(4) Ni maître, ni "esprit de sérieux" - la poésie est une fraction armée d'éternité


Qu’un poète veuille le monde, et l’amour des biens le crucifie d’une pichenette boutiquière.

La campagne francilienne connaît de ces avantages superflus que viennent rechercher les parisiens, ses forêts permettant d’obtenir un peu d’air, un peu de souffle. Giono prétendait, lui le Provençal, que la lumière francilienne est la plus belle de France.

La lumière fige une attractivité naturelle, un bleu qui ravive la sensation paisible du réconfort moral de l’homme générique. L’Aquitaine a l’Atlantique, le Sud a les Cévennes et ses Gardon, Marseille et la Corse, l’Est la montagne, mais nous les Gâtinois, possédons l’une des forêts les plus belles d’Europe continentale avec sa variété hallucinante transcrite selon les idées des différents rois au cours de leurs chasses. Par exemple, autour de Fontainebleau, Louis XVIII a préconisé de multiples et actives plantations de toutes les essences méditerranéennes. Aussi, nous possédons quasiment toutes les espèces de pins au monde. Certains arbres remarquables sont protégés tant bien que mal. Pas évident, avec la foule des beaux jours. Ils sont tous recensés un à un.

Vois-tu, belle et royale lectrice Serpentine, je ne suis pas un adepte curieux de l’art (Toulouse-Lautrec, Cézanne, certains Matisse et Bosch sont mes favoris) mais le suis en matière d’arbres et roches, un art naturel en somme. Une noblesse rudimentaire que les fanfarons de l’artisanat voudraient nous supplanter avec leurs ferrailles et toute la bête humaine de l’art des salons (merci Emile Zola).

Après donc avoir posé la question que peut le poète, il nous revient de poser la question idoine : que veut le poète ?

Pour briller dans le monde des lettres, il faut savoir mettre en branle tout un harnachement de mots, de formes esthétiques et de points précis dans l’art du paraître. S’apprêter, pour l’écrivain, est tout aussi important qu’acter une publication. Tenir la ligne, peindre le devenir, ce sont des aspirations légitimes. L’écrivain, pour faire parler de lui, c’est-à-dire pour exister à la surface des choses, cela dans un régime spectaculaire-marchand, doit savoir jouer d’esbroufe ; il est devenu tellement difficile de publier parmi la quantité, puis de franchir une barre de satisfaction chiffrée pour les éditeurs, et donc pouvoir continuer de publier. En effet, un éditeur s’engage désormais au maximum pour trois livres (même sans le dire, même sans l’acter contractuellement) et se sépare de son auteur s’il ne remplit pas des objectifs jamais avancés, jamais précisés, aussi variables d’un éditeur à l’autre.

Hormis cette imparable comptabilité, il n’est pas nécessaire de remplir des pages et des pages du point de vue de l’auteur. Il a d’abord pour tâche principale de raconter une histoire. Plus besoin d’être « littéraire », lectrice, pour faire paraître un roman. Cela me troue l’esprit.

Je ne comprendrais jamais la période de destruction progressive de la forme française au profit d’une espèce de forme cosmopolite, informe dans ses aspirations, sans inspirations théologale. Nous n’en finirons pas de consacrer -et pas seulement constater !- une chute du roman, un abaissement de la poésie contemporaine et une illisibilité rampante qui soudoie les ardeurs à lire. J’en lis des poètes, j’en lis de jeunes pousses et de moins jeunes, assez décevantes pour tout dire. Il n’y a guère que quelques inconnus indolores, des paysagistes loin de tous les sentiments de torture, de conscience ou d’illumination concernant la guerre à venir qui parviennent à me faire hérisser le poil. Certes, il y a aussi de ces « valeurs sûres » trop méconnues encore, parce que les critiques ne font plus consciencieusement leur boulot. Ou encore parce que les éditeurs ne leur livrent plus totalement les conditions matérielles pour ne s’occuper qu’à nous écrire.

Il n’en reste pas moins :

Les poètes sont les consciences éclairées des civilisations. Si toutefois ils accaparent l’étincelle, sifflent la poudre et font scintiller la mèche entre deux silex, alors ils tiennent la mesure d’une fraction d’éternité.

Mais laissons là la poésie et devenons tous ensemble de petits propriétaires, ce salut par la chose, ce salut par les biens. Seule condition vénérée en ces temps maudits, selon les canons des boutefeux, vrais guerriers que sont les sbires des palais nationaux d’hier, aujourd’hui et bien moins que ceux de demain : la propriété fait l’homme. Telle est notre damnation qui minore la lumière, l’authenticité galopante comme un filet de brume dégoulinant de la feuille de hêtre à l’humus, la vie au ressort du plein et délié. La vie en bleu, la vie du rouge.

LSR

 

 

 

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