Ce que la polémique contre C. Taubira dit de la presse

Dans la polémique contre Christiane Taubira, pour une fois, je me range derrière cette dernière. Ciotti, Estrosi, Le Roux et Valls sous le même panache, c’est le bal des hypocrites. Tout le monde savait que les réformes pénales permettent d’encadrer, aménager les peines inférieures à deux ans depuis 2009. Droite et gauche tombent à bras raccourcis sur Taubira par populisme sondagier. C’est idiot, stérile et dangereux. C’est stérile parce qu’il s’agit encore une fois d’une polémique qui sera aussitôt chassée par une autre ; c’est dangereux, parce que le lit de la radicalisation se façonne une fois de plus par une strate supplémentaire; c’est enfin idiot de la part de Valls qui se conduit comme un mauvais camarade avec sa collègue (rivale) et dont le penchant pour la prise de pouvoir se fonde sur un « élan sécuritaire » oublieux des racines économiques de la véritable crise structurelle du pays sur lesquelles il ne propose rien. Quand la presse donne voix sans discernement en faveur d'une telle polémique, elle livre la communication du ministre garde des Sceaux mais ne lui autorise guère le temps de déployer l'existant législatif et la sociologie du droit des peines et grâces. En réalité, chacun sait que certaines condamnations à de la prison ferme pour des courtes peines ne signifient pas grand-chose pour le condamné ; chacun devrait de plus savoir que l’individualisation de la peine prend en compte la situation sociale du prévenu-condamné. La magistrature a ainsi une fois de plus travaillé dans toute la sérénité de l’application des lois. Notre période médiatique lâche est résolue à la polémique fondée sur le dézinguage d’une victime expiatoire des peines et troubles du moment. Taubira n’étant pas du genre à se laisser faire, sa réplique a eu le mérite de lui permettre de mettre les choses au point : pas de différence depuis 2009 en matière de politique pénale, malgré sa volonté initiale (en 2012) de réforme de l’incarcération.

 
Point trop n’en faut en période aoutienne. Le fléau d’une presse répétitive sur les mêmes sujets entraîne, quoi qu’ils veuillent s’en prévenir, les français à brasser un même état d’esprit (Weltgeist). Nous sommes tous portés par une communion de pensée véhiculée par le langage commun, voire le langage de la marginalité qui ne manque jamais d’être récupéré en toute occasion. Les formes ne sont ici pas nouvelles de la dépression dans ce phénomène, y compris pour imager sur tous les fronts le déclin généralisé et la morosité à la mode. Les formes accentuent le langage instrumental commun. Un état spirituel national et international en découle. Par exemple, nombreux sont les français persuadés qu’en prison, on se la coule douce, que c’est un hôtel trois étoiles avec la télévision et la distribution des repas. Le critère de la télévision semble le comble du luxe pour la plupart des beaufs du pays : regarder la télévision toute la journée leur paraît certainement être le summum et la clef du bonheur… et puis, c’est bien connu en beauf-land, les criminels sont forcément majoritairement dehors. La présupposition sociale du fait divers mis en exergue sur tous les tons, autrement dit la force du préjugé, dicte l’exacte radicalisation des opinions communes de plus en plus droitière (surtout à gauche). Dans l’ombre de la presse se cache des préoccupations ordinaires chez les professionnels de la presse qui, hélas, n’ont que rarement le temps de fouiller un sujet, d’étudier un dossier ; les contraintes et coûts de production de l’information ne facilitent pas l’explication et les dissertations rédigées dans le calme de l’analyse froide et critique. A cela s’ajoute la criante difficulté d’une masse salariale réduite, d’une horde de rédacteurs mal payés sommés de faire vite, d’angler ses papiers selon l’humeur de la hiérarchie, une hiérarchie parfois versatile en fonction des chiffres livrés par l’office des ventes. Il ne s’agit plus simplement de la question de la formation initiale ou professionnelle du journaliste qui compte, mais il s’agit du temps alloué et des moyens mis à sa disposition pour réaliser une bonne production textuelle. Au final, la presse papier ou internet est nettement moins percutante que la presse radiodiffusée quand elle octroie des séquences de reportages moyens ou longs. Ce langage commun est celui de la presse, certes, mais la presse entendue par Mauthner à la fois comme édition livresque et édition du journal. Laissons-lui le dernier mot pour imager mon modeste propos :
« L’expansion de ces formes de la presse a fini par produire, sous forme de livres et de feuilles périodiques un nouveau phénomène qui a plus promu l’internationalité de la situation spirituelle des peuples qu’aucune langue mondiale artificielle n’aurait pu le faire. La littérature traduite, la masse infinie de toutes les traductions qui se déversent d’un peuple sur l’autre, à commencer par celle d’un chef-d’œuvre, qui permet à un travailleur allemand de citer Hamlet en allemand, jusqu’au vol ou copiage qui remplit les colonnes d’un journal californien de coupures de feuilles françaises. Que l’on songe, pour mesurer l’étendue vertigineuse de ces influences et la puissance de la situation spirituelle internationale qui en résulte, aux cas récurrents dans lesquels la vox populi du globe terrestre tout entier, sans connaissance des faits et sans vérification, donne à une question la même réponse. » (Fritz Mauthner, Le Langage {1907}, Ed. Bartillat, Paris, 2012, préface & traduction par Jacques Le Rider, p. 78.)

Que dire après Mauthner ? Rien de mieux. Et encore, je passe les paragraphes précédents et suivants qui éclairent de façon notoire ce que signifie se trouver dans la modernité. Mauthner ne pouvait, en 1907, concevoir les rapports de production et les conditions de travail des soutiers de la presse.
 
LSR.
 
 

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