Echec et mat en politique autonome, par Ludovic Borniol


L’influence des pions.

Aux échecs, les fous et les pions sont les pièces ultimes du beau jeu. Les pions sont l’avant-garde prétorienne et protectrice de la cour ; on les sacrifie à l’envi, jusqu’à ce qu’on se rende compte qu’ils peuvent venir à manquer. Les fous se déplacent de biais. Ils suffisent à régler des positions, à ajuster un soutien ou assurer une attaque. Ils sont ‑ indirectement ‑ décisifs.

Dans les factions politiques, les pions forment la mineure de l’argutie des ressources humaines. Les fous sont les aventuriers, un genre de syndicalistes prompts à bafouer la règle interne tout en y restant bien au chaud à leur plus grand profit personnel ‑ au détriment du collectif dont ils sont supposés être la source.

La politique en démocratie est frappée par le modèle de l’armée. Armée régulière ou armée insurrectionnelle, le parti politique soutient tous les programmes de gouvernement ou, à défaut, prépare une révolution dans le cadre institutionnel qu’on lui a bienheureusement alloué par la tradition politique, afin de justifier opportunément l’institution diligente et humaniste. La force de la démocratie est de savoir recueillir tous ses adversaires. Karl Marx allait jusqu’à soutenir que la démocratie est tétanisée par ses adversaires qu’elle laisse croître au point de léthargie susceptible de devenir le régime politique le plus souhaitable pour y instaurer une évolution socialiste. Lénine a répété ce fondement, jusqu’à transformer tous les fous de son parti en des pions anonymes et pour la plupart sournois.

Plus récemment, dans les partis conservateurs, réformistes ou modérés au sein de la république bananière Française, il n’en allait pas autrement dans les conceptions de ce que sont les militants de tout l’arc dit Républicain. Le politiste Georges Lavau n’a lui non plus pas hésité à confirmer que les partis les plus fertiles à vouloir « changer l’ordre des choses », à s’instaurer « communistes », n’étaient rien que des institutions justificatrices du maintien et du régime politique et des institutions matérielles choisies (constitutions, chartes, …, droit politique positif en sorte de croissance des règles majoritaires parmi les classes dirigeantes).

Reste que le sentiment le plus amer qui en ressort du point de vue des rares pions conscients de la place de supplétifs d’appoint qu’ils occupent, de ces pions mal assortis à l’efficacité requise en politique (*), le besoin d’une famille (quelle horreur !), d’un clan (quel grégarisme !), d’un hypothétique rôle politicard pour leur existence médiocre, voire d’un mandat de conseiller général pour les plus pervers (ou les plus habiles rentiers de l’indemnité faite homme), la vie est une mort lente…

La ciguë est prête aux côtés de leurs travellers checks. Le plus grand art de l’efficacité est le calembour permanent sur soi. Quelque vautour virevolte au-dessus des paquets d’humains aseptisés dans le tout-petit-jeu de la politique. Rien de bien salvateur. C’est pourquoi, parmi le personnel politique, le cynisme et l’autocritique forment un trait de caractère permanent, leur permettant de survivre face la sécession des peuples.

La foi est l’une des clefs de l’adhésion politique. L’insignifiance de cette dernière s’explique par l’autonomie de la politique, cet espace clôt qu’elle instaure par rapport à la morale, par rapport à l’éthique, par rapport surtout aux valeurs qu’elle serait censée défendre. Parce qu’elle est autonome, la politique déploie des trésors internes, des espérances de carrières, de relations souterraines, mais rares sont ceux qui en retirent les fruits espérés par tant de monde houspillé par une stricte concurrence entre collaborateurs. La sélection s’élabore en premier lieu sur l’acceptation d’un programme soutenu par une doxa commune. Servir, bien sûr, mais aussi défendre tout un ensemble de personnels politiques aux spécificités fixés dans l’unique bien de l’Etat et ses organes de croissance reste l’arcane d’une bonne gestion des ressources humaines dans les officines et partis politiques. Car, n’oublions pas que les attaques formées contre un parti servent celui-ci ; comme on l’observe dans le phénomène sectaire, plus un parti et ses personnels sont attaqués, plus ce parti se renforce et s’auto-persuade de son existence utile. L’huile dans les rouages passe par là.

Les plus fantaisistes sont ces autres croyants qui s’offrent le beau rôle d’analystes ou observateurs de ce petit monde. Ils en profitent en fait. L’éditorialisme autonome sert la politique autonome. On aura oublié jusqu’au fait du jour de la veille pour commenter telle formule, telle phrase, tel effet de propagande de tel ministre en manque de notoriété. Aujourd’hui, il nous arrive même d’écouter en radio des chroniques entières sur l’élu qui aurait pu « en être », qui n’y est pas, mais qui instrumentalise les éditorialistes qui commentent d’autres éditorialistes lesquels observent que le coco a vécu une histoire d’amour de plusieurs mois avec une ministre en couple au moment de l’idylle présentée comme secrète et magnifique.

« En être », c’est ne pas « en être » un temps et chercher à se faire voir pour « en être » ou revenir au cas où. L’éditorialiste traite dans son temps imparti cette information qui intéresse la ménagère et la femme active, le joueur de boules et l’employé de mairie, information dénuée d’intérêt mais qui comble ainsi le vide de réflexions, de recul et de talent de l’éditorialiste à l’instar du vide de vitalité du citoyen-informé de la sorte. Cela nous fait penser à la télévision qui consacre des émissions à elle-même.

L’éditorialisme, en somme, est une professionnalisation du vide journalistique, comme ont une qualité quasi nulle les émissions qui commentent deux heures durant la prestation des joueurs de Clermont contre Toulon, ou ceux du PS contre le Front de gauche en s’agitant, se disputant, en y mettant toutes leurs tripes, y compris souvent les moins ragoutantes sur la table. Tout un jeu de dupes se créé non pour l’intérêt commun de tous, mais bien pour afficher l’autonomie complète (et réussie) de la politique et son excédent de tartes à la crème favorisant des carrières spectrales pour journalisme anal.

Ainsi se déplace dans le monde la démocratie que l’on voudrait appliquer à toutes les sociétés. L’hétéronomie du sujet connote la politique autonome conditionnée par une société devenue apathique et elle-même hétéronome. La loi du plus fort est légitimée, même si elle s’est imposée par la force démocratique. De toute façon, la loi du vainqueur politique devient la loi juste, légitime et légale. Y compris si elle tenait lieu d’illégalité la veille devant une cour de justice. Ce n’est pas le plus important. Le juge n’est pas plus sacré que l’est le prêtre ou l’élu politique interchangeable, remplaçable à souhait du moment que les uns et les autres s’accordent à n’être que les pions d’une vaste extension des fous sur l’échiquier abâtardi de la politique.

Ludovic Borniol

 

 

(*) Je rejoins au moins provisoirement l’analyse de Jacques Ellul qui dispose que, dans l’illusion politique affirmée et dominante, soutenue qu’elle est par la technique (et son culte progressiste), l’efficacité est requise, est devenue la condition même de la politique. Culte et conduite du « bon gouvernement », l’efficacité doit patauger dans l’insignifiance autant faire se peut en tant que criterium du politique pour le politique, petit personnel interchangeable au sein des partis comme des gouvernements soutenus par tous les camps, droite et gauche réunis dans le sillon du même.

 

 

 

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Ce qu'est le syndicalisme libre & indépendant du macronisme-patronat

Aristote à Chartres (statuaire)

Malheur à toi permanent syndical de peu ! (tu ne sers qu'aux fiches policières)