Lady Long Solo disserte sur le foot avec Wittgenstein (19), par Raoul Bidard


Le jeu de ballon revient par Wittgenstein selon Lady Long Solo.

Lady Long Solo recherche quelques piécettes dans la poche de son jean. Le titre du Monde est attirant ce matin. Les piécettes n’y suffiront pas. Tant pis. Il paraît qu’un scandale international sort dans plusieurs rédactions du Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ). Le Panama, surprise !, serait un paradis fiscal et de nombreuses personnalités françaises bénéficieraient de son savoir du secret. Nous le savions. Des noms, des noms… A quoi bon ? Ce énième nous renseigne-t-il vraiment sur le cours du monde ? Pas la peine, nous en connaissons tous les travers. Allons-nous par cette connaissance spécifique vers une élucidation autre que de purs phénomènes plus visibles qu’il n’y paraît eu égard au monde économique, quand nous savons tous ce que l’histoire déroule sous nos yeux ?

Il y a plus essentiel. La Lady sort de cours. « Qu’est-ce qu’un jeu ? » fut son objet principal. Elle en connaît tous les arcanes, du jeu de football à la séduction, en passant par le Grand jeu et l’économie mondiale dans ses pratiques contradictoires. Devant ses étudiants, elle a décliné ses hypothèses partant des Recherches philosophiques (1953) de Ludwig Wittgenstein.

Il n’y a pas de définition d’un jeu définissant tous les jeux ou un seul jeu. Il y aura toujours quelque chose qu’on appelle jeu ou non jeu. Il ne faut pas dire, affirme Wittgenstein, qu’il doit y avoir ceci ou cela : ne pense pas, regarde.

En somme, il est inutile de penser par exemple le jeu de football devenu plus-qu’un-jeu, plutôt une mode au-delà de la pratique et l’économie criarde d’un comportement que doit suivre une certaine voie du capitalisme, en contradiction avec d’autres voies. Il est encore inutile de jouer le jeu de football pour le connaître. Regarder la pratique du football suffit.

Il n’y a rien de commun à tous les jeux, mais il y a un réseau complexe de ressemblances qui se chevauchent et s’entrecroisent. Wittgenstein donne des exemples de jeux : le jeu de moulin, les jeux de ballon où il n’y a ni perdant ni gagnant. La chance joue-t-elle la moindre chose aux échecs ? Non. L’importance de cette remarque, de ce constat sur le fonctionnement du langage humain, est d’affirmer que les concepts d’air de famille peuvent être aussi précis et aussi définis que les concepts d’essence. En effet, le mot « jeu » est connu de tous.

Le concept d’air de famille chez Wittgenstein est principal. C’est un concept qui désigne un ensemble d’objets, de choses qui ne sont pas réunies par un point commun. Les concepts qui définissent leurs extensions par un point commun à tous sont les concepts d’essence. Dans une conception naïve, le sens des termes généraux, c’est un point commun à toutes les choses qui tombent sous le concept. Ou un concept est concept d’essence, ou n’est pas grand-chose. Le concept d’air de famille illustre que l’unité est un « réseau complexe de ressemblances qui se chevauchent et s’entrecroisent » (Recherches philosophiques, 1953, § 66). La ressemblance entre membres d’une même famille est le bon exemple. Par la prise d’une photographie, un air de famille n’est pas forcément un trait commun à tous mais un réseau de ressemblances qui se chevauchent et s’entrecroisent. Par exemple, en se rendant à un mariage, on reconnaît des membres de la même famille par des traits indéfinissables qui forment l’air de famille. Malgré les aléas, on reconnaît l’air de famille : en croisant des gens, on peut dire si des personnes sont de la famille x ou y. Pour Wittgenstein, beaucoup d’exemples, beaucoup de concepts sont eux-mêmes des concepts d’air de famille.

Autrement développé, dans une équipe de football, l’air de famille s’illustrera non par le maillot, mais dans l’attitude martiale ou pas, l’attitude cool ou non, comme la fameuse équipe du très perfectionniste Bob Marley qui était passionné du jeu de football. Parce que sa vie flanchait, parce que son corps déclinait, au bord de la mort, par un succès international dû à son art de la musique Jah, il déployait encore plus d’agressivité sur le terrain, estimant que gagner le match s’avérait plus essentiel que sa vie elle-même.

L’air de famille d’une équipe de football révèle, pour Lady Long Solo, la manière singulière que l’individu, le joueur, entretient avec le sens du monde caractérisé par la compétition. Le joueur entretient un rapport particulier avec son jeu au mépris de toutes les autres règles, au mépris même des règles éthiques qu’il s’est fixées seul avant de s’épancher dans sa pratique de son choix du jeu de ballon. L’écrin politique a besoin des jeux pour assumer une dictée sur le comportement général des populations. Lady Long Solo prend en compte les analyses qui tiennent le football pour un registre connexe à la propension des pouvoirs dominants à démocratiser ce jeu dans la mesure où il ne reste bien souvent que celui-ci pour exercer une (sa) joie parmi des pans entiers de la population mondiale.

Le joueur de football le sait et… il en joue. Sa volonté de puissance est encore plus forte s’il se ressent, dans son identité d’origine, nié ou marginalisé. Décroissent alors son humanité et sa bienveillance. Il est héroïsé jusqu’à plus soif, métamorphosé en génie des pelouses comme seul monde possible sur lequel il sait pouvoir garder prise. Sa bienveillance, quant à elle, diminue s’il se fait initiateur d’une tactique de jeu particulière. Ainsi, les meilleurs sur la pelouse ne sont pas les plus rapides à la course, mais ceux qui portent un regard d’ensemble sur le pré, les surfaces, les vingt-un autres joueurs, voire les vingt-trois autres si l’on inclut le corps arbitral (arbitre et assesseurs) et les spectateurs. L’air du temps et de famille dicte sa loi propre sur un terrain.

Lady Long Solo a quelques idées sur les possibilités nouvelles que présente le jeu comme stimulus interne à la communication entre eux de tous les marchés existants. Elle ne regrette pas les piécettes manquantes pour s’acheter ce que tous commenteront dans les 48 heures qui viennent. Décidément, la presse n’est pas grand-chose face aux ouvertures d’un ouvrage théorique vieux pour penser ce qui est.

Raoul Bidard

 

 

 

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