Nous ne sommes rien, soyons doux ! - du travail théorique comme prise d'armes contre la guerre
De la porte
basse… levons-nous contre le conformisme généralisé.
Dans la Bible, il est question de la
porte du Temple de Salomon où les impétrants, avant de recevoir l’initiation au
tracé architectural des maîtres, doivent franchir le seuil le dos courbé, les
yeux lorgnant le sol. Dans mon adolescence bercée par les humanités, j’ai lu La Porte étroite d’André Gide. Récit de
1909 qui fut un grand succès à parution, il a tôt fait d’être dépassé en
notoriété par le roman L’immoraliste
(1902) dès la décennie suivante, et qui est son exact pendant littéraire.
La
Porte étroite, selon mes souvenirs, signe la présence de
Jérôme et d’Alissa, dont l’un se défend de toute œuvre littéraire. Fouillons
dans nos souvenirs communs pour cette lecture on ne peut plus classique, pour
tout bachelier normalement instruit. Les deux personnages, Jérôme et Alissa, sous
la forme d’une correspondance et de brèves narrations diaristes, posent l’excès
d’ingénuité, l’excès de pruderie mais encore rabrouent l’effort.
La littérature est ici présentée
dans le récit comme la pièce montée de la possibilité de se fourvoyer dans
l’existence, de vivre aux côtés de la débauche et par elle. En réalité, tout
cela confine à la litote pour interroger l’incarnation ou pas en littérature.
Une entrée dans sa corporéité la plus profonde au sens strict. La métaphore
homosexuelle est un jeu de Gide évident, pour qui sait lire : pénétrer la
littérature sera toujours une porte étroite, une porte située au fond du jardin
séparant les lieux de Jérôme et Alissa.
Il n’est jamais aisé de se
satisfaire des interprétations académiques telles qu’elles sont soutenues dans
les établissements scolaires de France.
D’évidence, la littérature est
intestinale ou n’est pas. On l’admire, on l’adore, on l’exècre. On la vomit
parfois. Ecrire semble vain. Sinon dans des sms et 140 signes sur le site cui-cui. Formatage d’un temps où
l’argent est plus sérieux que prendre du temps, prendre son temps. Avec les autres, en particulier.
Dans les mondanités excessives que
connurent les écrivains des deux siècles passés, nous ne retiendrons que
quelques ouvrages. Généralement les moins volumineux et les moins chers dans
les rayons des Carrefour city. Un citoyen
bien né se doit d’avoir lu trois ou quatre résumés pour avancer en société.
Dans le monde de la haute fonction publique, on préfèrera retenir quelques
schématiques principes de Montesquieu et Alain Duhamel si l’on a posé ses
fesses dans les amphis de Sciences-popo. Avec un S. C’est plus sérieux,
non !?
Pour une gabegie, c’est une gabegie
atone. Que reste-t-il des « classiques »
(selon l’usage expressif) dans la vie
sociétale de tous les jours ? Peu. Peu ou rien, plutôt.
Pérégriner dans les rues nous fait
rencontrer l’insanité, les tags de l’ennui conservateur du grégarisme de
quelques artistes en mal de scènes bohémiennes, sans compter de plus les
slogans publicitaires des boîtes et des partis de tous les poils. Même des
salons de massages dans certains quartiers de Paname. La « finition » y est suggérée par
la seule photographie. Le vice s'instille dans tous les pores de Babylone.
Gauche, droite, morale, conseils,
recours et principes individuels… le mensonge est généralisé, y compris dans
les sectes partisanes, les noctambules debouts la nuit. Ce n’est même plus une
question d’arc politique, ou bien de sentiment, de ressenti ou d’analyse un
brin sociale mais bien d’une écoute qui résume à elle seule l’ensemble de la
communauté sociale-historique contemporaine.
Nous sommes, nous autres vertébrés,
en chemin dans le tunnel d’une économie enfermée sur des rails libéraux fondés
à la fois par les obédiences keynésiennes, marxiennes et libéralo-libertaires.
Encore des écoles. Encore des pensées très élaborées, fondées sur des prémisses
conceptuelles nées de rapports étroits avec une réflexion ontologique propre.
De ce tunnel, nous n’apercevons plus
guère la petite luciole de la sortie. Dans les années 80, elle fléchissait.
Elle n’est plus. C’est la dramatique épouvante dans laquelle chacun tente de
s’ébattre. Au plan intellectuel, au plan physique mais aussi au plan si
prosaïquement mental de la bonne forme... ou pas.
Nous pourrions réserver nos
penchants pour des plaisirs simples. Manger, boire, jouer, espérer, faire des
enfants, jouir du temps présent et fêtes spontanées du genre danser pour une
victoire des Bleus (en foot, volley,
pétanque, fleuret, crawl…). Qu’importe le sport pourvu qu’on ait l’ivresse
et la pénétrante du porc. En attendant, la fête programmée immédiate est celle
de Hollande face aux Français ce soir. Une farce de plus avant le grand
incendie.
George
Orwell, qui n’est pas un âne, nous a prononcé quelques
principes simples :
« L’abandon des illusions suppose
la publication des faits, et les faits peuvent être désagréables. ».
Michéa, Le Goff, Muray, Castoriadis
et quelques autres tels Bernanos, de Rougemont, de Roux, Ellul qui présentent
des faits désagréables, étayés sur des travaux savants en amont.
Le réservoir d’analyses est rempli.
Sont aussi remplies les poubelles de tous ces livres qui ne sont plus étudiés,
plus lus, plus pris en compte sinon par des mémoires universitaires qui citent des auteurs
intempestifs.
Posséder
une bonne bibliothèque d’honnête homme nous rend aujourd’hui suspect.
La plupart de mes auteurs, amuseurs compris, ne sont plus lus. Je me retourne,
je lève le nez vers mes étals, que toutes ces choses imprimées sont vaines pour
les esclaves du salariat intellectuel.
Nous
ne sommes rien, soyons doux ! Il n’est pas
utile de se pâmer dans l’atterrement, mais il est bel et bon d’être averti de
l’inanité de la civilité tant dépliée dans les rebours et allers vers le
conformisme en conserve.
Que faire des travaux érudits ?
Est-ce encore utile ? Pour qui, pourquoi ? C’est d’un goût déroutant
et finalement très égoïste, mais tellement utile pour préparer les cœurs et les
intellects à la guerre à venir. Car dans la montagne, dans les bois ou les
venelles des villes, il faudra se battre. Prendre
les armes ! Contre les oligarques, contre l’Europe !
LSR
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