Les années 30 sont loin. D'autres causes à la guerre à venir qu'un comparatif de bon aloi.
Retour des années Trente ?
Un afflux de publications de plumes
plus ou moins connues du grand public met en avant, ces derniers jours, une
comparaison avec les années 1930, années si grosses du péril nazi et la Seconde
guerre mondiale. De notre côté, il nous est arrivé, il y a dix ans, de
commettre quelques articles faisant de même. Hélas, nous avions tort.
Certes, des
traits communs existent entre notre période et les années 1930. Chômage de
masse, clash entre le modèle de l’entreprise
patrimoniale-familiale et des consortiums contrôlés par le patronat anonyme de la
finance, restructuration à grande échelle de l’industrie, des arts et métiers,
flambée des conflits locaux et crises économiques successives se cumulent avec
un affaissement de la représentation politique, du vote et, pour tout dire en guise de résumé, une
crise des démocraties libérales constituées. Seulement, chaque période
historique correspond à des données économiques et politiques distinctes. Nous
n’évoquerons que trois données, trois traits différents des années 1930 pour caractériser
notre contemporanéité : la crise politique (I), la crise de l’instruction
publique (II) et le fait religieux (III).
I-
Des représentants politiques… d’eux-mêmes et de leurs maitres.
L’une de ces données nous confond de
malaise : nos gouvernants incarnés nous démontrent à quel point nous
sommes tombés très bas dans la stricte tempérance, la civilité, le civisme et l’amour
et la recherche du bien commun. C’est que nous autres, gouvernés, avions passé
un pacte pour accepter le système de représentation et de gouvernement de nos
gouvernants (et leur sélection dans le
régime des partis). Or, une tache brune s’élargit sur le drap du bien
commun. En effet, bien commun, utilité commune et publique et intérêt(s) commun(s) au sein
même des nations se sont volatilisés dans un cosmopolitisme échevelé, une
activité normative supranationale causant nombre de hiatus entre des élites
bien-portantes (avec leurs portefeuilles
d’actifs financiers et patrimoniaux) et des populations appauvries ou stérilisées au suc de la publicité. La
législation nationale, directement construite par les autorités administratives
de l’Etat sous influence des lobbies, se trouve de plus en en plus en
contradiction avec une défense des intérêts communs des peuples censément édictés par la loi
générale applicable à tous. Et la contradiction explose aujourd’hui. Les
personnels politiques, au sein des institutions comme au sein des partis,
reflètent leur électorat devenu égoïste, versatile et animé du gain pour le
gain. De même, qu’importe le parti face ou pile, les personnels politiques
servent des intérêts particuliers anonymes et transnationaux de manière
flagrante. Dans les années Trente, ils le faisaient au moins pour les intérêts
du capitalisme national. Dans le même temps, chacun veut faire carrière, quand
d’autres s’assomment le front au linteau de la porte étroite sociale et
professionnelle. Tout cela a déjà été largement mis en avant et dénoncé dans
les billets de L’Atelier du Serpent rouge ces derniers mois
II – L’Education (ex-)nationale
s’est substituée à l’instruction publique, où le règne de la technique.
Une autre donnée distingue notre
période des années 1930. La culture, les arts, les formations professionnelles
et universitaires ont dérivé vers la recherche d’une opulence de technicités,
de techniques, de « trucs »
importés par la logorrhée d’un psychologisme dominant et adepte de la
cultissime conjonction entre savoir-faire
et savoir-être. Et ceci s’est élaboré
y compris dans les matières relevant des sciences humaines et sociales (les lettres, l’histoire, la philosophie, le
droit, etc.). En clair, on a renoncé aux équilibres avec l’apprentissage
des humanités, ce savoir fondé sur la tradition littéraire nationale et
mondiale comparée, discutée et critiquée pour former raison et morale communes,
c’est-à-dire un langage commun entre tous les résidents d’un pays donné. Il n’est
ainsi plus étonnant de lire des copies de bacheliers bourrées de fautes à
chaque ligne, ou celles d’enseignants maltraitant la langue française comme le
dernier énarque venu. Plus fort, dans les collèges et lycées français, des
patrouilles idéologiques recherchent des poux dans les pages des grands
auteurs, refusent d’étudier tel ou tel au nom d’un supposé religieux et/ou politique
inhérent à une œuvre. Vallès est autant réfuté pour son socialisme que
Bernanos l’est pour son christianisme. Céline est vomi par les brigades des
bonnes mœurs antiracistes quand Vailland l’est pour son intérêt pour les petits
employés et petits ouvriers. Aristote est tout autant banni des études secondaires
que Cicéron parce qu’ils seraient « d’un
autre temps », d’une antiquité qui ne nous aurait pas déterminée, d’une
« complexité » et « abstraction » trop difficile pour nos
jeunes gens qui ont besoin de pratiques devant leurs tablettes, consoles et smartphones. Les pauvres jeunes... dans leur univers sucré ! Il ne faut surtout
pas les instruire mais les éduquer, les niveler au sabre de la future feuille
de paie. Le nivellement généralisé de l’éducation, sous l’appellation de
pédagogie, a pour trait principal de ne former que de futurs producteurs, de purs
rouages techniques hétéronomes du système productif et remplaçables à merci.
Même les enseignants sont réduits à n’être que les sélectionneurs nationaux d’une
masse de futurs dominés quasi dépourvus de lettres et d’histoire, chargés
quelquefois de protéger et élever aux grains les bons éléments qui deviendront
les futurs petits maîtres de la production. Dans les années 1930, la culture
classique n’était pas niée, l’histoire encore moins. On lisait Madame de
Clèves, Rousseau, saint Augustin, l’abbé Antoine François Prévost, Eschyle, Molière
et nous en passons… Aujourd’hui, lisez tous, s’il-vous-plaît, les mêmes auteurs
à la mode. En classe, soulagez la jeunesse en ne lui proposant que des
extraits, ou des auteurs sans teneur ajoutée d’idées des formes… des pastilles,
du bonbon frais à la fraise, de l’auteur bas du front et plein de l'espoir de
ses egofictions.
III – Le fait religieux s’amplifie au nom d’une
déspiritualisation de notre temps politique.
Nous noterons une dernière donnée,
parmi d’autres, que ne saurait évacuer l’observateur attentif du monde tel qu’il
est hic et nunc, et si naturellement
liée aux deux précédentes dont elle est la résultante majeure. Les flux
migratoires sont ingérés dans le seul flux du travail et le déclassement de
tous de concert avec des qualifications professionnelles peu reconnues. Avec en
sus des retours du fait religieux dans les rues par la monstration
vestimentaire, des conflits guerriers pilotés au nom d’une foi sur le reste du
monde, pour justement défendre sa communauté contre la société dans
son ensemble, c’est tout un empire qui se crée face à l’insignifiance de tout
et rien placés au même niveau. Pour l’essentiel, l’empire se plonge dans un parti-pris pour le
rigorisme et l’orthodoxie des lectures des textes sacrés de toutes les
religions. Le communautarisme a pris
ses marques face au déni d’Etat régulateur, lequel a muté dans les années 1980 en
Etat gestionnaire au profit des gouvernants et des seules sécurité intérieure
et fiscalité. En conséquence, les travailleurs migrants sont relégués à des
tâches misérables dans des immeubles minables, aux côtés de nationaux
disqualifiés dans leurs professions, au moment même où les classes dites
moyennes espèrent dans la consommation et les crédits, cette nouvelle foi
libertaire s’il en est, avec la télévision qui enchante les peurs grégaires. Ce
conflit est désormais béant dans une société française qui désunit le corps
politique en des corps antagonistes, justement par la phase achevée de la mise
en place du communautarisme. La frustration sociale (et personnelle) engendre donc des postures et positions
politico-religieuses radicales. Pour l’heur de plaire à qui voudrait croire que
l’angélisme de gauche primera dans le saut du vide proposé par la droite, les
grandes déclarations des principes n’ont plus d’autre légitimité que de servir
de cadres à la hiérarchie des normes. Leur fondement sur la défense et
protection des libertés individuelles ne tient plus la route face aux positions
alambiquées du droit d’avoir le droit
dans un abaissement des droits politiques réels, du cumul des droits subjectifs
au moment du renforcement de la dureté de la pénalisation de tout acte de l’existence.
Si, de surcroît, les déclarations des droits et libertés nationales se
chevauchent avec la Convention de
sauvegarde des Droits de l’Homme et des libertés fondamentales (Rome, 1950),
dont la jurisprudence de la Cour de Strasbourg, dite CEDH, établit de nouvelles
normes et un nouvel « ordre public
pour la protection des êtres humains » (tel que l’énonce la décision : CEDH, 23 mars 1995, affaire Loizidou
c. Turquie), nous avons là l’étincelle d’un vaste imbroglio juridique dans
lequel les religieux de tous les goupillons et djellabas s’engouffrent
joyeusement dans le dessein de faire céder un à un les clous de notre
constitution matérielle et nos principes républicains. En effet, au nom de la liberté d’expression de la Convention de sauvegarde susmentionnée (article 10) et de la liberté de pensée, de conscience et de religion (article 9), la France est régulièrement
condamnée pour porter atteinte à la liberté de religion (N1) et se voit sommée
de coucher à plat ventre l’interprétation de nos textes nationaux (N2). Dès
lors, l’Etat n’ose plus lever le voile sur les sources des financements de
certaines églises dont les traits caractéristiques ne se distinguent guère des
sectes fanatisées hostiles à la France, ici et dans le monde. C’est que la France,
vue de loin, semble encore porter (de
loin, là aussi) les idées révolutionnaires et républicaines de distinction
entre les pouvoirs temporels et spirituels.
Ces trois traits, partiellement
énoncés, livrent un visage à notre période historique : celui de l’avant-guerre,
précédé ou suivi (nul ne le sait) de
jacqueries, de protestations sécessionnistes, de heurts de rue violents… en
somme, des incendies historiques mortelles si cruellement évidentes. Après
avoir déréglementé tous azimuts, après avoir borné notre histoire à l’empire du
bien et de l’Euroland, après avoir limé les conquêtes historiques du droit
positif issues des luttes populaires, après avoir abandonné le service et le
sens de l’Etat parmi le personnel politique, jeté aux orties l’instruction et l’honneur
de servir les « bien et utilité »
communs, il n’est plus anormal de constater que les librairies vont s’encombrer
d’essais qui palpent l’air du temps : la guerre à venir sur laquelle nous
sommes de plus en plus nombreux à nous accorder. Reste à savoir si les causes
sont toutes auscultées et les effets appréciés. A voir…
LSR
(N1) notamment : CEDH, 26 octobre 2000, aff. Hassan &
Tchaouch c. Bulgarie et CEDH, 30 juin 2011, aff. Association Les Témoins de
Jéhovah c. France.
(N2) notamment l’art. 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du
citoyen de 1789, l’art. 1er de la Constitution d’octobre 1958*, la loi du 9 décembre 1905 relative à
la séparation des églises et de l’Etat.
*Article 1er
de notre Constitution, pour rappel : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et
sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans
distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les
croyances (…). ». Jusque-là, la France tolérait les religions et
restait neutre. La tolérance imposait de ne privilégier aucune religion sur une
autre (décision du Conseil d’Etat du 19
juillet 2011), mais encore de manière positive, d’assurer que toutes
religions fassent l’objet d’un traitement identique.
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