Un si brillant avenir
Eloge de la
main qui broie.
Se serrer les coudes entre copains-copines
d’une même promotion relève de l’ordre du normal, après avoir fricoté sur les
mêmes bancs, après les combats acharnés sur les mêmes manuels, les échanges de
notes et consignes pour un mémoire, un examen, un concours. Surtout, il en va d’un
clignement de l’œil éternel pour un avenir censément radieux. En sortir revient à une
prouesse puisque l’entraide n’est pas forcément la règle entre étudiants.
Nul n’ignore plus aujourd’hui la
concurrence accrue entre les formations universitaires dites d’« excellence » (dans le jargon du ministère, tout doit verser dans l’excellence).
Province contre Paris, universités contre écoles, rivalités entre filières… un
abrutissement général sectionne, sangle et diversifie à foison.
Il est de bon aloi de créer de l’anecdote
brutale sur tel cursus pour qu’il ne
ressemble à nul autre pareil. C’est bon pour le présent, finaud pour la
sensation d’avoir vécu une année exceptionnelle, excellent pour construire un
réseau qui n’en sera que plus profitable sur le chemin torpillé de la carrière
professionnelle.
Reste que la sensation d’élitisme s’estompe
six mois après la sortie du confort estudiantin. Les CV s’affrontent, la
poursuite de la grande illusion de notabilisation approfondit le jeu des formes
antagonistes. Plus qu’avant, le loup mord la main de l’ancien maître. Le
tumulte de la vénération pour tel professeur forcément exceptionnel (l’autre manière de montrer sa volonté de se
distinguer entre écoles de pensée, filières choisies, etc.) en passe par
les légendes d’amphithéâtres. S’ensuit le dénigrement : il aurait pu me mettre un point de plus,
elle aurait pu me donner un coup de main pour un stage… l’étudiant est
aussi ingrat que son avenir professionnel qui s’annonce aussi banal que toute
autre existence salariale.
Hormis la signification insensée de
ce devenir pour un natif de 1900 qui hanterait notre présent, spectre effrayé
par les vœux d’excellence et de la concurrence contemporaine, il nous serait inconséquent de rappeler
l’essence magique du passé et tout son mandarinat pour farfadets. Pour autant,
nous sommes loin de déprécier la relation classique maître-élève faite de
respect, d’émulation réciproque et instruction avisée. La jeunesse est passée à
une autre promesse. Heureuse, elle file doux avec un fondement libéral et tout
démocratique : la promesse de se distinguer seul, de jouir de soi. Car, habitué
à finasser, à feindre le harassement dans le dur labeur (le strict bachotage infect), tout jeune salarié devra soigner son
apparence, son artisanat du faux-semblant, sa morgue à se vertir tel « le roi du monde » d’un mauvais film
de malfaisants de la fripe. Seule condition de survie dans la meute ? Qui sait...
LSR
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