"La Vouivre" (1989), sexe & capitalisme triomphant, violence & message christique

Jean Carmet & Lambert Wilson, retour du soldat blessé
Lecteur cinéphile,  « La Vouivre » (1989) de Georges Wilson, excellent film s'il en est, peut nous garantir une réflexion générale sur l'amour et le sexe en temps de guerre, ou de l'immédiate après-guerre.




Le personnage de « la Dévorante », peinte par Marcel Aymé m’a interpellé, comme on le dit quand on est branché ; encore plus dans le roman. Cette Dévorante déniaise à tour de cuisses tous les gamins du canton, copule comme une bête et ne pense exclusivement qu’à cela. La thématique du « feu au cul » se trouve aussi dans les dialogues de la mère du soldat Arsène revenu de la Grande guerre (Suzanne Flon). Les hommes étant morts, les survivants ou réformés constituent une denrée rare, les filles s’en sont allées dans les fabriques et sautent sur le premier qui tend la queue, y compris le vieux, y compris le mutilé ou la gueule cassée. Car en ces temps d’après-boucherie, dans les campagnes de Franche-Comté, l’armée délivrait des bons de mariage pour les filles avec des blessés de guerre. On appelait souvent cela les « queues de mariées », ces files d’attente devant les mairies où venaient les officiers pour leur distribution desdits bons.
 
En fait, et pour en venir à un phénomène moderne, je me demande si la dévirilisation des hommes contemporains n’accentuerait-elle pas l’impasse dans laquelle se trouvent placées les femmes. Elles courent après le mâle pour le goûter, le tester, tenter l’aventure sentimentale avec lui. Aussitôt déçue, elles le quittent ou ils se quittent mutuellement. En compensation, les femmes de plus en plus seules et jetées par la politique prétendument égalitaire se prennent à imposer des vues matriarcales excessives, voire à se viriliser aux dépens des hommes devenus mentalement castrés. Le pénis devient symboliquement un clitoris exorcisant le clitoris devenu pénis. Nous sommes là dans une politique de la muqueuse qui s’est prise à inspirer les options comportementales des hommes et femmes dans la société marchande.
 
La spectacularisation excessive du libéralisme donne lieu à des frustrations de tous les côtés. Convoquer la muqueuse en lieu et place de la véritable égalité sociale et politique permet à l’oligarchie bureaucrate de consommer sans risque son propre pouvoir de l’ombre et de lumière. Sans risque, tout simplement parce que le « bon » peuple n’a pas d’autre préoccupation que de courir après son isolement dans l’atrophie du travail, dans l’atonie de la politique à ras des pâquerettes, dans la quête transcendantale de son petit chez-soi douillet, si possible plus spacieux et coquet que celui du voisin (rivalité primitive) et de conquérir une résidence secondaire, une grosse voiture clinquante, expression du pénis féminin et masculin à la fois perdu. Tant que la déesse télévision dit que c’est bon pour tous, allons-y, c’est donc nécessaire. Et ce qui est nécessaire en arrive au stade vital tel qu’il est déclamé.

 L’inéluctabilité d’une telle situation d’inversion des valeurs de la vie, des egos cramoisis dans la consommation et du rétrécissement de l’engagement politique en vertu de l’esprit délégataire semble approfondir le climat historique de fin de civilisation dans nos sociétés prospères. La technique, avec l’astrologie et le sport-spectacle, sont les ersatz, les colifichets et croyances irrationnelles d’antan. Qui n’a pas entendu l’extravagance, dans son entourage proche ou sur les bancs des universités, des personnes dites sérieuses affirmer de bon cœur que l’astrologie serait vraie, significative, porteuse de sens prouvés, une quasi prétention de scientificité ? Souvent, les mêmes s’empressent de ravaler leurs votations diverses sur les candidats de gauche plutôt de tendance écologistes et socialistes. Parfois, les mêmes en font un commerce comme les sorciers des tribus sont tout à la fois prédicteurs, soigneurs et prêtres. L’irrationalité et la technique démesurément prises comme aliénations pratiques supplémentaires, provoquent des addictions nouvelles, à l’instar du processus connu pour un joueur ou un alcoolique; ce sont les colifichets de la perte de sens du monde, d’incarnation véritable de l’homme dans sa propre histoire, sans même parler de son absence d’inscription dans l’histoire politique de ses propres possibilités de ne pas déléguer la gestion des affaires publiques auxquelles il pourrait pourtant prétendre à expertise propre et prise en commun.

L’inversion des valeurs et la carence affective généralisée qui caractérisent l’homme générique contemporain résument à elles deux, par un autre biais, les interrogations consubstantielles aux liaisons amoureuses. Ainsi, pour examiner subrepticement un cas extrême, les violences conjugales ne sont-elles pas le signe absolu de l’intempérance de la présence au monde, à l’histoire de l'homme générique ? Si elles croissent, si la chamaillerie dans un couple dégénère aussi vite qu’un bolide lancé à fond dans une courbe, c’est bien parce qu’hommes et femmes sont perdus dans leur égotisme de consommateur avant tout. L’obscurcissement de leur inscription dans l’histoire, leur désengagement dans les affaires de la cité sont autant de signes stipulant la splendeur de leur caractéristique nouvelle : ce sont des morts-vivants au social, au politique, à la création intellectuelle et artistique. Inévitablement, prise dans cette considération, il est nul besoin de nourrir mille questions sur la promotion canapé consentie dans l'entreprise, sur la marchandisation des corps (sexualité, gestation, organes ajoutés, retirés) puisque consentir à se trouver objet du désir du capitalisme marchand, c’est déjà prostituer son propre esprit humain. Aussi n’est-il pas inconcevable de penser dès lors l’amour comme devenu lui aussi un processus marchand après qu’il ait été défendu au travers d’un processus contractuel.

La norme morale, elle aussi, a vendu son corps dans le règne de la marchandise et son corollaire inévitable pour l’acquisition des biens de consommation rendus indispensables pour (soi-disant) « exister socialement », le calcul instrumental de soi et d’autrui. Nombreux sont ceux qui ont l’intuition de ce processus induit par l’avancée poussée à ses termes tranchants. Mais tout aussi nombreux sont ceux qui préfèrent freiner l’interrogation idoine tout en divorçant d’avec le monde de la claire conscience de soi dans l’histoire. Autrement dit, nul besoin de devoir étendre une réflexion sur l’amour sans y inclure sa position même dans l’anthropologie historique qu’elle subordonne.

La Vouivre, Laurence Treil,
une actrice ayant lutté contre la maladie
dévorante un peu après son rôle
En cela, le film « La Vouivre » illustre ce qu’est l’amour dans une période historique donnée. Les Wilson père et fils parviennent à dégager l’attrait pour ce que l’amour représente. Le mariage recherché pour éviter la solitude des veuves de guerre, la consommation des hommes de la Dévorante pour habiller une vie animale et pleine de vacuité sociale et, enfin, l’amour impossible pour la Vouivre elle-même, y compris celui qui n’est en rien intéressé par le diamant qu’elle porte autour du cou. L’amour est consommation dès lors que le capitalisme a tout imprégné de l’idéologie, de la création artistique et intellectuelle, de la pensée commune et des mœurs, ainsi qu’il l’a réalisé dans le mode de production et l’économie. Weber constatait que l’esprit du capitalisme n’eut pu, du moins le capitalisme rhénan, exister sans le développement de l’individualisme de la Réforme et de ses thuriféraires, émigrés français désireux de revanche sociale puis nationalistes, et sans le recours à la lutte des forts contre les faibles asservis au service de la minorité oligarchique régnante. Simmel, dans Philosophie de l'amour précipite l'analyse de l'amour dans la substance même du désir marchand inconscient. Aussi, si l’amour de Dieu a pu devenir amour de soi par l’espérance en un au-delà après la mort clinique, et si ajouté à cela l’amour de Dieu a abouti à une concentration de biens, marchands et non marchands, doublés de consommation-production, c’est bien que Dieu et son commerce dans le monde par les hommes eux-mêmes est aussitôt travesti par ceux-ci. Jésus n’a-t-il pas chassé les marchands du Temple ? Le message christique, perverti par les fossoyeurs de la foi, a rendu coupable la marchandisation par l’octroi de l’occupation de postes, fonctions liées au pouvoir temporel. L’amour est subordonné aux registres variés de la dépossession de soi, même si la psychanalyse voie en l’amour une reprise de soi par « des-être », selon le mot de Lacan ; en réalité, l’amour est souvent connoté à la volonté de puissance, au pouvoir, au besoin de représentation (exhibition de son homme, de sa femme dans la "bonne société") et relations sexuelles comme passage à l’acte, comme monnaie d’échange symbolique de la consommation-partage.

Il peut paraître réductible d’exprimer tout cela. Qui aime sincèrement ne concevra pas ces mots. Pourtant, la nonchalance programmatique de l’amour tarifé, de l’amour libertin et de la coucherie en milieu professionnel sont des indicateurs de la sexualité comme possession, comme rapport industrialisé de la marchandisation du sentiment.
 
LSR.
 
 

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Ce qu'est le syndicalisme libre & indépendant du macronisme-patronat

Aristote à Chartres (statuaire)

Malheur à toi permanent syndical de peu ! (tu ne sers qu'aux fiches policières)