Le charabia des intellectuels sur les journalistes (ou la carpe se fout de la morue)


Le charabia des intellectuels.

Je vais nous faire mal terminer l’année 2014 en allant voir du côté de quelques profonds propos sur la problématisation du « champ journalistique », tel qu’on veut nous le vendre par nos temps glorieux. C’est que l’intellectuel digne de renom parmi ses pairs ne se confond jamais avec le commun. Encore moins le mortel. Il qualifie, il dissèque, il éblouit le béotien patenté de ses analyses aussi pertinentes qu’un suc mentholé; il initie tout vulgum pecus d’une narration théorique aussi élevée qu’une poule de luxe sur le bastingage de ses nuits rétribuées. A hue, à dia. Poussez-vous là que j’vous toise…

Lisant quelques lignes et comptes rendus poussifs de revues anonymes à comités restreints et lectorat « engagé » dans les sciences humaines et sociales, je me suis derechef senti aussi désocialisé qu’un perdreau de l’année dernière.

Ainsi, dans un dérivatif fort convenu, à seule fin de s’interroger sur la politique des journalistes et son rapport à elle aujourd’hui, de hautes pointures définissent « la politisation » du péquin plumitif que nous sommes, par une suite de mots (on se cramponne) telle que… si on la définit comme « une requalification des activités sociales les plus diverses, requalification qui résulte d’un accord pratique entre des agents sociaux enclins, pour de multiples raisons, à transgresser ou remettre en cause la différenciation des espaces d’activités », la dépolitisation du journaliste renvoie d’abord au mouvement historique d’autonomisation du champ journalistique par rapport au champ politique.

Si l’on veut shampooiner un tant soit peu les idées sur le sujet, on dirait que les auteurs veulent nous faire entendre que les journalistes sont moins politisés qu’auparavant, soucieux surtout de faire carrière et de franchir en premier lieu quelques zones de stages intensifs à basses rétributions pour commencer. Mais on n’ira pas jusque-là. Misère et prévarications de l’indépendance de pensée ne constituent plus guère un billet unique d’entrée dans le milieu de la presse.

Une bonne part du journalisme français est née de la création de titres dans des entreprises politiques au XIXe siècle. Epoque révolue, les journaux se sont assagis ; ils traquent les perles et enfilent les publicités et publi-reportages aux ordres de leurs actionnaires pointilleux.

Comme les banques ou les assurances, l’immobilier et le dressing imposé des bonnes tables, chaque secteur économique empiète sur le voisin. Depuis le milieu des années 1980, en effet, concentration économique, spécialisation et concurrence croissantes des titres entre eux, mariant essor de leurs pôles commerciaux ont jeté aux orties le journaliste engagé avec le lecteur délaissé –petit ajout personnel entre le fromage et la poire : le journaliste dégagé s’est substitué à l’engagé. Nos intellectuels se penchent sur les soutiers de la presse, car « l’autonomisation du champ journalistique n’est pas sans effet sur les contenus produits par les journalistes, et, plus largement, sur la ‘dépolitisation’ des problèmes sociaux ».

Compris ? A peine !? Eh ben, moi kif-kif

C’est qu’ici le champ labouré doit être pensé à l’ombre de concepts opérants, de lectures en creux des exigences de la matière investiguée. D’ailleurs, à propos de terres secouées, cette autonomisation est vue par nos hérauts de la gaudriole scientifique comme « (re)qualification d’enjeux anciennement (ou potentiellement) définis comme politiques en enjeux ne relevant plus (ou pas) de ce registre. C’est en l’occurrence une vision individualisée des questions de société qui domine les représentations journalistiques, comme le montre le cas des problèmes environnementaux (…) ».

Un ange passe ? Celui de Dany-le-vert-de-gris d’EELV commentant le foot et la politique d’Hollande sûrement. Poussons le bouchon. Allez…

Nos fines cervelles soumettent son lectorat déjà vaporeux dans l’analyse du « cadrage dépolitisant » du journalisme et ses formes aussi variées que le sont les contingences évoquées plus haut. Ne sont pas mises en avant les intentions des journalistes, mais leur recrutement clanique, leurs conditions de travail, la précarisation des mass-média mais plutôt ledit cadrage marqué par les concepts de « désidéologisation, déconflictualisation, naturalisation, focalisation sur les agents plutôt que sur les structures, personnalisation des institutions et des idées, absence de mise en perspective historique, recherche de responsables plutôt que d’explications plus structurales, etc. ». Comme c’est bien dit. Car c’est vrai.

Alors, pourquoi ne pas l’évoquer en préambule ? Est-ce parce que le journaliste, pour l’intellectuel encarté, représente tout à la fois l’ennemi, l’objet de vénération, de respect, de dégoût social, de notabilité à moindre frais ? En somme, ne faut-il pas mettre un point sur le « i » d’innocence : journalistes et intellectuels fonctionnaires (universitaire et/ou chercheur) ne relèveraient-ils pas du même soupçon de vénération/hostilité dans la population, comme l’antiparlementarisme trouve ses sources dans une vérité crue parmi les comportements velléitaires de son personnel avec son lot d’exagérations supputées ?

Conditions de travail, rentabilité des labos et des rédactions, contraintes professionnelles liées à l’utilité des recherches pilotées par l’Europe, à l’urgence des scoops, rendent journalistes et chercheurs aussi dépendants les uns les autres aux sources officielles que le sont leurs impératifs budgétaires aux données qui les enferment dans l’hétéronomie qu’ils feignent de snober, contrairement à ce que les uns analysent des autres… et réciproquement.

Contrairement à ce que nous délivrent avec tout un charabia pseudo-savant nos intellectuels de fortune sur les journalistes, et ce que ces derniers racontent sur les premiers, la légitimation des sujets vendeurs ou pas, la pipolisation et le fait divers prometteur sont l’apanage non de professions mais d’individus regroupés dans des structures professionnelles éloignées des conditions matérielles réelles des uns et des autres, en confrontation illusoire, en dénis subséquents multipliés par autant de culot, de culte pour soi (sa petite vie, son petit métier noble, son statut social d’apparat) et auto-révérence, auto-félicitation par l’insignifiance consubstantielle de leurs proses communes. Car, ainsi que nous l’écrivent nos penseurs sur les journalistes, s’omettant en toute naturalité du propos et de l’analyse à l’objectivité à plusieurs vitesses : « en débouchant sur une faible différenciation des contenus journalistiques par rapport au discours de communication des agents et institutions dominants, les pratiques journalistiques, contribuent à la (re)production de l’idéologie dominante. ».

Tout est dit ici : la production, la reproduction de l’idéologie dominante sont bel et bien l’effet de la petite rente si discrètement partagée par les intellectuels fonctionnaires et les journalistes qu’ils hystérisent à bon compte pour s’illustrer à leur tour hors du champ de l’attitude rampante qui sied à nos présentes années folles... comme pour s'en exonérer.

LSR
(et je tais les revues et crânes d’œuf engagés
en question pour leur éviter l’opprobre généralisée)

 

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