Le football, l'autre levier politique d'endormissement de la responsabilité politique / PANEM & CIRCENSES


Panem & circenses.

Après la finale de la coupe du monde de football au Brésil, dimanche dernier, qui a vue s’opposer une équipe d’Argentine inventive à la nationalmannschaft allemande aussi métronomique que soporifique, jamais ne fut aussi mieux assurée l’une des plus vieilles expressions politiques de l’histoire : « panem & circenses ».

Tirée de la Satire X du poète latin Juvénal, la formule, déjà ancienne, emprunte avec lui un sens satirique. On la traduit volontiers par « du pain et des jeux » ; or, elle englobe en fait tous les spectacles, à la fois les sports et les usages des institutions politiques. On préférera ainsi pour « circenses » la traduction « spectacles ». Dans la Rome antique en pleine décadence, Juvénal décrit une situation qu’il condamne pour ses conséquences irréparables : en échange d’un ventre plein et de spectacles nombreux, les citoyens renoncent à leurs responsabilités politiques, et donc à leur pouvoir. De nos jours, on adoucit l'expression pour signifier état de délitement et individualisme centré sur un destin égotique aussi court que peu porté vers la vie collective. On néglige là, en passant, la forme de sa renonciation à ses propres responsabilités politiques, ce que Juvénal tirait pourtant de la situation de Rome entre 90 et 127, du règne impérial d’Hadrien où tout Rome n’est qu’activités spectaculaires pour garantir le seul renouvellement des mêmes au pouvoir, dans un chaos d’insignifiances à chaque coin de voie et palais.

Aujourd’hui, les sports magnifiés sur les écrans géants du monde entier sont placés au rang de religions sécularisées. Quand ce ne sont pas les JO ou les affres d’un « représentant du peuple » japonais ou français, ce sont surtout les spectacles footballistiques ou cyclistes qui dominent la foi et l’espérance. Car là se situe le rêve de communion, de gloire et puissance… au rythme d’un tour de piste éphémère pour construire des « légendes » censées incarner-remplacer des hommes historiques (politiques) devenus obsolescents. Dès lors, chaque sportif est taillé tel un gladiateur, tel un concentré d’homme pressuré dans le quadrilatère infernal de la surmédicalisation et des gourous, des sponsors et agents, de l’équipe et sa représentation nationale, des médias et le message publicisé que l’on transmet. On peut avec eux proposer le spectacle total des nations rabougries dans le localisme face au triomphe d'un monde planétarisé et, en même temps, fournir à grands frais un soupçon de rêve à des peuples dominés par les vues de leurs cosmopolites gouvernants qui ont renoncé à l'intérêt général... mais nullement à l'intérêt de leurs prébendes particulières. D'où l'importance du sportif spectacularisé.

Après cette coupe du monde de football achevée, la libre créativité des équipes dites du sud (Amérique, Afrique) s’est avérée balayée par la science physique et médicale vouée à la seule efficacité du score pour le score, et davantage pour ses retombées d’argent et pour ses discours lénifiants du signifié qui s’ensuivent.

Rappelons-nous. Coubertin nous racontait naguère la fiction suivante : « l’important est de participer ». Rien là de plus faux et hypocrite. N’importe quel pratiquant d’un sport sait bien qu’il ne s’aligne jamais à une épreuve pour magnifier cette maxime ; il recherche l’amélioration de soi, le show, la motivation, la médaille, le titre. Même s’il en est loin. Même s'il se trouve dans les profondeurs des classements. Sinon, il pratique son sport en guise de loisir ou pour maigrir, sans participer à aucune compétition. Au cours de la coupe brésilienne de cette année, l’Allemagne a peu créée sur le gazon et a surtout été obnubilée par la victoire, sans chercher à offrir le spectacle du beau jeu. L’esprit national démonstratif transpirait à chaque passe. Plus que parmi les autres équipes de cette compétition, le dribble était international, au-delà du seul jeu. L’Algérie en huitième de finale, superbe de créativité et de spontanéité, d’endurance et gestes artistiques, a bien failli l’envoyer paître. Dommage pour l'épopée du petit renard du désert, place à la tragi-comédie du grand volatile !

 
L’Allemagne conquiert au dernier épisode sa quatrième étoile : la planète est conquise, les commentateurs béats. Grand angle immédiat en mondovision sur Angela Merkel tout de rouge et blanc vêtue pour qu’on la voie bien, pour que le monde entier remarque le douzième joueur sur le pré. Ses joueurs le savent tant et si bien qu’ils s’effacent derrière elle de suite, y compris dans les vestiaires où la plupart la désirent sur la photo à défaut de la douche. C’est qu’on n’oublie pas qu’en 2010, lors d’un match Grèce-Allemagne, la victoire de « son » équipe rimait avec la ligne politique qu’elle souhaitait imposer concernant l’aide a minima de la Grèce dans le traitement de sa faillite. D’ailleurs, de manière unanime, de nombreux journaux de l’hémisphère sud n’ont ainsi pas manqué de remarquer que « l’Europe de Merkel est sur le toit du monde »… footballistique, bien entendu... mais aussi politique, économique et diplomatique. Cette victoire renforce, s'il en était encore besoin, la suprématie de l'Allemagne dans les relations internationales.

L’aigle impérial noir règne une fois de plus par la représentation spectaculaire-marchande du sport. Comme la démonstration d’un état de l’esprit en Allemagne, une force intérieure dominée pour s’extérioriser en domination. S’il s’agit de cyclisme, avec Ullrich juste après la "réunification" (un petit gars formé à l'école de l'Est), Kittel, Greipel et les autres routiers d'aujourd’hui, étant donné les retransmissions planétaires, c’est bien. S’il s’agit de prière footballistique, c’est encore mieux en termes de rendement et profits divers. Avant tout de profits politiques à l’international.

USA, Chine, Russie, prenez garde ! Angela maîtrise le réel et la fiction, les religions et la politique concrète. Elle est omnisciente, quasi divine dans son veston flamboyant ! Elle rayonne sur les ailes déployées de sa maestria...

« Panem & circenses »… si les ventres sont remplis par l’Allemagne, si les spectacles fournis étalent sa puissance aux yeux du monde, le crampon se substitue à la bottine allemande pour signifier la domination sous tous les prismes, ou cette recherche d’impérialisme d’une culture et d’une idéologie nationale sur toutes les autres… en les embrassant dans les maquis de l’aigle grimé en colombe.

LSR

 

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