Gentil petit assassinat dominical de Lady Long Solo (16), par Raoul Bidard


Les beaux jours ou les suées de la grandeur humaine.

Pour justifier un privilège, rien de meilleur qu’une sortie pédestre à deviser parmi les oisillons matinaux qui gloussent sur les péquins urbains que nous sommes à tenter de suivre les pas sautillants de Lady Long Solo alors qu’elle suit de près un quidam portant une baguette à la main et son petit sac de papier rempli de pains au chocolat.

Monsieur le procureur sort en effet de sa boulangerie de quartier favorite. Dimanche matin paisible avant l’office de 10 heures à Saint-Nicolas-du-Chardonnet pour ce héros du Palais, ce diable d’homme a le don immanent de la juste répression. Il connaît un justiciable au tout premier coup d’œil et devine qu’il est forcément fautif de quelque chose. « Naître engendre la culpabilité », est sa sentence adorée. Monsieur le procureur ne manque jamais de la répéter doctement après deux verres de Cinzano-Perrier à qui la ruminera pour le restant de ses jours. On lui connaît un jugement qui ne trompe jamais, une soif d’artisan à maîtriser la procédure pénale. Si sérieux depuis l’enfance, ce délicat quarantenaire qui en paraît quinze de plus n’a jamais, Grand Dieu !, osé imaginer quitter le quartier de la faculté de Droit de Paris, sauf quelques trop longs mois de déprime à Bordeaux lors de son passage par l’Ecole de la magistrature.

Lady Long Solo dépasse Monsieur le procureur de son pas altier. Coupable de concupiscence, mais il n’osait se l’avouer jusqu’à maintenant dans le silence de ses convictions morales, il regarde les hanches de la donzelle balancer de droite à gauche comme une coquinette ballon aux pieds. Depuis trois mois, tous les dimanches, il la rencontre au même endroit, aux mêmes horaires. Le voici qui songe à l’aborder, imaginant la pureté des lignes intimes de la jeune femme. Car il pressent déjà une promiscuité en blanc avec elle. Déjà, qu’ils partagent les mêmes habitudes… Déjà, qu’ils se sourient depuis trois mois… Déjà, ils se reconnaissent et se le signifient d’un bref mouvement du menton.

Monsieur le procureur vit seul dans un trois pièces. Sa passion s’affiche dans la religion de sa bibliothèque : les œuvres complètes de Maurras, Raymond Barre et le code pénal dans toutes les éditions annuelles. Parfois, pour s’encanailler, il se rend au cinéma du quartier pour une séance diablotine. Aussitôt dans son home sweet home, pour apaiser ses chairs bleuies d’une sorte d’excitation peu catholique, il regarde en boucle sur son téléviseur deux discours d’Eva Joly lors de la campagne à l’élection présidentielle. Puis, il s’abîme dans la prière pour tenter d’oublier la comédie vue sur écran où des jeunes femmes, forcément hirsutes, se frottaient dans du coton-éponge en sortant de quelque piscine provinciale, ce qui ne cesse de laisser en lui les traces de stupre dans son esprit codifié, dans son regard fait de certitudes sur le monde social et tous les faits juridiques qui trônent en lucioles clignotantes tout autour de chacune des brebis égarées de Dieu. Monsieur le procureur, c’est un fait, est un laïc de salon et réquisits.

Monsieur le procureur, cette fois, ne se contente plus de rêvasser sur les longues jambes de Lady Long Solo ou sur ses épaules au calibre montagnard. Il veut l’aborder, lui parler, voire demander en mariage cette pure jeune femme dans cet élan si romantique au tourment des reins de sa marche sportive. Monsieur le procureur, hélas, ne parvient pas à suivre le rythme de la Lady.

Paris est la ville par excellence de la solitude. Soixante pour cent de ses créatures, dit-on, sont seules, aimeraient ne pas le rester, ou bien se jettent dans des relations sans lendemain où les hommes s’essuient en elles pour ne pas crever trop souvent d’inutilité reproductrice. La solitude de la ville est un trait caractéristique que Georg Simmel a identifié de cet urbanisme foldingue qui sourit aux remugles et forfaitures du penser cadastral du bourgeois. L’anachorète a le choix : ou le désert, ou la ville. A Paris, le « bonjour » du serveur vous incite à payer l’échange verbal ; le « bienvenue » dans les galeries commerciales demeure une feinte pour retenir jusqu’au claquement de la carte bleue la ménagère salariée moderne de moins de cinquante ans que devient toute jeune fille dès ses vingt ans fêtés. Elle libère son « pouvoir d’achat » pour rasséréner un souci de démontrer qu’elle serait indépendante, qu’elle serait qui plus est justement libre. Indépendante de quoi ? Libre de quoi ? Des marchands superflus, de la consommation de biens grossiers ? Lady Long Solo sait observer puis décrire la solitude de ses congénères femmes, sans négliger celle non moins emblématiques des bipèdes urbanisés de sexe mâle qui font semblant d’avoir moult occupations hautement sérieuses dans le marché du travail, du commerce et du militantisme pour leur histoire personnelle. Parce que Lady Long Solo a un jour lu Le Paysan parvenu, elle n’est jamais seule. Dans ses déambulations à travers les artères aux alouettes de la ville-lumière, le stylet de la critique littéraire lui dicte la rythmique de la splendeur d’un monde qui en finit là. Le texte n’en sera que plus curieux. Lady Long Solo lit. Jamais n’importe quel livre. Elle lit la littérature verticale, de ces pages où le vertige de la confusion mort/amour approfondit le spectacle intime de l’élévation. Sévère, elle bannit les scories, les objets du spectacle et les perpendiculaires livresques où la fiction égotique prononce un grand rien sur un monde flou et schizoïde.

Monsieur le procureur redevient joyeux, mais à bout de souffle. Il a pressé le pas au bon instant, au risque de ses coroners. Monsieur le procureur a rattrapé Lady Long Solo aux abords du jardin du Luxembourg, au coin de la petite rue Servandoni. Il se plaît à y voir le signe de la rencontre fatale à l’embouchure de Saint-Sulpice que Dieu lui a promis dans la clarté de ses prières matinales depuis quelques jours.

Lady Long Solo a bien orchestré son Grand jeu, ce dimanche. Le quidam est ferré. Définitivement.

Monsieur le procureur s’apprête à lever les yeux sur le visage de cette fée virginale qu’il saisit non plus seulement en songes en blanc sur le parvis de l’église avant le cochon coït autorisé par les saintes Ecritures. Il reprend son souffle. Le réel l’étreint : faire son annonce…

Lady Long Solo se retourne. Elle porte au quidam un sourire qui ressemble à une invite à monter chez elle et, droit au cœur, lui plante son coutelas dans le cœur en prononçant quatre mots : « Pour mon frère, amen. ».

Raoul Bidard

 

 

 

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