L'amour est un commerce de bouche dans 'The Village" - ou le tourisme et sa loi


Retour sur le prestige des marchands de l’amour touristique.

Quand il pleut au-dessus de Paris, de petits commerçants ambulants surgissent aux pieds des édifices touristiques. Or, chacun sait qu’ils sont pléthore dans la capitale, de l’Elysée où les momies de la République s’épanouissent à l’ombre des conseillères en fleurs jusqu’au musée Grévin où les précédents posent avec leurs congénères des sports, des médias et de la chansonnette au gré des pousses et petits plaisirs de nos amis les visiteurs par charters entiers.

Les marchands de Paris ont toujours de quoi agrémenter la régalade des devises qui valsent. Il pleut, un parapluie. Il fait beau, des lunettes made in China et des bouteilles de cinquante centilitres d’eau vendues à 2,50€.

Notre touriste s’esbaudit des tarifs s’il est Français en région. S’il est Allemand, la bière l’intéresse davantage. Un Américain se régale quant à lui d’une baguette et d’un foulard Hermès. Nul doute, un touriste à Paris doit verser ses billets et arrondir la manne. Madame Anne Hidalgo veille dans un souci d’éco-participation solidaire, citoyenne du monde et humaniste rigoureuse avec l’empreinte carbone de gauche.

Le voyageur alerte se doit d’aller dans les lieux les plus romantiques que compte notre belle ville multiséculaire. On ira donc cadenasser son amour sur le pont des Arts et partager 80.000 bactéries en se faisant des bisous tout en se promettant, c’est juré, l’éternité sans pareille de notre amour jusqu’à la mort par selfies exhibitionnistes.

Pour fêter cela, la touriste femelle inspirera au touriste mâle une invitation dans l’un des repaires de la gastronomie. Prenez la rue Mouffetard, par exemple. Ils y sont tous. Le soir, les rabatteurs sur les trottoirs vous proposent des tartes « maison » de chez Picard, des confits de canard de chez William Saurin, des raclettes « authentiques » au bon lait polonais. Tout, vous dis-je, vous aurez tout le panel des splendeurs buccales de la cuisine française mitonnée dans les laboratoires de notre savoir-faire industriel.

Eh oui, il ne faudrait tout de même pas croire que les Pakistanais et Roumains sous-payés dans des cuisines souvent infectes ont des doigts de fées avec les maigres euros qu’ils s’échinent à gagner en garnissant des assiettes d’après photographies.

Dans ces havres du plaisir gustatif, l’amour s’écoule dans des bougeoirs à piles, à la flambée d’un vin vieux ou d’une pièce de bœuf à la broche de démonstration.

Nous le savions, l’amour est un marché, alors quand le tourisme de masse au prétexte de l’amour exfiltre la raison pécuniaire dans le sens de la propriété privée, nous obtenons la tentation boursière et la dérive de tous les vices de l’industrie du vide.

En effet, sur le grand marché de la sexualité, le tourisme devient une autre forme de consolidation d’un projet de vie. Le CV sur site présentait son alter ego en « bonne situation, veut des enfants, aime les voyages, la musique et lire ». Monsieur répond fort bellement. En un clic, « destination romantique », avion-hôtel (repas tout compris, vin en supplément)-bus-soirée libre dans le « Paris-typique » et retour au bercail. Allez hop, roulez les amoureux.

Certes, il y a Venise. Mais Paris reste Paris, Ach so Paris… un Paris canaille, un Paris fripon, un Paris où de célèbres cabarets présentent de loin des sexes diligemment épilés (mais savamment cachés) aux visiteurs babas d’un soir qui n’attendent que cet instant pour avaler autant de Champagne que de morilles kosovares. Là, Madame tressaute. Elle feint l’indifférence, ou jubile des qualités de l’organe des danseuses chantantes. En fait, déjà foncièrement jalouse, elle cligne de l’œil et cherche à déchiffrer la teneur du regard que porte son Monsieur sur les artistes culs-nus.

Pendant cet intermède, les moins aisés font la tournée des centres commerciaux ou s’en vont affoler leurs recherches de sensations nouvelles au grand barnum du centre Disney européen en banlieue. Mickey ne souffre pas d’indigence, il accompagne l’excellence franchouillarde à grands coups de manèges high-tech.

D’autres encore, plutôt d’obédience japonaise, circulent en bus, visitent au pas de charge musées et châteaux et ont même droit au rituel repas au Père Louis et ses nappes en carreaux, à deux pas des Folies-Bergères.

Pour nos amis Chinois, rien n’est plus beau qu’un bateau-mouche avec trois godelureaux grimés en chanteurs popu’, accordéon sur le torse et violon éraillé plus reverbes poussées à fond. Là, les amoureux se fiancent à la chaîne en regardant dans la même direction des prompteurs pour prononcer les promesses éternelles dans la langue de Victor Hugo et Etienne Daho (en phonétique, bien sûr).

Paris restera toujours Paris… quelle veine. Les canons de la sagesse populaire ont imaginé un pays à leur image par leur capitale. La carte postale est défraîchie. Elle date du XIXe-début Vingtième. Des sièges d’assureurs, quelques épiceries fines et universités indolores peuvent se dépêcher d’afficher le menu minceur du printemps, les amoureux du monde entier viennent se la couler douce sur la Seine et attendant de monter dans les ascenseurs de la Tour Eiffel. Les plus altruistes iront photographier une bougie place de la République et laisseront filer une larme sur le chagrin commercial.

Un baiser sous la pluie au Trocadéro, c’est plus mythique, non !?

Le monde est standardisé, l’amour est matière strictement vénale et critère du tourisme. Comme son revers le chagrin hyperbolique. Le marchand ambulant ne s’y trompe jamais. Les larcineurs ripaillent au grand banquet des tours opérateurs mondialisés à l’aide de l’image fétichisée à gogo, ou plutôt la vidéo en boucle d’un Dallas, son univers de charme qui est devenu le seul horizon d’attente du sens commun pour le vagabondage planétaire.

The Village, comme disent les néo-sociologues de la french theory, ou bien les Pujadas jamais à l’abri du déclenchement des pires âneries via les arcanes cathodiques de la médiocrité informationnelle, est notre monde spectaculaire-marchand. Triste ! Détestable ! N’est-ce pas Dutronc qui fredonnait, « le monde entier est un cactus (…) impossible de s’asseoir » ?

Poudre d’escampette, je fonce voir ailleurs… plus besoin de parapluie pour affronter les pluies acides.

LSR

 

 

 

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