Les Bougnats de la haine
Bougnats de la haine
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Esquisse sur la
conflagration quotidienne des singes, des hommes, des femmes et de nos semblables aimés enfoncés dans la béatitude de l’illusion sous
prozac.
Tout, ou presque,
est vain dans ce bas monde. Tout est représentation, tout est cirque ou
comédie, ou litanie de souffrances et de désirs mêlés.
Rien n’est vrai,
tout est vrai. A contrario, tout est vrai, tout est faux (lecteur, lectrice,
il est ici permis de manier l’ironie de l’assertion en tous les sens).
Nous sommes
constitués de chairs, d’eau, d’un peu de sang et de viscères, dont certains
produisent les liquides de l’amour. Nous mourrons, nous vivons entretemps. Dans
ce laps de temps, cet intervalle ridiculement petit, nous jouons la comédie de
la vie et tentons, tous à notre manière, de nous dépêtrer de nos deuils, de nos
enthousiasmes ravalés au rang de désert par l’altérité et la société
hétéronome.
Finalement, nous
aspirons à une quiétude impossible, un tantinet illusoire eu égard aux drames
du monde social-historique et au caractère sordide et noir de la plupart des
personnes que nous croisons sur notre sentier. Notamment ces menteurs qui se
vouent à de grands mots d’amour, de fidélité ou de connivence intellectuelle
alors qu’ils ne font que rechercher une satisfaction immédiate à leur toute
petite aura dérisoire, à leur psyché égocentrée. Voire à un égoïsme ravageur, y
compris pour leurs enfants. Soyeux, ils maintiennent le cap d’idées « larges »,
« humaines et généreuses ». Ils sont débordés par leurs
viscères. Ils le nient, pourtant, comme Monsieur Bruni est à Ravachol ce que
l’idiosyncrasie est à la mollesse du contre-chant.
Notre petite et non
moins excellente camarade tatouée, pourtant si souffrante, vit sans aucun doute
possible bien mieux que ces faux amateurs de suées professionnelles
avachissantes, ces hérauts de la violence verbale, du cri pour pallier à leur
incapacité fonctionnelle à pratiquer la parole, le dialogue et l’écoute
véritable. De l’humanité basique, quoi ! Oh, certes, ils écoutent depuis
qu’ils croisent une psy sous diplômée en parchemins théoriques, mais
n'entendent jamais rien, vu le jugement idoine clinique et exclusif à leur
tare. Presque tous se placent sur le barreau de la victimisation, de l’amoureux
transi/trahi quand bien même ils ont tout orchestré pour dominer
l’autre, l’assujettir à sa propension éternelle et radicale de se présenter
comme toujours victime pour asseoir une domination maladive. Jeu de dupe, avec
eux-mêmes, surtout. Un peu comme la personne qui devient heureuse d’être malade
et reconnue officiellement par l’autorité médicale (et la Sécurité sociale),
cancer ou cardiaque, histoire de trouver un pis-aller à sa méchanceté naturelle
d’un côté, ou à son incapacité à prendre une cause pratique à bras-le-corps, de
l’autre. Quand le trouble relève de l’ordre/désordre psychique, les
charlataneries dominent entre analyste et analysé, c’est bien le drame de
l’inefficience de la discipline clinique qui ressemble, de plus en plus, à
celle des mauvais prêtres des siècles passés.
En cela, les
adhésions multiples à des organisations ou associations, partis ou structures
deviennent des leviers du vide, des béquilles pour penser et exister. Le mieux,
c’est que la majorité de ces pauvres d’esprit, appauvris psychiques, sont
persuadés de se situer du bon côté du manche, d’avoir une morale plus
respectueuse que les autres, ceux qu’ils désignent comme les adversaires, les
« pas gentils de droite, les pas gentils de gauche » alors
qu’ils amadouent les clones tristes du clan des dominants ; ils
l’ignorent, plutôt ne veulent surtout pas le voir. La majorité de ces individus
sont, qui plus est, persuadés d’être plus clairvoyants qu’autrui, plus animés
d’une intelligence supérieure aux autres alors qu’ils ne disposent d’aucune
morale, d’aucun bien intime ni même ne possèdent une vague idée de ce qu’est
l’humanité du vrai, tout en revendiquant d’écouter de la musique cool.
Aristote l’avait en
son temps remarqué, la moralité et la civilité sont les arcanes de
l’intelligence authentique susceptible de devenir créatrice en lieu et place de
l’apparat, de la pure revendication sans fondements aucuns. Ils ne sont rien,
ils veulent tout. Vanité subtile.
A mes dépens, je
m’aperçois une fois de plus que la société est violente, si doucement violente
par les cris, la voix forte hurlée, le rejet, en fait l’aliénation généralisée
des hurleurs qui forment un bataillon de l’animalité qui s’ignore. Une
animalité féroce, bien qu’animalité rampante et atone politiquement. Incapables
de dialoguer, ces hurleurs hystériques végètent, s’accroupissent pour pisser
leur haine glacée dans leurs propres veines depuis des lustres, sans doute leur
enfance ratatinée dans les glacis du conformisme ou du viol de la conscience,
s’assouplissent devant leur supérieur, s’endurcissent devant le faible de
l’instant (davantage devant le faible pour des jours entiers, notons-le),
bouffent pour manger, dansent pour s’étourdir les miches, lisent pour s’endormir,
regardent la télévision pour oublier le sidéral vide de leur cerveau, se font sauteurs
ou sautées béats pour faire l’amour. De l’amour, ils ne connaissent
que couic, et sont bien souvent des êtres qui s’essuient en l’autre.
Le signe de cette
déchéance, puisque tout ce comportement s’accélère aujourd’hui, est le signe de
la guerre à venir. Ces donneurs de leçons seront évidemment les
pétainistes silencieux de demain, les taiseux, ceux qui coucheront avec l’ennemi
sous des prétextes fallacieux (et souvent à prétention altruiste pour aider
celui-ci, celui-là, fumer, boire ou obtenir du lard pour la soupe), les
gougnafiers qui se tairont sous maints prétextes d’inactions réelles, à
l’instar de leur inaction actuelle au nom des petits euros qu’ils versent à
leurs misérables chapelles organiques, à leur bonne conscience malheureuse
qu’ils rachètent dans les bonnes œuvres. Ce sont des bigots et des bigotes,
ceux-là mêmes chantés par Georges Brassens qu’ils méconnaissent quand ils
vénèrent souvent Léo Ferré ou Dalida, revers d’une même farce parolière. Ils
sont… ils sont… de gauche, forcément de gauche… la gauche à Mermet.
La flagornerie n’est
pas le fort des justes. Les justes sont incompris. Du moins, très souvent dans
une période historique précise : la nôtre, impérialiste où les repartages
du monde s’effectuent sur le dos des bons peuples. Ils n’ignorent pas
les contingences de la période politique. Quelle est-elle ?
J’ai suffisamment
disserté sur ses caractéristiques actuelles ici même avec mon complice Patrice,
par billets interposés, posés. Mon défaut relève probablement d’une absence de
rédaction d’un essai cohérent pour en montrer les lignes, les fractures, les
acteurs économiques principaux, et surtout les idées générales qui traversent
l’insensé du monde contemporain. Sommes-nous mesquins de nous imaginer
nous-mêmes du bon côté du miroir ?
Qu’on le lise depuis
belle lurette, pour qui sait lire, véritablement lire, nous ne sommes en fait
de nulle part, mais nous sommes de partout et partout où il nous est loisible
de nous rendre, d’observer ce qui se trame, nous sommes. Nous sommes les
agis contemporains, les perturbateurs de l’ordre du chaos de l’insignifiance
dont ces minuscules reptiles humains sont les porteurs guerriers de manière
bien plus violente que celles des puissants recensés dans la prose politique de
la gauche (a-)morale.
Et ce qui se déroule
là, à l’instant social-historique, dans la violence du quotidien, dans
l’exacerbation des rapports sociaux dans la rue, le métropolitain, le bus, le
couple, le rapport salarial, etc., ne se trouve ni à l’Elysée, ni au FMI, ni à
Bruxelles et dans aucune capitale de la planète. Tout se décline sous nos yeux.
Dans les paroles de notre voisin, dans les yeux de notre compagne-compagnon,
dans la façon que ce commerçant emploie pour regarder sa petite clientèle comme
deux billets de Reich euros.
La formalité ultime
du cours du monde actuel dessert les humains eux-mêmes. Il les tue. Leur haine
exalte l’inhumanité de leurs calculs instrumentaux pour leurs amours, leurs
comptes d’épargne et leurs gentilles pensées favorables à un « autre
monde » en acompte de leur déchéance imminente, leurs emplettes et
leurs dons aux pauvres, aux enfants du bout du monde, aux paralysés d’un autre
continent… et silence, on ferme les yeux et la bouche sur ses
concitoyens proches, ses voisins. Mieux, on les enfonce, on fustige les « dégénérés,
les profiteurs » qui survivent avec une allocation chômage, avec un
RSA. Ces quidams tuent mieux que l’arbalète politique du règne
généralisé de la marchandise, mieux qu’un braqueur fasciste ou stalinien. Au
contraire, sur nous autres, ils crachent au moral, ils dénient notre volonté,
notre sincérité, nos écrits, tous la plupart expédiés à eux, publiés en grand
ou en petit, nos engagements exercés depuis plus longtemps que leurs bigoteries
bizarres les exonérant de leur silence coupable, quand nous osons, nous, et
sans vergogne ni honte, affirmer notre désintéressement radical et notre morale
extrême. Parce que ces hurleurs, eux, ces pleutres de l’émail invertie, n’ont
aucune morale sinon celle de leurs dominants. Le prêtre… pardon, le
psychologue-psychanalyste est le clone du directeur financier d’un parti
politique institutionnel. Par ici la monnaie, cocotte, je butinerai coco…
Lectrice et lectrice
attentifs, il est ici possible de m’accuser d’user de quelque phraséologie
marxienne avec gourmandise. Cela demeure sûrement en partie vrai. Qu’est-ce qui
nous interdit d’utiliser, y compris à gros traits, des concepts signifiants, de
ces concepts qui révèlent ce qui est. Si au bon goût des bonnes pensées
du conformisme généralisé ils ne « révèlent » pas, ils
signifient un état de l’être, de l’étant de la donne
économique qui est. Nous ne pouvons aborder l’idée de liberté sans observer
où sont les institutions qui exercent la liberté, comment, pour quels objectifs
politiques dans le régime démocratique libéral. Nous plaindre n’est pas notre
genre, notre caractère. D’ailleurs, le genre n’appartient pas à nos
schèmes. L’esprit batailleur est la condition sine qua non de
l’explosion et des sens et de la vitalité authentique. Le temps et l’ardeur
peuvent devenir des freins à l’expression libre. Le temps est venu du levain,
du combat.
LSR.
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