Etat d'urgence, les bienfaits d'une sécurité au-delà de la sûreté, Patrice
La vigilance de l’Etat.
La sécurité, avant de vivre avec ses bienfaits, il faut
d’abord apprendre à vivre avec ses inconvénients. Ceux-ci sont souvent plus
prégnants et plus visibles que les bénéfices qu’on en tire.
Vivre en paix, devient de plus en plus une discipline.
Avant d’en tirer les fruits, il faut en accepter les contraintes. Rien ne
s’obtient plus automatiquement et les inconvénients deviennent vite la première
et la plus pénible des choses que l’on doive accepter, tant et si bien qu’on ne
sait plus quand on est sécurisé ou en voie de l’être.
Ainsi, au prétexte d’une couverture large sécuritaire
voit-on d’abord les manifestations afférentes à une contrainte et le contrecoup
du résultat escompté. On vit d’abord dans une insécurité institutionnalisée
mais protectrice qui vous fait remarquer que c’est pour votre bien et que pour
avoir l’une, il faut accepter l’autre. On commence donc par les inconvénients d’une
action qui ne sont en fait que la répétition de ce à quoi on est censé
échapper.
Aussi peu louche que vous puissiez être, cela n’obère
pas le fait que vous puissiez être protégé contre votre gré. On vous administre
donc la démonstration de ce que cela pourrait être si ce n’était pas fait pour
votre bien et si c’était des agresseurs qui agissaient. On évite quand même de
faire usage d’armes de tout genre, mais on peut très bien enfoncer votre porte
et mettre en l’air votre demeure pour bien vous faire comprendre qu’avec des
armes en plus, ce serait bien pire.
En un mot, on vous apporte la démonstration de ce à
quoi vous avez peut-être échappé. Un hors-d’œuvre en somme de ce qu’est
l’insécurité lorsqu’elle n’est pas légale.
Les quelques milliers de perquisitions effectuées sous
la double excuse du terrorisme et de la prévention de celui-ci donne l’occasion
d’user de la force légale d’Etat sur simple suspicion. Vous pouvez donc vous
retrouver, protégé que vous êtes par le régime de l’exception, soupçonné à
titre préventif.
La couverture légale étant étendue au décret
d’exception, on ne sait plus trop quel en est le sujet original. On agit sans
faire de détail. Profitant actuellement de cette situation, on étend donc le
principe légal à toutes formes éventuelles de contraventions, qu’elles soient
répertoriées comme acte terroriste, résistance écologique ou trafic de drogue. Il n’y a pas de petite
occasion pour que l’Etat affirme son pouvoir de nuisance et la mise sous la
botte des citoyens lambda.
D’une terreur possible et étrangère, on passe à une
terreur légale et bien de chez nous, celle-ci étant conduite à titre
démonstratif et d’intimidation, ou quand l’Etat de droit s’habille de terreur
pour le bonheur national (N).
Il ne fait pas bon, pour un Etat, être en retard de
vigilance !
Patrice C.
(N) Conformément aux dispositif de l’article
15 de la Convention de sauvegarde des
droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (Rome, 4 novembre 1950, dite CEDH pour aller vite), la France a
demandé l’exercice de son « droit de
dérogation » (al. 3) près le Secrétaire général du Conseil de l’Europe, dérogation soulevée « en cas d’état d’urgence » après qu’elle
eut, le 20 novembre, fait voté le parlement sur la question.
Que dit le principe
de ce texte ?
Ø
« En cas de guerre ou en cas d’autre danger
public menaçant la vie de la nation, toute Haute Partie contractante peut
prendre des mesures dérogeant aux obligations prévues par la présente
Convention, dans la stricte mesure où la situation l’exige et à la condition
que ces mesures ne soient pas en contradiction avec les autres obligations
découlant du droit international » (al. 1 in extenso).
Cela nous conduit à
poser les remarques suivantes.
(1) Un pays peut
déroger à la CEDH sans que cela ne puisse lui valoir condamnation, à condition
d'en informer les autres Etats afin que la France ne soit pas passible de
condamnation par son recours aux assignations à résidence, aux perquisitions
administratives et à l'interdiction de manifester.
(1bis) En revanche, dérogation ne vaut pas atteinte « au droit à la vie ou à l'interdiction de la torture » (art. 2 et 3 de la Convention) et au "Droit à la liberté et la sûreté" (art. 5, voir les exceptions : détention, arrestation, détention des mineurs, détention des malades contagieux, rétention des étrangers). Difficile dilemme légal, non !?
(1bis) En revanche, dérogation ne vaut pas atteinte « au droit à la vie ou à l'interdiction de la torture » (art. 2 et 3 de la Convention) et au "Droit à la liberté et la sûreté" (art. 5, voir les exceptions : détention, arrestation, détention des mineurs, détention des malades contagieux, rétention des étrangers). Difficile dilemme légal, non !?
(2) L'article 15 subordonne
en outre l’application du principe de proportionnalité des mesures prises avec
la situation.
(3) S'agissant strictement
de personnes sanctionnées en raison d'une participation à des manifestations
interdites, la France pourrait de la sorte arguer de l'application des
dispositions de la Convention
protégeant la liberté de manifestation.
(4) Enfin, reste que
d’autres dispositifs légaux (très longs en temps)
ne disparaissent pas. Un justiciable demeure en mesure d’invoquer les droits et
libertés garantis par la Constitution de 1958, par le biais d’une question prioritaire de constitutionnalité
(QPC) déposée notamment dans le cadre d'un référé-liberté devant la juridiction
administrative. Seulement, une QPC nécessite du temps en sa saisine quand le
contentieux devant la Cour européenne des
Droit de l’Homme (CEDH) est directement porté devant cette juridiction, et
ce même en cas d’atteinte aux libertés publiques survenant de par une loi nationale.
Pour
ne pas conclure, LSR note que les juges administratifs nationaux sont sensibles aux directions
générales des pouvoirs publics. Hormis ce point qui mériterait développements, l’état
d’urgence ne saurait constituer un blanc-seing et justifier tout et n’importe
quelle mesure quant aux menées concrètes dudit état d’urgence.
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