Eloge de Ben B. -- Ils dansent le MIA... chaînes en or qui brillent
Un autre
monde ?
« Quand l’envie m’abandonne,
Je
marche seul...
Yon-Yon-Yon ».
Avec une ritournelle bien sentie de
Jiji Goldmann dans la tête, un jeune homme des années ’80 se balade dans les
rues avec les écouteurs de son walkman
Sony jaune « sport ». Autre
temps, autres mœurs que les moins de 20 ans ignorent, un temps paléolithique où
le portable n’existait pas… ouèch, pas un
réseau social, pas un kébab, qu’dalle ! Quoi, le net n’existait pas, OUAH,
la loose, le monde de boloss !
Ben ne marchait jamais seul. Toujours
des potes avec lui. Des bécanes à réviser, un frein à resserrer, un plan de tir
à l’arc en forêt. Et lui, quand il écoutait de la musique, le plus
délicat au tympan était du Led Zep et du Phil Collins. Le reste de son temps d’écoute,
tout modéré du walkman qu’il était, c’était
AC/DC, Deep Purple mais encore Twisted Sisters et The Cure dans sa piaule d’ado,
posters de Maiden et tout plein de bédés, numéros de Fluide glacial et bouquins
de Lovecraft, Zola et Tolkien. En ce temps-là, la musique s’écoutait à plusieurs en
buvant du Pepsi ou du Cacolac et en jouant des parties d’échec.
Goldmann, pour Ben, pas sa tasse de
thé du tout. Juste en passant pour savoir ce qu’il n’aimait pas.
Dans le village, on connaissait ce
fumeur précoce qui trimbalait son grand nez au vent, debout sur les cocottes et
pédales de son biclou rafistolé. Ben, il bricolait tout le temps quand il
ne dormait pas des heures entre deux films. C’est qu’y’en avait du monde qui
passait chez Ben. Pensez-vous, dans cinq villages alentours, il fut l’un des
premiers à posséder un gros magnétoscope acheté par son père. Et sa chaîne stéréo,
avec les baffles qu’il avait poussés à fond de ses capacités…
Dans les années ’80, les jeunes n’avaient
pas de doudous numériques. Certes, d’autres emprises du marketing naissant
commençaient à poindre. Les paires de jeans se portaient chez les bourges avec
un ourlet main pour exhiber les chaussettes Burlington
dans les (American) College. Vint aussi le rubik’s cube et les premiers jeux d’arcade :
Pac Man dans les bars où collégiens
et lycéens faisaient la queue sur les trottoirs, entre midi. Les patrons
laissaient percoler le café pour trois, tant que les pièces de cinq francs
glissaient dans la machine.
Ben s’en foutaient du midi. Ils
pouvaient sécher des cours pour jouer serein à pas d'heure, et rentrer chez lui rassasié du
score pour aller écouter le dernier The Cure, album complet sur vinyle s’il-vous-plaît,
pas le tube qui passait, repassait à la radio en même temps que Depeche Mode
dans les boums.
Un autre monde a vécu. Les ados et
jeunes adultes des années ’80 et début ’90 étaient plus décontractés, plus
insouciants et confiants (à tort) en
l’avenir professionnel. La vie s’ouvrait à eux. On partait en groupe l’été dans
le Sud, pour quelques-uns, en colo ou tout simplement à vélo à la piscine à 10 bornes de là. Certains n’allaient
pas jusqu’à se présenter au bac. L’ambiance A3 arts plastiques autorisait toutes les espérances de faire son trou
dans un boulot créatif. Les études, à part ceux qui étaient déterminés à faire
du fric et reprendre la boîte à papa en s’payant une école de commerce,
inspiraient l’envie de se cultiver, de lire et comprendre de nouveaux auteurs, surtout
de se coltiner aux débats politiques à la fac. L’humeur des années ’60 et ’70 diluaient
encore un petit refrain dans le cœur à droite ou à gauche. Etudier, c’était s’enrichir,
pas seulement gagner une note. Les profs étaient d’ailleurs complices de
cet état de l’esprit.
En 1986-1987, tout le monde avait
des idées sur la façon de gouverner de Chirac à Matignon, sur Pasqua-Pandreau
et leur art consommé de la matraque pour disperser les étudiants dans les rues du
Quartier latin. Mitterrand a su conserver une unité qui eut pu voler en éclats. Après la mort de Malik Oussekine, certains leaders étudiants ont
rentabilisé le sentimentalisme de la révolte générale qui s’ensuivit, quand les
syndicats, CGT et FEN sont entrés dans la danse des manifs. Dray, Assouline, Désir, Madelin,
Noir, Camba ou Carignon…
Ben, lui, il se disait qu’il
dessinerait pour montrer de quoi la jeunesse est capable. Peace, love & Camel…
Stop.
Ici, l’histoire ne dira pas l’échec collectif débuté par des danses de saint Gui
peaufinées sur deux tombes, quelque part au Père-Lachaise. Même lieu, l’idée d’organisation
politique décente est morte sur la tombe de Pierre Overney dans les ’70, et l’espoir
en un autre monde possible sur la tombe d’Oussekine dans les ’80.
Ca fait pas un pli, c’est déjà un
autre siècle vu le degré de pessimisme
et d’incarcération en et sur soi seul que nous montrent ceux nés dans les
années ’90… une même génération radicalement différente pourtant. Deux mondes, pour
Ben... un mur surélevé de barbelés. Irréconciliable ?
LSR
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