"Société, tu ne m'auras pas" (..tsoin-tsoin)


La force de rester soi face à la vague société.

 
Surinformés malgré nos précautions contre, inassouvis perpétuels contre l'état du monde tel qu'il se porte et, plus encore, déniaisés dès le plus jeune âge par la pesanteur et les activités coercitives de l'Etat, nous sommes, en tant que citoyens français, confondus par l'obsolescence de la société. En effet, elle ne parvient plus à retenir nos attentions autrement que par ses tares intrinsèques et ses déroutants tarés qui, chaque jour, la transforment en enfer du tous contre tous dans l’Etat déliquescent.

Nous ne pouvons plus nous prévenir face à un isolement en cas d’incident. Nous savons que s’accroissent, par exemple sur les routes de campagne, les faux blessés, les faux accidents pour vous tabasser et vous voler. Dans les métros, des femmes peuvent être sexuellement agressées sans qu’aucun voyageur n’intervienne, lui qui préfère laisser ses déchets de repas et fuir. A l’université, des étudiants en droit des affaires, par exemple, arrachent les pages des commentaires d’arrêt des revues disponibles en bibliothèques que leur donnent à commenter leurs professeurs. Nous pourrions multiplier les illustrations. Est-ce bien nécessaire ? Nous sommes tous les victimes et auteurs de tels actes qui polluent l’idée de bien-être en commun dans la vie socialisée… laisser faire, c’est être complice et auteur par ricochet.

En quelque sorte, il y a une sorte d’extase du néant, à la sortie de l'enfance, à décrypter l’hilarité et la violence sociales. Cette découverte déconcerte les adolescents. Parfois, elle les tue. Un peu comme si un cabinet noir leur annonçait la complète inanité du monde social-historique dans lequel ils vont devoir se débattre, en oubliant l'innocence enfantine qui leur tiraillait la manche en leur expliquant, « rêve, petit, rêve et dessine-moi un mouton de tes espérances ». En réalité, nos jeunes découvrent un monde cancéreux qu'il nous est permis d’honnir, puisqu'il est plus violent et plus dur que nous l’eûmes, enfants, connu. Il s'agit bien de l'une des causes de nos sarcasmes et langues de vipère sur la société française présente.

Rien ne remplace jamais les désirs tués dans l'œuf par la seule contingence liée au conformisme étroit qui pousse à l'échec. La plaie de la trahison originelle suinte ad vitam aeternam. Alors peuvent glousser ceux qui se croient forts et qui implorent leurs mères disparues sur les champs de bataille, car ils ne font que glorifier l’amour du prochain quand il est loin, très loin –l’humanitarisme marchand, jamais dans la proximité de l'existence. L’adolescent vit en lui, très intimement, des moments où le monde entier semble conspirer à l’importuner avec des coercitions changeantes avec le temps, avec des broutilles exagérées. Pour tout humain dorénavant, les amis, la famille, le client, l’élève, l’enfant, la maladie, le travail, le patron, le collègue, la peur, le besoin, la charité, la beauté, le sport, etc., tous frappent ensemble à notre porte et nous enjoignent : « Prends-nous, viens, viens avec nous… suis nos traces ». Le solitaire est fort s’il parvient à rester sur ses positions en ne se joignant jamais à la confusion généralisée. Car la capacité des hommes à nous agacer, c’est nous-mêmes qui la leur octroyons par une parcelle de bassesse à nous éveiller à leur curiosité. Aucun homme ne peut approcher l’autre que s’il l’a recherché en premier lieu. Nécessité de la société instituée pour briser l’imaginaire instituant de l’homme libre ?

Le prédicateur et philosophe du transcendantalisme américain, Ralph W. Emerson (1803-1882), dès ses premiers Essais, notamment « Confiance & autonomie » (1841 pour la première version issue d’une conférence donnée en 1832, 1847 pour la seconde), illustre la douceur de la critique de la société, célébrant en premier lieu le Ne te quaesiveris extra (« Ne cherche rien en dehors de toi-même ») de l’homme qui a saisi vraiment sa relation à lui-même, déchirant le voile illusoire de la société :
« La société est une vague. Cette vague avance, mais l’eau avance dont elle est faite ne la suit pas. La même particule ne s’élève pas du creux à la crête. L’unité est seulement phénoménale. Les personnes qui constituent une nation aujourd’hui mourront l’année prochaine et leur expérience avec eux. » (p. 63, loc. cit., Michel Houdiard éditeur, Paris, 2010, trad. A. Wicke).

Nous ajouterions dans les pas d’Emerson que la société est devenue aussi vague que l’énergie des individualités opposées qui se sont mises en branle pour en escamoter ses prémisses. L’unité de la société « est seulement phénoménale », affirme Emerson. Le phénomène est un vent qui parcourt l’histoire à un moment donné, censé durer, et sur un espace mouvant. Mais il se mue selon les saisons, les lieux et les anticyclones au-dessus des terres en tornade, souffle, Brise, Nordet, Ponant, Mistral, Galerne, Tramontane, Autan, Agueil… Autant de vents divers et contraires, ces vents localisés fugaces et persistants à la fois, c’est dire que la société n’est qu’un élément politico-juridique passager dont la vérité reste plurielle et non plus la Vérité immuable dans le nomos. Celle-ci tient dans les parties du Tout quand celui-ci a vocation à s’édifier sur des fondements qui conviennent aux hommes, s’ils ont la force d’imaginer leurs propres forces instituantes. Car le concept de société est une fiction. Comme toute fiction, elle dispose d’un générique, d’une bande-son et d’un mot fin sur l’écran. Prenez le procureur de l’institution judiciaire ; il est dit le « représentant de la société » alors que son encadrement est l’Etat dont il sert les intérêts (il est autrement mieux nommé le « ministère public ») et ses membres par définition singuliers et provisoires. Il sert autant une politique judiciaire qu’il a des grilles de peines à disposition, pour ces réquisitoires contrebalancés par les juges du siège qui disent le droit. La fiction dépend des acteurs, de leur talent ou absence de travail, leur mémoire et leur dépendance au metteur en scène ou au producteur plutôt qu’au sens du jeu d’acteur. Ici, pour notre procureur, on lui demandera de servir tel Etat au nom des valeurs de transcendance de l’Etat, et donc quels que soient les maîtres de celui-ci et quelle que soit la norme, compréhensive ou répressive, générale ou particulière.

Si la société française se trouve mal en point, il y va principalement des éléments humains qui la composent, surtout les gouvernants à leur tête, et qu’il devient impérieux de remettre à la juste place où ils n’ont jamais cessé d’être enserrés, feignant de l’oublier par calcul pour la stricte acquisition du pouvoir pour lui-même : la place des mortels. Comme tous les autres, les gouvernants ne sont pourtant que de passage ici-bas dans la fiction sociale. Pour le reste, les gouvernés ont agrémenté la jungle sociale qu’on leur a transmise en pâtures, et l’ont même amplifié sur la foi des lois et idées que les gouvernants leur ont jetées à leur gamelle des préceptes dans l’air du temps. Tout simplement parce qu’ils ont perdu tout sens de leur construction autonome, par l’éducation et le travail, les gouvernés ont renoncé à leur aspiration à s’émanciper des illusions et espérances nourries dans les programmes politiques. Dès lors, gouvernés complices des gouvernants s’en vont tous vivre joyeusement naïfs les heures les plus noires de l’histoire humaine. Gouvernants et gouvernés ont renoncé à leur humanité en substituant les causes aux effets, en transformant la fraternité en compassion, la solidarité en charité ordonnée à la Bourse, la liberté en sauteries et fêtes incessantes sur tout et rien à la fois, en galvaudant le souci égalitaire dans le registre du nivellement des esprits abaissés par le conformisme généralisé dans les primesautières insignifiances placées comme étalon de l’existence sociale –et politique.

Demeurer maître de soi, pour-soi & en-soi, s’apparente à une force de la nature chez l’homme qui y aspire dans la réalité de son existence. Ce maître de soi vivra assurément les épreuves et les joies seul et sera aussi fort envers la société qu’il est faible avec lui-même dans sa force mise à rude sacrifice –mais qui le rendra plus fort encore. Enfin, le maître de soi stimulera le verbe et le combat dans la sérénité avec les faits circonstanciés et ne se penchera, en toute lucidité, que sur la destruction de toutes les formes d’espérance que la fiction sociale voudra lui ordonner d’adopter. Il sera un être doué de raison, de foi, d’imagination et de désirs d’égrener les louanges que la vie lui offre sans se replier sur les ordres matériels, sans se battre la coulpe devant la chienlit dominante du politique rabaissé aux orteils du colosse Etat aux appuis sur béquilles. Toujours il observera ses semblables et rasera les murs sociaux afin de ne jamais sacrifier sa liberté, à seule fin de s’endurcir dans les combats guerriers à venir. Le solitaire ne peut qu’être heureux à fréquenter ses semblables, les déniaisés du social, à se confronter aux forces centripètes mortifères de l’Etat, les forts en verbes, et ne chercher qu’en lui dans son travail la force d’être sans fiction, puisqu’il ne s’effraie déjà pas de l’impôt du sang qu’il versera.

LSR



 

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