Le journaliste-domestique et la presse avant le grand incendie


Qu’est-ce que la presse ?

Elle accule à l’insignifiance et au chaos par ses employés domestiqués.

Le fléau d’une presse répétitive sur toujours les mêmes sujets entraîne, quoi que ses soutiers veuillent s’en prévenir, les français à brasser un même état d’esprit (Weltgeist) du monde. N’en va-t-il qu’en France ? Nullement. Ce phénomène s’est généralisé sur la planète bleue.

A ce stade de nos différentes bricoles posées sur L’Atelier du Serpent rouge, il nous revient de passer un peu de temps pour définir ce que le terme presse désigne et tenter derechef d’en proposer une signification dans l’abaissement crépusculaire par nos temps maudits.

« Presse » n’indique pas uniquement les supports de l’information, encore moins les accumulations de faits, mais renferme aussi toutes les productions qu’au XIXe siècle on ne qualifiait pas autrement qu’en étiquetant ses artisans de « publicistes », ita est : rendre public une pensée, une analyse, un avis, une opinion, des maximes, etc. Précisons qu’il s’agissait non pas de journalistes, avec peu ou prou un statut qui sert dorénavant de cadres variés façonnant juridiquement les bornes du lien de subordination à une activité plurielle, mais bel et bien d’une action scripturaire d’essence politique, voire partisane selon les contrées et leurs situations historiques. Le publiciste s’exprimait partout où il le pouvait, dans les journaux, bien sûr, et surtout les revues, brochures, libelles et tracts, conférences, allocutions, bistrots, réunions politiques clandestines. Le publiciste, à de rares exceptions près dans l’histoire continentale (relevons-le, la distinction est notable dans les contrées de langue anglaise où le livre servait de support quasi-immédiat aux publicistes) publiait rarement dans les livres qui, après coup, selon le culot ou la clairvoyance d’un éditeur, collectaient les recensions de tel ou tel.

Le XXe siècle a bousculé la donne politique et l’attitude que nous portons à l’écrit. Les formes de la médiatisation ont muté. Nous définirons dans une autre bricole ce qu’est l’institution réelle de la médiatisation qui n’est pas survenue avec la modernité, mais sous l’Ancien Régime en France.

Tous des acculés de nos jours, nous sommes tous portés par une communion de non-pensée véhiculée par un langage commun, voire le langage de la marginalité qui ne manque jamais d’être récupéré en toute occasion. La question des formes reste la principale occupation que doit poser le penseur à la fois du déchirement et de l’échéance.

Le déchirement est la schize vécue dans le subconscient de chaque être social entre ses aspirations volontaires et fictives à la paix sociale et l’accumulation de l’extériorisation de la guerre de "tous contre tous" endurée par lui. L’échéance est l’imminence de la guerre totale dont l'être social parvient à l'intuition en prenant connaissance -même de manière parcellaire- des rivalités entre les impérialismes des oligarques sous l’actuel Quatrième repartage du monde.

Le dire à l’heure des nuits debout quand il est bon de rester couché et rêver n’est pas un jeu : Le Serpent rouge refuse les jeux des dupes, les jeux de poker menteur et les farces médiatiques de quelques militants du vide, ces bourgeois-bohèmes aux soporifiques prétentions d’un « autre monde » au travers des rhizomes d’une technique langagière plongée et dans la fête spectaculaire permanente (l'homo festivus contre l’universalisme et vrai grégarisme au moment de l’acmé de la religion du sport, par exemple) et l’empire du Bien (la prophylaxie d’une non-pensée neutralisante du politique) et le langage deleuzien incompréhensible (une philosophie de l’asservissement sous couvert de décryptages conformés dans le genre, l’identité et la démocratie métissée entre biopolitique, bio-ingéniérie et egoïté par l’hyperbolisation des droits subjectifs). Autrement dit, Le Serpent rouge ne goûte guère aux caractéristiques fascistes du gauchisme ambiant place de la République.

En « période de crise » d’un peuple, toutes les formes ne sont ici pas nouvelles de la dépression dans ce phénomène, y compris pour imager sur tous les fronts le déclin généralisé et la morosité à la mode. En effet, les formes accentuent le langage instrumental commun. Un état spirituel national et international en découle. Par exemple, nombreux sont les français persuadés qu’en prison, on se la coule douce, que c’est un hôtel trois étoiles avec télévision et distribution des repas comme au restaurant. Le critère de la télévision semble le comble du luxe pour la plupart des beaufs du pays : regarder la télévision toute la sainte journée leur paraît certainement être le summum du bonheur… et puis, c’est bien connu en beauf-land, les « criminels » sont forcément majoritairement dehors.

La présupposition sociale du fait divers mis en exergue sur tous les tons, autrement dit la force du préjugé, dicte l’exacte radicalisation des opinions communes de plus en plus droitière (surtout à gauche). Or, le fait divers n’existe pas ; ne réside dans l’enfouissement de toute analyse que du drame ou de la comédie.

Dans l’ombre de la presse se cache des préoccupations ordinaires chez des professionnels chosifiés de la presse qui n’ont désormais plus le temps de fouiller un sujet, d’étudier un dossier ; ce sont pour la majorité d’entre eux des domestiques qui plus est béats et satisfaits de leur consentement à la bêtise de leur esclavage. Si l’on voulait s’illusionner de nuances, nous dirions que les contraintes et coûts de production de l’information ne facilitent pas l’explication et les dissertations rédigées dans le calme de l’analyse froide et critique. A cela s’ajoute la criante difficulté d’une masse salariale réduite, d’une horde de rédacteurs en poste ou pigistes mal payés sommés de « faire vite », d’angler ses papiers selon l’humeur de la hiérarchie, une hiérarchie parfois versatile en fonction des chiffres livrés par l’office des ventes. Surtout, une hiérarchie dans la presse à la botte de ses financiers. Ces seuls faits économiques du rapport productif au sein de la presse n’expliquent pas le journalisme-domestique.

En outre, la casuistique générale n’interroge plus simplement la question de la formation initiale ou professionnelle du journaliste qui compte, mais il s’agit du temps alloué et des moyens mis à sa disposition pour réaliser une production textuelle correcte. Au poids des mots et de la doxa, c’est en premier lieu la formation intellectuelle des journalistes réduites au néant de l’insignifiance (hors des humanités d’antan) et l’inanité de leurs chères études qui démontrent leur participation congénitale au chaos. Au chaos historique des intelligences, la presse saisit et retourne les faits dans le seul sens idoine à sa propre contingence et ses soutiers formatés, conditionnés et bien peu libres en dernière analyse.


Domestiques du spectacle journalistique
en activité professionnelle.
Vous en redemandez ?
Au final, il se dévoile une ligne générale : la presse papier et internet radote et construit toutes les formes de la conformation et des truismes les plus éculés. Mais ça marche, puisque le spectacle s’est imposé comme un véritable tsunami global de la perception de la politique internationale.

Aujourd’hui, les journalistes les plus en vue au sein des démocraties libérales préfèrent gérer leur petite carrière individuelle, leur image, leur éventuelle capacité à présenter le beau temps ou de faux débats politiques. Dans une autre direction, la presse radiodiffusée demeure un peu plus pertinente quand elle sait s’octroyer des séquences de reportages moyens ou longs. Sans illusion non plus sur la portée de ces moyens, nous percevons cependant que le sens guerrier de l’histoire poursuit son bonhomme de chemin (dans et par la bonhomie journalistique, soit dit en passant pour la bonne bouche).

Reste que l’illusion de l’avenir du tout-internet a pris l’espace entier du leurre pour alimenter la bête humaine moderne, pour embaucher de futurs jeunes diplômés déclassés à peine entrés sur le marché du travail. La presse internet, en fait, provient d’un déclassement assumé de ses acteurs qui s’acceptent volontiers esclaves du régime faut de mieux, du moment que cet outil ne fait qu’alimenter le grand pot commun de la publicité et de l’insignifiance politique et historique. Entre autres arguments supplémentaires, nous pouvons avancer sans vergogne une réalité banale : la presse insérée dans internet a la mission, dans les plans des oligarques, de créer une ligne conductrice bornée en faveur de tel empire du Bien contre tel empire secondaire et forcément rivaux.

Rares sont les voix dissonantes dans cette situation, exceptionnelles sont les pensées fleuries et encore plus marginales les analyses concrètes des situations concrètes.

Face au langage commun de l’insignifiance, et d’abord en vue de le définir, il est nécessaire de recourir à quelques morts pertinents. Hasard objectif (?), ces agis dont Mauthner anticipaient la mobilisation totale dans la guerre totale à venir qui s’étend en premier lieu en l’absence d’analyse critique des faits en tant qu’ils sont des faits sociaux-historiques au sens strict. Rien d’autre.

Ainsi, le langage commun est celui de la presse, certes, mais la presse entendue par Mauthner à la fois comme édition livresque et édition du journal. Laissons-lui le dernier mot pour imager mon modeste propos :

« L’expansion de ces formes de la presse a fini par produire, sous forme de livres et de feuilles périodiques un nouveau phénomène qui a plus promu l’internationalité de la situation spirituelle des peuples qu’aucune langue mondiale artificielle n’aurait pu le faire. La littérature traduite, la masse infinie de toutes les traductions qui se déversent d’un peuple sur l’autre, à commencer par celle d’un chef-d’œuvre, qui permet à un travailleur allemand de citer Hamlet en allemand, jusqu’au vol ou copiage qui remplit les colonnes d’un journal californien de coupures de feuilles françaises. Que l’on songe, pour mesurer l’étendue vertigineuse de ces influences et la puissance de la situation spirituelle internationale qui en résulte, aux cas récurrents dans lesquels la vox populi du globe terrestre tout entier, sans connaissance des faits et sans vérification, donne à une question la même réponse. »

(Fritz Mauthner, Le Langage {1907}, Ed. Bartillat, Paris, 2012, préface & traduction par Jacques Le Rider, p. 78).

Que dire après Mauthner ? Rien de mieux. Et encore, je passe les paragraphes précédents et suivants qui éclairent de façon notoire ce que signifie se trouver dans la modernité. Mauthner ne pouvait, en 1907, clarifier les rapports de production et les conditions de travail des soutiers de la presse. Nous, avec le recul des acculés et le recours des littérateurs et sa presse parue entre les deux premières guerres mondiales du XXe siècle, savons ce qui se trame hic et nunc dans nos temps maudits. Vous savez donc. Ou bien vous en avez l’intuition, ce qui n’est pas si mal. Demeure peut-être la solution pratique de l’extrême diligence du dire qui est faire en toute première instance et faire retour sans aucun doute à l'esprit et l'art du publiciste pour assumer toute élucidation impitoyable de ce qui forme le mal en langage et en actions dans notre période historique.

Avertir du grand incendie à l’œuvre serait-il encore, encore une fois… peine perdue ou résistance grosse de peines (*) ?

LSR

 

(*) Des peines et douleurs, en somme : l’illumination profane du poète reste mal aimée, surtout s’il se hisse sur les épaules de ses semblables bipèdes pour observer l’autre rive par-delà l’incendie. L’ordre social du pénal se glisse dans les interstices de sa chère liberté et assouvit le désir de le contraindre. Les douleurs deviennent sèches et directes, mais consenties contre vents mauvais et marais des conformismes et catéchismes déployés par le journalisme-domestique des oligarques.

 

 

 

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