Il n'y a pas de 'nouvelle vague' dans les productions de l'industrie culturelle


Chaque période a ses mélancolies.

Durant les principales années de l’existence de Roger Nimier (1925-1962) dans les lettres françaises, la mélancolie n’avait place que pour marquer une nette distinction entre les satisfécits de la génération montante de l’immédiat après-guerre et les enragements de dépit sur l’absence de véritable ambition nationale avant le recours à de Gaulle au pouvoir et sa stabilisation passagère des guerres coloniales perdues. La IVe République n’en finissait pas de sévir sous ses petites manœuvres, ses grandes rumeurs de palais et grandiloquences pour bien peu de concrétions quand Nimier écrivait sans conviction égotique ses amours de d’Artagnan (parution posthume). Ecrire était une respiration. Un acte politique naturel.

Nimier et ses amis Hussards vantaient les belles humeurs de la vitesse au volant de décapotables rutilantes, l’alcool et les femmes faciles. Leurs romans déclamait l’évidence, les femmes ont toujours été faciles pour ceux qui foncèrent tombeau ouvert jusqu’à Saint-Tropez. Le Tour de France affichait des promesses de combats au sommet des Alpes pour les Louison Bobet et Fausto Coppi. On ne parlait pas encore de dopage, mais on connaissait déjà le pot Belge. Jeux du cirque oblige.

Chaque période de notre histoire nationale connaît sa nostalgie singulière et ses malaises collectifs intimes. La nôtre, pour peu réjouissante qu’elle a si l’on observe juste son personnel politique et ses enfoncements économiques, a au moins le mérite de présenter quelques traits d’espérance dans les possibilités –certes réduites- de participer à la grande prise de conscience d’un monde à bout de souffle puisque, inévitablement, elle suppose une reprise des initiatives en tous genres. Même les plus hasardeuses au milieu de l’absence de projet des élus.

Y-a-t-il des Hussards dans les librairies ? Sûrement. Ils se font cependant discrets. L’autel du commerce du livre a de ses talents nihilistes pour casser les pattes des canards boiteux d’avec le régime libéral que nous ne cherchons guère à les lire. De toute façon ils sont réduits à des tirages d’apparat. Alors, nous préférons de guerre lasse redécouvrir les anciens.

Les « lettres » françaises d’aujourd’hui n’ont plus vraiment les revues largement diffusées qui proposaient la découverte de tous les courants créatifs. Chics et confidentielles, les revues littéraires vagissent à l’ombre de quelques éditeurs qui les financent comme des danseuses. Elles naissent, tonitruantes pour telle conviction, telle provocation ou telle affirmation en faveur d’un groupe d’auteurs, mais ne garantissent plus à l’un de faire face aux autres. Elles s’étranglent aussi vite qu’elles surgissent aux étals. En cause, la nature de l’activité scripturaire.

L’écrivain a toujours été le pire des individualistes politiques. Rares furent les constructions communes. Les Encyclopédistes du XVIIIe, les écrivains populistes et prolétariens de la fin des XIXe et début XXe avaient à cœur de proliférer pour la quintessence du bien commun, sans se défiler devant ses lecteurs. Ces périodes ont été, bien entendu, celles des espoirs révolutionnaires. Le monde des caves, les lecteurs d’aujourd’hui, veulent d’abord se divertir et surtout poursuivre des buts qui leurs sont imposés par la seule industrie éditoriale. Le « bien » culturel indispose même les plus récalcitrants.

Pour l’énoncer clairement et succinctement à la fois, tout le monde lit le même livre. A date régulière, on nous ressert les mêmes produits, et les mêmes chèvres en recherche d’herbes grasses étendent leurs euros à la panoplie de la construction de la même bibliothèque. On offre aussi « le Goncourt » comme on offre un parfum ou une bouteille de vin (au moins elle sera bue, contrairement au bouquin) avant de lever les godets de l’apéritif précédant ces repas familiaux devant le poste de télévision allumé sur une chaîne d’infos en continue. Les moins lotis verront la tronche à Drucker ou les fadeurs elliptiques frivoles parlant cul et politique avec Canal, la machine à écervelés beaufs et bobos. réunis dans le même trip, gage de succédané de la démocrassouille à l'œuvre.

Les Hussards, à l’image de Nimier étaient des perdants magnifiques. Les écrivains d’aujourd’hui sont replets, rondouillardes dans des habits trop grands pour eux. Ils ressemblent à la jeune génération qui n’aime plus mais fréquente, ne fait plus l’amour mais transforme tout en vague relation sexuelle comme on s’échange entre deux trous avec la panoplie simili-pornographique des débutants. Plus personne ne veut plus s’assembler pour le Grand jeu mais passer des heures indues devant des écrans. En réalité, les « lettres » contemporaines dont on parle, à de rares exceptions, n’écrivent pas mais fabriquent des livres et ont des plans épargne-retraite en bandant très forts les espérances de leurs recettes aux Agessa. Navrant.

Il n’y a guère à perdre aujourd’hui, sinon quelques relations dont il est inutile de boire la coupe d’amertume. La misérable époque que nous vivons n’est qu’une traversée. Pénible traversée, certes, mais le fleuve est large, les fonds profonds, quand soudain une lueur éclaire l’autre rive. La mélancolie est une résistance aux farces en toc et aux joies éphémères. L’écrire va mieux en la vivant. Avec un peu de rock pour pimenter le tout.

LSR

 

 

 

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