Première légion européiste, la 'gauche de la gauche' !


Position sur l’Europe à gauche.

D’évidence le positionnement face à l’Europe du PS, du PCF, du NPA-LRC, Attac et consorts reste aussi surprenant qu’il est bâti sur des vues pour le moins ambiguës. Lorsque nous observons les domaines de leur vision de l’économie de marché, leurs approches de la démocratie, leurs liens à l’identité nationale et les stratégies de changement qu’ils voudraient nous imposer, il ne fait aucun doute que la « gauche de la gauche » française se trouve dans le sillon social-démocrate quand elle veut faire croire qu’elle critique (savamment ou pas) la construction européenne.

C’est qu’en effet le keynésianisme a instillé tous les pores et nerfs des formations partisanes citées plus haut, les faisant ressembler – admettre de concert la même foi – à des organisations gémellaires. Le PCF promeut l’apparition d’un intérêt entre salariés et rentiers, analyse des sources de financement de l’économie quand la LCR espère la possibilité de régulation par une amélioration de la consommation et des investissements. Attac, réunions de tendances, prône une mixture de ces deux visions complémentaires.

Dans le même ordre d’idées, il ne fait aucun doute que le système représentatif est largement accepté par tous ces clans, malgré quelques critiques à la marge des institutions de la Vème République (voire un désir volubile pour une VIème) ; ainsi, la LCR ne nie jamais la nécessité du débat politique pour lui-même alors que « les producteurs associés pourraient prendre leurs vies en main ». C’est charmant. « Prendre sa vie en main » est un appel d’air, une espérance aussi subtile qu’une croyance absolue, simple et pure en la seule politique comme source unique de tout ce qu’il est possible de concevoir pour l’humanité.

C’est pour cela que nous pouvons faire le constat que le rejet de l’intégration européenne se formule pour ces partis à partir de l’idéologie et non, comme on pourrait le penser, uniquement à partir des institutions nationales ou de la culture des nations. Dès lors, l’européanisation des résistances de gauche en France à l’Union européenne semble la ligne suivie au moment où la construction européenne vacille ‑ parfois ‑ sur ses fondements comme ses actions par adhésion totale à un seul schéma du penser social-historique.

Reprenons le cours du mouvement historique dans son ensemble. La forme parti politique est née sur notre vieux continent. Les partis ne cessent de prospérer, de croître, de faire des petits, de créer des fonctionnaires et métiers autour et pour le seul objet de cette économie de la démocratie. Certes, le communisme léniniste avait revendiqué le parti et son militant tel un « révolutionnaire professionnel », ce qui nourrit une variante de la contrainte énoncée. Un fait demeure, et que l’on ne saurait manquer de remarquer : contrairement à ce qu’affirmaient la plupart des politologues du XXème siècle, les systèmes de partis en Europe continentale n’évoluent pas dans le sens du bipartisme mais vers un multipartisme de plus en plus accentué.

En Suisse, Finlande, Suède, etc., autant dire des pays qu’on se plait à présenter généralement comme des « démocraties apaisées » (A. Grosser), plus de six partis sont représentés au sein de leurs parlements nationaux. La Grande-Bretagne, modèle tant vanté du two party system, est passé depuis quelques années au multipartisme. Au plan supranational, nous observons qu’une pléiade de groupes parlementaires siège au Parlement européen. Une telle diversité trouve son origine, bien sûr, dans les effets de la crise économique conjoncturelle depuis 2007-2008, mais le multipartisme n’est pas né avec ladite crise.

Riche de luttes, de crises successives, de conflits entre factions, l’Europe et chacune de ses composantes possèdent une culture politique nationale, une mémoire collective qui conserve en sa doxa collective les anciens conflits et les irrédentismes du passé. Nonobstant, les cultures et systèmes partisans propres aux pays ne forment pas une juxtaposition de cas particuliers. Au contraire, la lutte et les conflits des classes concernent toutes les nations, même les plus « apaisées » comme la Suisse et la Suède. Dans le même laps de temps, la querelle séculaire de l’Eglise et de l’Etat provoquait ses effets conflictuels dans les pays de tradition catholique à l’instar des tensions agrariennes dans les pays scandinaves et les pays du centre de l’Europe.


Ces facteurs ont façonné une européisation des consciences partisanes inspirée par le keynésianisme triomphant. Dans les partis de gauche, le keynésianisme se caractérise par la croyance supérieure en le caractère inéluctable de l’Etat régulateur, de l’Etat Providence, de l’Etat omniscient pour régler tous les problèmes propres aux nations et propres aux questions supranationales se posant aux Etats membres de l’Union européenne.


A tort, de Gaulle affirmait que le principal problème de la France consistait en ce que la gauche "déteste l'Etat" quand "la droite est en dehors de la Nation" (cf. la biographie de J. Lacouture, tome II, p. 208). Oui, le général avait grand tort. Gauche et droite s'entendent sur leur amour sacral de l'Etat. Ce résidu de keynésianisme se nourrit d'une voie unique, l'Etat, seule voie qui leur permet d'espérer concrétiser leur caractère vain, éphémère et qui caractérise leur goût pour l'autorité par l'exercice (éphémère, bis repetita) du pouvoir : "Les hommes, dans toutes les sociétés, même quand il protestent contre l'ingérence du pouvoir, déclarent la haïr et réclament la liberté, ont mis leur espérance et leur foi dans l'Etat : c'est finalement de l'Etat qu'ils attendent tout." (Autopsie de la révolution, 1969, p. 196). Ce parfait résumé illustre la conscientisation d'une décision politique qui, assumée par des abandons de souveraineté intime et collective à la fois de la part des personnels politiques, génère dans ses substrat toute une grille de lecture elle-même unique.

 
A vrai dire, le keynésianisme est devenu le seul horizon d’attente des organisations politiques situées à gauche, en France. L’impasse libérale, comme ils aiment à caractériser l’adversaire de droite, est une stricte illusion d’optique, une déréalisation de la ligne politique suivie. Les partis de droite, pour la plupart, se trouvent dans la même option de gouvernance étatique. Le libéralisme est constitutionnel dans le mode de gouvernement, le choix de l’activité démocratique fondée sur la représentation et la source des relations entre les organes représentatifs, administratifs et judiciaires. Pour le reste, la vue libérale politique et économique ne s’est pas imposée dans la sphère publique, sinon par reflets évanescents dans quelques postures éthérées et éparses de quelques personnels politiques. Au contraire, elle recule. Bien entendu, il faut aussi remarquer que la démocratie-chrétienne française s’est elle aussi fondue dans le keynésianisme. L’illusion politique française a, en parallèle, placé la et le politique comme une quasi-religion instituée, notamment en hypertrophiant les querelles et conflictualités religion/laïcisation, catholicisme/protestantisme, christianisme/judaïsme, république/monarchie, conservatisme/socialisme anciens.

De la Restauration (1814-1830) à la IVème République, les partis ont fait florès. Ils se sont succédé sur autant d’options qu’il y avait de postes pour des hommes voulant les pourvoir, mais à la condition ultime de la défense prétendue du "service de l'Etat" (condition à vrai dire d'adoubement entre les uns et les autres, et qu'importe ici le camp). La Vème République a tenté, selon les vœux du général de Gaulle, de stabiliser le vivier partidaire. Rien de probant ! Les partis se sont conçus tels des fédérations de courants comportant des luttes intestines entre tendances distinctes (SFIO-PS, PCF-LCR, UDR-RPR-UMP versus UDF, etc.), démontrant s’il en était besoin leur profusion « participant de la vitalité de la démocratie », comme se plaisent à l’affirmer des éditorialistes et politologues atteints la belle cécité inestimable pour noyer tous les dispositifs alternatifs, notamment la démocratie (radicale), l’autonomie de la société par rapport à la politique, l’approfondissement d’une éventuelle prise en charge des individus (autonomes) eux-mêmes de la chose publique en faveur de leur propre gouvernement pour l’administration du bien commun.

Hélas ! la vanité des idéologies a passé un grand coup de torchon sur les principes actifs de la liberté authentique, autant formelle, individuelle et collective soutenue par une chimie humaine active.

Au grand dam des uns, à l’abandon des autres, les organisations politiques et syndicales dont la nature relevait de la « défense du progrès social » et de la solidarité se sont rangés dans la doxa commune de la défense de l'Etat pour lui-même. Doxa qui les fait se cantonner sous l’autorité de l’ordre établi progressivement par les forces de l’histoire qui lui furent tout autant hostiles qu’elles ont su les transformer en de vulgaires relais et appendices de l’institution de l’ordre naturalisé que devient l’Europe.

De la situation générale découle un spectacle politicien permanent, une illusion politique instituée pour mater les egos des quidams, abolir la réflexion sur la capacité humaine à s’émanciper des ordres juridiques institués. La politique a donc asservi l’idée de liberté première. Sous ses ors et dans ses palais, ont été instaurées des normes devenues des fétiches, lesquels fétiches servent le brouet des idoles qu’on place tel des monstres de dévotion en faveur du bon peuple. Nul étonnement si « la politique éducative » de l’ensemble des Etats membres de l’UE cherche à susciter, chez les individus, la conscience unique qu’ils ne sont que des producteurs (économiques) et des reproducteurs (de l’espèce, s’ils savent s’y prendre avec leurs organes). Dans ce sein maternel du keynésianisme, l’Europe dicte toute critique velléitaire, toute hypertrophie du vocabulaire contestataire qui ne sert que l’acceptation généralisée et totale de l’UE : une machinerie mollement restauratrice d’un ordre nouveau. Reste à prendre conscience de quel ordre il s’agira à terme… de cela, la « gauche de la gauche » n’en est guère visionnaire, puisqu’elle forme la première légion pro Europa sans même le savoir.

LSR

 

 

 

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