Patrice aux urgences, un "no man's land" de bonté, une fin de vie sociale
Plongée en milieu pathétique.
La
pénétration dans le milieu social, par ses entrailles, réserve et dévoile les
vrais dessous et vraies valeurs de notre société. L’inconvénient étant qu’on en
fait la découverte de façon assez brutale, voire violente. La marche arrière ou
le demi-tour étant pas impossibles, pour cause de passage obligé, lorsqu’on y
pénètre contraint et forcé, c’est définitif…
L’immersion
dans le social ambiant par le service des urgences
hospitalières a quelque chose d’aussi violent qu’un piqué de tête la
première dans un magma, façon Haroun Tazieff pour l’effet et façon Dante pour
la confrontation avec les strates successives, bien que simultanées de la
société.
Comme
chantait Nougaro : « j’ai senti
le choc, un souffle nouveau, un souffle barbare » vous renvoie à votre
propre vécu démocratique et populaire.
Ah,
la belle chose que la démocratie partagée…
Pleine
de surprise et de révélations elle est !
Du
genre « vous m’avez voulu ?
vous voici servis ».
D’abord,
il y a la découverte des structures in
vivo. Désormais incontournables, et faisant partie de notre environnement
et de nos réflexes de survie (on n’est
jamais trop prudent !). Seule la mise en situation, donc moyennant
votre participation, peut être à la hauteur réelle de l’impact. L’imagination
n’y suffit plus, la voilà reléguée au rayon des accessoires.
« Nom,
prénom, adresse, âge, carte vitale ! Asseyez-vous, on vous appellera. ». Voici l’accueil.
Après
une petite heure d’attente — veinard que
je suis —, juste le temps de prendre connaissance de l’environnement,
prendre la température serait plus approprié, et voici la suite : « Bonjour Monsieur, qu’est-ce qui vous
amène ? ».
On oublie de vous dire « par cette belle journée printanière », ça pourrait
détendre l’atmosphère imprégnée déjà des douleurs à venir…
Passé
les formalités sélectives : retour à l’accueil. On s’habitue peu à peu… au
point de mieux discerner les choses et les gens. Vous êtes prévenus et pouvez
prévoir vos investigations : « Vous
allez être reçu par un médecin. Le délai moyen prévu est de trois
heures. » C’est le “prévu“
qui est délicieux…
Le
retour en milieu non choisi fixe votre horizon social. Le bruit d’un va et
vient intensif de brancards avec pompiers et ambulanciers divers et variés,
associés aux conversations ambiantes essentiellement faites d’onomatopées
stéréotypées répétitives et toutes aussi gracieuses les unes que les autres
émanant d’individus pour le moins suspects, voire franchement louches, permet
de se situer, de faire le point et de relativiser sa situation personnelle,
compte tenu que vous n’êtes pas complètement le seul de votre catégorie que
tout cela interpelle et interloque.
Ça
ne rassure pas plus que cela.
Le melting
qui n’a rien de pote, est brutal.
La
découverte aussi !
Le “spectacle“ est varié et permanent bien
que ne se renouvelant pas. La diversité sociétale, à défaut de richesse, semble
infinie et pleine de surprises. « Comment
peut-on en arriver là ? » reste la question spontanée à laquelle
on se sent impuissant à trouver une réponse.
Impression
de voyage, genre visite au zoo impromptue.
Quand, finalement, l’interne vous ausculte,
c’est pour en référer aux instances supérieures. Il ne vous reste
plus qu’à…
…attendre
pour savoir si vous allez être mis en traitement (sauf pour les blessures qui elles ne posent pas de questions) ou si
vous allez être hospitalisé. Finalement et au total, ce sont quelques huit
heures votre sort qui plus tard que vous êtes fixé sur, en l’occurrence, sera
la seconde solution me concernant.
Bien
sûr, on ne peut pas déterminer quelle sera la durée de l’hospitalisation avant
investigations. Vous êtes donc habilités à intégrer le service hospitalisation
des urgences le lendemain après-midi, soit vingt-six heures après votre arrivée,
ce qui permet de désengorger l’accueil.
Service
frère du premier, pompeusement appelé « aval à l’hospitalisation en
urgence », que l’on pourrait tout aussi bien appeler amont aux
services spécialisés… ou encore l’un étant aussi le bémol du second, celui-ci
étant aussi le dièse du premier…
On
voit surtout mieux où va se nicher la
technocratie. Cela permet aussi à l’AP-HP (Assistance publique-Hôpitaux de Paris) de ne plus refuser personne
et de redorer son blason d’acteur essentiel dans le médical. On accepte tout,
on stocke, on soigne et on ventile si nécessaire.
Le service des urgences drainant toute la
misère du monde
et celle-ci étant insondable, elle n’est violente que lorsque vous la partagez.
Elle
génère des extensions intra-hospitalières pour faire face à la demande exponentielle,
quitte pour cela à réduire, éventuellement, des secteurs d’activité. Pour
l’AP-HP, c’est aussi assumer sa présence face à la détresse médicale
grandissante et apporter la preuve que l’on peut être présent et efficace.
On
peut d’autant mieux mesurer à la fois l’état sanitaire et exposer et comprendre
la réelle situation de la société dans des services qui revêtent de plus en
plus l’aspect des anciens hospices, car il faut avoir vécu quelques jours cette
triste mais enrichissante expérience pour mieux percevoir et connaître de quoi
est faite notre société et comment elle vit et gère son présent.
Le
mérite plein et entier revient aux personnels, toutes catégories confondues,
qui font preuve d’une honnêteté professionnelle et humaine surdimensionnée et
jamais prise en défaut, au prix d’un énorme investissement personnel qui ne
laisse jamais transparaître de réactions personnelles. Du brancardier au
médecin, ils sont la fierté et la garantie de qualité de notre système de
santé.
Seule
vraie satisfaction, La Gouailleuse, infirmière de nuit, vingt-sept ans de “boutique“, comme elle dit. Elle a
effectivement la tête, la voix, la gueule et ce qu’il y a dedans, l’ensemble
participant à son efficacité. Elle, c’est « Y’a que la nuit qu’est vraie, pas le jour. Bouges pas que j’t’en
pique une (de veine). Ouvre pas les
yeux, la lumière est violente à six heures du mat». Chapeau
l’artiste !
So
long,
je rentre chez moi. Il y a quatre jours en fait que je suis aux urgences, car
mon cas ne nécessitait pas une hospitalisation spécialisée.
Patrice
C.
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