L'Espé, le bar du devenir Français, Mesdames-Messieurs - 'Les Beaufs', ép. 3
Boire un p’tit coup à L’Espérance.
(‘Les
beaufs’ - épisode 3 d’une série de l’été 2014)
Qu’il est agréable, aux premiers beaux jours, d’aller tendrement
s’arsouiller de bons mots au soleil de la terrasse de L’Espérance. Au centre du « cœur de ville », comme on le dit de nos jours chez les
urbanistes de combat et les Modernes... l’importance du bar tient compte surtout de ses habitués dans un choix qui n’a jamais
rien d’artificiel.
Manu,
c’est un terrible. On le croirait tout droit revenu du Djebel avec, comme qui
dirait, du sang de fellouze sur le treillis pour épater le combattant à toute
heure. Manu, c’est la sape, la gouaille et la profondeur d’analyse anisée.
-Oh, patron, sers
donc la petite Patricia. Elle a soif.
-Ch’ui pas aux pièces,
merde !
-Eh oh, Jacquot, tu
nous l’sers le pastaga, et plus vite que ça, non de d’làaaa.
-J’arrive. Putaing,
ma serveuse, la Fanny, tu sais la p’tiote nouvelle que j’t’ai parlé l’aut’ soir,
eh ben elle est en retard. A l’heure de l’apéro en plus… sale étudiante à papa !
-T’inquiètes,
Jacquot. T’inquiètes. Hein, Patoche, tu le boiras bien à temps ton pastaga, à temps, à temps...
La
soif ne mène jamais véritablement vers le bar L’Espérance. Non, ça non. C’est l’envie de se rencarder entre
potos, mater des culs revenant du marché le samedi matin et puis faire son
tiercé loin de bobonne en s’envoyant un apéro bien frais. Et le boss de L’Espé, le Jacquot, lui est un super bon
serveur : généreux dans la doseuse, le tarif reste le même. Ca s’oublie
pas quand on est avec ces loufiats de Paname, ces fonctionnaires de la bibine
et du caoua de zinc infect. Il allonge même à l’œil les olivettes aux habitués.
Sinon, c’est cacahouètes pour tous dans la maison.
-T’arraches pas,
Jacquot. J’attends ma troisième tournée, merde !
Manu,
boute-en-train en chef du lieu, c’est pas n’importe qui. C’est le pouète-poète
du cru, plus qu’un habitué, une brique dans le mur. C’est un pilier, le genre
de gusse qui donne quasiment un RSA-socle au Jacquot chaque mois. Il commente
tout, taquine en permanence le patron et fait la conversation avec toutes les
jolies demoiselles en terrasse. A L’Espé,
le comptoir est brossé le long d’une large devanture vitrée pour partie, le
long d’un mur de l’autre. Bien calé sur son tabouret, la vue est imprenable sur
la terrasse et la rue, devanture ouverte sur la vie du quartier et les bimbos
du lycée.
-Jojo, pt'ain de ma mère,
t’es là… J’suis content de te voir. Alors, du ballon, z’avez fait combien le
week-end dernier ?
-Bah ça, Manu, tu
l’sais d’jà : on a pris 3 buts de ces bougnoules de Créteil.
-J’l’avais dit,
faut se méfier d’ces tarlouzes. Tout dans la passe et le traquenard. Faut les
shooter aux tibias, qu’j’avais dit à l’autre empaffé de coach. M’écoute jamais
c’te con-là.
Manu,
dressé sur son tabouret, c’est encore l’expert en chevaux, en foot local et
politique, comme nous le verrons un peu plus loin. Jamais rien n’échappe à sa
sagacité. Encore moins quand il s’agit de sport.
-Les gars,
visez-moi les tarlouzes qui se ramènent. On les a pas tous descendus en 61,
putaing !
-Manu, stop à tes
conneries, stop, j’te dis…
-Quoi, me dis pas
que j’exagère. C’est comme les roms, t’as pas vu les cambrios sur le secteur,
hein ? T’as pas vu. Eh ben, eux, c’est les refourgues plus la dope, la
fumette à bourges.
-Manu, fais chier.
Y’a des clients, cause moins fort, je bosse, moi.
-Et moi je bosse pas
p’t-être ? Je bosse pas, moi, hein ?! J’ai taffé pour la France, moi… tu
vois comment on a le remerciement, hein… Tu vois, hein, empaffés de
gaullistes, empaffés de socialos, hein ! Chômdu et racailles de partout
qui viennent tout foutre en l’air dans nos baraques et les chantiers.
-On sait, Manu, on
sait… moi aussi j’ai fait l’Algérie.
-Ah ouais… raconte-moi
ça, où ça, hein, raconte un peu encore une fois… t’as pas fait le dézingueur
sur piton, hein, en bat’ disciplinaire comme moi, hein !?
-Faites-le taire,
les gars, faites-le taire… on sait qu’t’as été para. Mais moi, dans le train,
j’ai pas moins taffé comme toi. Les bastos on s’les prenait aussi.
-Mon coco, ne…
-Ta gueule,
Manu !
La
conversation s’apparente souvent à une répétition comique. Et le comique, c’est
par définition la répétition, comme une Arlette Laguiller qui revenait à plusieurs
présidentielles de suite. Les envolées reviennent sur le comptoir toutes les
trois ou quatre tournées. Les disputes sont feintes. Jacquot et Manu sont bons
amis, ils s’aiment bien, alors ils aiment se charrier mutuellement. L’Algérie
semble la clef de voute d’une amitié sans faille.
-Ben mon cador,
vise la louloutte là… vise le cul, vise donc Jacquot.
-T’arrêtes jamais,
toi… tu vois pas que je bosse. Suis en route pour te servir. Viens m’aider
Patricia.
-Ouhlala, la brune,
j’la coincerais bien dans la camionnette tout de suite, là !
-Ecoute pas
Patricia, y’a que toi dans sa peau, y’a que toi…
-La brune et
Patoche toutes les deux dans le camion, putaing, sucette !
Manu
s’enchante lui-même à savourer ses éventuelles prouesses viriles, ces petits
commandos à l’arrière du J-7 comme l’affrontement lointain avec des BTS fluettes
sortant de leurs cours de force de ventes.
Patricia,
elle, elle est pas jolie-jolie. Mais bon, elle a du chien vue sa petite
quarantaine, la taille fluette. Brune aux cheveux longs, elle entretient
savamment une apparence de fringues à la fois gitane et chicos pour mettre en
valeur les bijoux qu’elle fabrique tous ses temps où elle est pas bourrée.
Un
brin folasse, Patricia picole pas mal dès le vendredi soir et s’arrête le mardi
matin. Entre deux cuites, elle sait prendre le temps pour se muscler les
fessiers chaque matin devant sa glace, à défaut d’avoir dénichée une solution
pour soigner ses seins attirés plutôt par le sol carrelé par Manu cet hiver.
-Tu sais, mon
Jacquot, après tous ces cambriolages ces temps-ci, j’le dis à mes potes
flics :
Eh
oh, les gars ! S’avez quoi ?! Vous aurez des médailles quand vous
tirerez à vue, hein ! Quand Marine s’ra au pouvoir.
-Tu sais bien
qu’elle fera jamais ça. On est en République, mon Manu, elle prendra pas ce
risque… risque de tout foutre en l’air de ce qui est.
-Eh ben, t’as tort,
mon poto. C’est comme ça, qu’nous, les tireurs et chasseurs du Front on f’ra comme au piton chez les crouilles…
Au
bar de L’Espérance, tu peux te
saouler à moindre euro.
Ils
parlent concret, ils dévoilent ce que les gentils humanistes de droite, de
gôche ne voient jamais : ce qui vient… ce qui arrive tout-tout doucement.
Au
bar de L’Espé, on a les dames et
sieurs Soleil de ce qu’accouche notre société. Si gentiment… mais sûrement, comme le dit l'adage pop'.
LSR
(bricole
Beauf jactée de
la mi-août au 28.IX.2014)
Commentaires
Enregistrer un commentaire