La mort de la démocratie parlementaire ne nous bouleverse pas plus que cela
Le chagrin
et la piété démocrate.
Le grand tourment qui envahit
cahin-caha notre charmant Hexagone s’arrange des giboulées de mai au milieu du
soleil froid qui perce. Qui perce chaque jour. Les urnes vont parler. Encore 11 mois à patienter telle
une junkie journaliste.
Dans les salons des institutions républicaines,
on s’inquiète, on cause, on ravigote sa confiance ou laisse ouïr son
incompréhension de tel « score »
annoncé. Les petits arrangements commencent là où l’intérêt commun prime entre
soi.
Toute constitution essaie d’incarner
« l’ordre politique désirable »,
selon la belle expression de Georges Burdeau.
Un ordre politique désirable subodore une société désirable, un ordre social qui tienne compte de la
perspective du bien commun
compréhensible à tous. Le vieux songe de la politeia
antique renaît dans les textes. Qu’en est-il dans les têtes des acteurs du
jour ?
En France, comme partout en Europe
continentale, il n’est cependant pas évident de cerner les noms et réseaux
serrés qui tronquent la délibération parlementaire par l’usage abondant des lobbyistes.
Nombreux, organisés telle une armée
avec ses matelots, lieutenants de vaisseau au service de l’amirauté, les
lobbyistes se sont substitués aux organisations politiques pour penser, rédiger
et proposer à ses notables élus des programmes politiques. Même ceux de nos
communes de peu, nos villages…
Généralement, ces programmes
deviennent, en cas de victoire, des actes législatifs définis par les règles
communes de la constitution. Or, nul ordre désirable politique fut envisagé
autrement que dans une harmonie entre l’acte de gouverner et l’acte de légiférer.
Sans commettre de confusion entre
des organes et des fonctions, la plupart des démocraties libérales européennes
se sont fort bien accommodées, ces dernières années, de ces officines qui concoctent des lois toutes-prêtes pour leurs
parlementaires besogneux à s’effacer devant les grands principes du bien commun
et de l’intérêt pour la chose publique.
Ce sont des vies privatisées qui se
sont emparées, naturellement, des rouages de la démocratie représentative. Non
que les élus soient intrinsèquement
dépouillés d’honnêteté au cœur, mais ils incarnent à la fois une décrépitude de l’engagement
désintéressé et un appauvrissement de la culture commune émancipatrice
dévouée à la chose publique.
Cette involution historique trouve ses
causes dans les origines des idées véhiculées durant les premières années du
quatrième repartage du monde débuté lors de la chute des régimes aux façades
socialisantes. Le culte de l’individu-roi, la religion du chacun pour soi et le
dieu-dollar ou le Reich-euro pour soi, mais encore la déchéance de la
générosité humaine commune ont, dès la décennie 1990, approfondit le fossé
entre une marge élitaire et une majorité laborieuse.
En dépit des breloques européistes
fantasmées, les rêves de concorde universelle entre les peuples se sont
affaissés dans les ornières d’une souveraineté
prise à partie dans les attendus mêmes de la volonté constitutive de l’Europe
instituée. En résumé, les affaires financières ont pris l’ascendant sur les
affaires publiques des Etats devenus « Etats-membres ».
Ainsi, l’inflation législative, avec
son cumul de normes internes aux Etats et externes plus souvent
contradictoires, les unes les autres, tout cela dans les alentours
d’institutions multiples et aux intérêts divergents (notamment, la Cour européenne des droits de l’homme, CEDH, relève du Conseil de l’Europe quand la Cour de Justice de l’UE, CJUE, dépend de l’Union européenne que l’on ne doit pas confondre avec la Cour internationale de
Justice de La Haye qui relève de l’ONU),
et dont les décisions de justice sont souvent disharmoniques avec les Directives et les Recommandations de l’UE… lesquelles peuvent être contradictoires
avec des normes internes aux Etats-membres, etc., élèvent, plus qu’il n’en
faut, pour les citoyens, un sentiment d’insécurité juridique et de poids
faramineux d’institutions loin du siège de l’Etat-membre lui-même.
Dans ce capharnaüm juridique
hautement agencé, seuls des cabinets ultra-spécialisés sur des points précis du
droit (interne et externe) et des
groupements de lobbying peuvent exercer une influence flagorneuse à l’endroit
des élus de tous poils et tous rangs rendus paresseux par leur propre faiblesse
de moyens et de connaissance des normes tricotées-détricotées qui surviennent
chaque semaine sur tous les sujets de la vie économique.
Les rédacteurs du Code napoléonien,
« constitution civile des Français »,
selon les substantiels mots du doyen Carbonnier, que furent Bigot de Préameneu,
Tronchet, Maleville et Portalis, bien qu’ils unissaient droit coutumier et
droit écrit, avaient toujours eu la ferme résolution de bâtir une codification
unitaire et cohérente, si possible ne laissant nulle place à l’éparpillement
propice aux infortunes de la tyrannie de l’inflation juridique.
Evidemment, la jurisprudence des
tribunaux a complété chaque fois que nécessaire les matières législatives et d’autres
codifications ont vu le jour dès lors qu’une matière juridique surgissait.
Par exemple, de la proposition de
loi sur la codification des lois ouvrières déposée par le député Arthur
Groussier en mars 1896 à la codification en quatre livres des lois ouvrières en
1906, jusqu’à la refonte du Code du travail en 1973 et ses modifications dites
« simplifiées » de 2004, un
fourbis de 3.400 pages aujourd’hui rend caduque la règle Nemo censetur ignorare legem,
personne n’est censé ignorer la loi (règle fictive, et pourtant cause de la rythmique accusatoire, puisque
personne ne peut arguer d’échapper aux obligations de la loi par sa
méconnaissance de celle-ci) davantage altérée par une catin politique du
nom d’El Khomri en cette année 2016.
Cet exemple en dit long sur l’infinie
possibilité, pour les mieux disposés à maîtriser les techniques du droit
positif et les meilleurs relais au sein des assemblées institutionnelles, d’imposer
les vues et principes de groupes constitués, généralement les plus puissants
des conglomérats et consortiums économico-financiers. Survient ensuite
l’effarement de voir les calculs et ententes secrètes entre les producteurs de
yaourts ou cigarettiers internationaux pour protéger leurs seuls intérêts
immédiats face à telle règle sanitaire instituée, ou telle disposition
restreignant leurs contributions fiscales.
Une
certaine idée de la démocratie libérale est morte
dans les vœux souverains d’un autre temps, d’une autre trempe conceptuelle.
L’atomisation des intérêts communs a
engendré l’éclatement des politiques publiques au service des mandants.
Jamais, ô grand jamais, la devise
« diviser pour mieux régner »
n’a atteint un si haut paroxysme par l’accroissance et l’usage du droit positif
qu’on en fait.
Rien donc que de très naturelle la
traduction qui s’engage dans les urnes : c’est un cri contre l’inflation
et l’insécurité juridique, c’est un cri contre l’égoïsme organisé et la
ratiocination époustouflante qui dominent dans le spectacle-marchand de la
politique à la petite semaine qui est censé organiser notre société
démocratique… si désirable.
Le Serpent rouge
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