du port
perpétuent la tradition, leur amour du métier, mais ils n’en vivent
pratiquement plus. Ils survivent en proposant quelquefois des virées de 24
heures avec des touristes, ou des sorties de plongée dans les calanques de
Sormiou. De drôles de zigues pratiquent du canoë sur leur bonne mer. Etrange
modernité, le vacancier vient suer. Sport.
‘Au
Saloon’, le bar de Papato, un ancien cuistot d’un
armateur d’hauturiers de Marseille, les confessions s’alignent sur fond de
pastis et de gariguettes. La plupart des matelots ne se plaignent jamais des
salaires qui tombent irrégulièrement. Leurs patrons font ce qu’ils peuvent. D’ailleurs,
rares sont les patrons à passer chez Papato. Ils se calfeutrent chez eux, tentent
d’exorciser le sort de leur saint patron Marius. Ils ne viennent plus guère au
marché. Ils laissent leurs épouses vendre les poissons hors de la criée. La
honte les abat. Les années leur paraissent diluviennes. Tous, ils finissent les
mois sur les moignons. Il leur faut bichonner des jardins, des potagers. Les
mieux assaisonnés assument l’entretien des piscines des richards du coin,
histoire de mettre du Viandox dans la bouillabaisse et du mazout dans le
chalut.
Etre marin était une fierté, un
honneur ancestral, si proche du baiser de la queue de Philoë la sirène, une
antienne emplie de fariboles qu’on se narrait à la veillée, perpétuant le
métier de père en fils, de génération en génération successives.
Pour rire, rire jaune en réalité,
les matelots du Saloon aiment à
répéter l’anecdote du Sormiou de Marius
qui, une année, est allé mariner jusqu’au Banc d’Arguin, sur l’Atlantique,
arborant une carabistouille écrite en grosses lettres sur un large étendard
pour échauffer les dormeurs de la baie d’Arcachon.
Marius en prit plein la mer, durant des
jours, passant au large de l’Espagne sans encombre… c’était sans compter avec les
mareyeurs Aquitains n’appréciant pas, mais alors pas du tout que ce « fou de Marseille » vienne les
narguer. Les Espingoins et les Portos, eux, sont des marins de misère. Leur came
à eux, c’est le salariat à 350 euros par mois sur des chaluts rachetés par des
sociétés internationales. Peu d'artisans chez eux. Tous roulés dans la brandade
de l’Europe de la pêche de la PCP, la fumeuse politique commune de la pêche… les cormorans en pleurent encore.
Depuis l’esclandre internationale
racontée un temps, puis naturellement oubliée, Marius a brûlé une nuit son
bateau à une encablure du port ; son père lui avait cédé le Sormiou I avec la promesse de jouir de
son travail de pêcheur.
Le lendemain, revenu à la nage, un
rhum pris ‘Au Saloon’, Marius a fait
une dernière virée sur son scooter, a parcouru les hauteurs de la calanque une
dernière fois. Au coucher du soleil, il s’est brûlé la cervelle à la 22. Face à
sa bonne mer et sa mythique amie Philoë.
Papato, apprenant la mort de son
copain d’école Marius, n’a plus jamais navigué.
LSR
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