Heureuse lecture de Lasch, par Patrice C.


Les élites se repoussent

Interpelé que j'étais par l'approche de Christopher Lasch (*) sur le libéralisme et le culte de l'élitisme, et confronté comme tout un chacun à la vie autour de moi, l'idée m'est venue que peut-être la scission sociale est déjà telle que chaque partie du monde rejette l'autre et cultive son genre propre d'élitisme.
Le culte de l'élitisme est bien connu et inscrit dans la politique libérale ; il s'inscrit dans le cadre de la mondialisation.
Il en va, pour ceux qui l'ont choisi, d'être pieds et poings liés à un besoin artificiel de parvenir et de plaire. Le choix devient donc motif de vie et d'action. Il ne transige pas et peut amener à aggraver l'implication de l'impétrant au fur et à mesure des besoins qu'il est tenu d'assumer si tel est son choix.
Point addiction mais contrainte, l'élitisme phagocyte ses adeptes et les amènent à se plier à de toujours nouvelles obligations. La mobilité est l'élément le plus usuel et incontournable. Il faut être prêt et prompt à ne plus connaître d'autre maître que celui de paraître et de poursuivre bon gré mal gré le chemin de cocagne qu'il impose.
Au détriment de son histoire propre et de sa culture souche, dans ce monde-là, les pavés dorés de la réussite sociale ne sont pas que de bonnes intentions. Le milieu social fluctuant, donc non stabilisant et toujours éphémère, n'est en fait que l'échelle qu'il faut continuellement gravir. L'effet de cliquet ne permet pas le retour à une culture personnelle, familiale ou d'environnement social en un choix personnel. Comme pour la roche tarpéienne, les élus ont choisi le risque. Celui d'être tout ou de n'être rien. En route pour la gloire, quel qu'en soit le prix. Ce choix ne peut que conduire au combat de ce que Lasch appelle la lutte de tous contre tous et la non fusion sociale que cela implique, le mépris pour les choses viles et les personnes de même.
Dans le contexte actuel de difficultés socio-économiques et de scission que cela génère, l'exemple des précédents ne peut pas manquer d'engendrer l'effet d'exemple. Les singes aimant tout ce qui brille (ce n'est pas aimable), contempler une réussite même partielle, et sans savoir ce qu'en sont les obligations, ne peut pas manquer d'attirer et d'affuter le sentiment d'identification et de convoitise.
C'est ainsi que, dans une autre classe de la société moins bien pourvue se déclenche l'effet d'égalité, incontrôlé, mal défini et purement matériel d’être parmi l’élite de son groupe. La frustration semble de plus en plus en voie de pouvoir être effacée, si elle n'est pas qualitative, qu'elle soit égalitaire en apparence. Après tout, carton-pâte et illusion sont cousins. Cependant, les résultats risquent fort de n’être pas au rendez-vous de l’apparence durable dans le temps et l’illusion d’être de courte vie. La différence avec le premier groupe : que la chute soit inévitable mais finalement moins brutale et plus facile à assumer, car on n’est jamais très éloigné de son point de chute lorsque celui-ci est plus bas.
On peut donc s'étonner de voir, malgré les niveaux économiques, persister une recherche d'apparence à tout prix (ou presque). Le sentiment d'être exclus et d’être transporté dans un autre monde n'empêche pas la vulgate de vivre et d'être adorée. Se crée ainsi une catégorie plus qu'une classe d'individus surtout riches de leurs espoirs et de leurs ambitions démesurées mais prégnantes. L'apparence, première, marche vers le paraître et l'illusion d'être. En un mot : « Je veux, moi aussi, exister, être » ce qui enclenche une course poursuite avec ses devanciers, toutes frontières étant abolies. Reste le fossé, le gouffre qui sépare, de façon plus ou moins provisoire, les deux groupes : ceux qui peuvent paraître et ceux qui l’espèrent. On constate la formation de deux corps de société impénétrables l'un à l'autre mais qui rivalisent dans le paraître avec plus ou moins de bonheur et de réussite.
J'assiste quelque peu médusé à la volonté démonstrative, surtout les soirs de week-end, et dans certains endroits connus, pour favoriser l'exhibitionnisme, à cette différenciation cloisonnée. J'en conclus que finalement il ne s'agit que deux groupes de singes de groupes différents et qui font fi de toute personnalité propre à leur groupe. Ils ne se rencontrent pas, ne se fréquente guère. Le voisinage est obligé, le métissage limité. Puissent les seconds apprendre à leur dépends le plus docilement possible. Les premiers, eux, sont déjà tombés.

Patrice C.

(*) Christopher Lasch, Le Seul et Vrai Paradis ; The True and Only Paradise (1991), trad. fr. aux Ed. Champs/Flammarion, 2002.

 

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