La France trahie sans ses périphéries, par Patrice C.


Face à la situation, s'il restait le rire ?

80 emplois disparus à l'aube des années 1980.
Village perdu à côté.
Le magistral travail que vient de réaliser Christophe Guilluy, La France périphérique, comment on a sacrifié les classes populaires(*), devrait être remboursé par la Sécurité sociale, ou au moins être défalqué des impôts des lecteurs. A défaut, il est repris dans Marianne.

C'est aussi le seul document actuel qui permette de comprendre et de relativiser la situation du pays et des Français, et surtout de comprendre comment les deux sont traités et considérés par les diverses élites qui se glorifient d'en être, selon leurs propres critères, ce qui est une belle leçon d'auto satisfaction nombriliste.

Il résulte du travail de Guilluy que vingt-cinq sites citadins sont devenus atypiques, tellement ils sont extravagants au vu de la situation générale et prêtent quasiment à rire tant ils sont en décalage alors qu’on en fait les fleurons du pays. En fait, en France, seuls 10% des communes, concentrant 39% de la population, constituent la France qui s'en sort. Le reste, soit 90% des communes, représentant 61% de la population, est considéré comme largué, c’est-à-dire en voie d’ostracisation.

Le tableau dressé fait peur tant il est criant de vérités et d'évidences. Il suffit d'ailleurs de se rendre, comme le disent si prétentieusement les Parisiens, en Province, pour voir l'étendue de la situation et pour mesurer les degrés d'une quasi catastrophe sociale généralisée et l'ampleur d'un gouffre sans fond dans lequel a sombré depuis déjà longtemps le charme des petites villes françaises, de la vie rurale et des banlieues.

Que de cette situation il ressorte que les Français, hors grandes agglomérations, se dirigent vers un vote généralisé FN n'étonnera plus. Mais cela n'est, après tout, que le résultat de cela et on s'en serait douté. Que cela soit plus important et potentiellement irréversible, semble même logique.

Ce n'est pas tant le résultat politique en devenir qui est atterrant et blessant pour l'ensemble du pays, que le fait que la France puisse être à ce point coupé en deux mais dans la proportion de un pour dix !

Il ressort de cette étude que le pays est désormais réparti en deux réserves d'humains distincts. Nous vivons, sans le savoir, un scénario d'apocalypse sociale. Que l'on se rende au Nord, à l'Est ou ailleurs, on est amené à constater que le pays fonctionne selon deux rythmes différents. Que les gens réagissent et se comportent en conséquence, soit de façon différente de ce que l'on peut constater dans les grandes agglomérations, dans leurs banlieues, puis dans les villes moyennes et petites, puis à la campagne.

Patrice C. & LSR passant par là, le 30 mai 2014.
Ce pays fonctionne à deux ou trois vitesses. Il n'est pas seulement question d'aménagement du territoire et de situation sociale, mais aussi de réflexion, de ressenti, d'approche de la situation générale. Le tout induit par la première des conditions de vie qui est la vie matérielle. La France est redevenue un pays de Gaulois qui s'ignorent. Il suffit de se transporter dans des sous-préfectures ou dans de petites agglomérations isolées pour s'en convaincre (les vacances devraient aussi servir à ça !).

Le fossé social qui se creuse entre les vingt-cinq plus grandes villes et leurs banlieues n'a d'égal que celui qui existe désormais entre ces banlieues et les villes de deux ou trois mille habitants et leur campagne environnante. Un décalage de cinquante ans est observable. Le pays est vraiment dirigé d’en haut. La vie quotidienne des uns ne ressemble en rien à la vie quotidienne des autres. Se promener en France aujourd'hui, c'est parcourir des villes qui sont dans des états proches de l'abandon en termes d'entretien général, et cela se voit aux kyrielles de façades de magasins fermés depuis des années et aux toiles d'araignées poussiéreuses, aux volets disjoints d’habitations désertées. Un sentiment de tristesse et d'abandon.

Christophe Guilluy profite de son enquête sur le comportement électoral pour nous permettre de constater que ceci implique cela. Mais c'est avant tout de ce démarquage social et culturel qui frappe la France et les Français dont nous ne ressortons pas indemnes et qui nous met face à nous-mêmes.


Patrice C.

 

(*) Christophe Guilly est géographe. Son essai, La France périphérique, comment on a sacrifié les classes populaires, a paru chez Flammarion, 186 p., 18 €.

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